par Clemente De Lucia, économiste chez BNP Paribas
Pour la toute première fois en 2013, les pays de la zone euro ont dû soumettre leur projet de budget à l’examen de la Commission européenne avant d’en débattre au sein de leurs parlements nationaux. L’Italie n’a pas fait exception.
Croissance et rigueur
Conformément au «Two-Pack» (cf. encadré plus bas), le gouvernement Letta a présenté cette semaine sa loi de finances 2014 qui s’étend en fait sur 3 ans. Le projet de loi comporte un dispositif visant à la fois à consolider les finances publiques et à promouvoir la croissance. Le gouvernement a, notamment, adopté des mesures destinées à stimuler l’emploi.
Un taux de participation bas (des femmes en particulier), conjugué à un taux d’emploi faible, a pénalisé la croissance au cours des dernières décennies. A 55,7 %, le taux d’emploi est l’un des moins élevés de la zone euro. Seules la Grèce et l’Espagne affichent des chiffres plus faibles. Les rigidités et les dualités du marché du travail figurent parmi les facteurs qui pèsent sur la croissance de l’emploi. En 2012, le gouvernement Monti avait pris des mesures pour répondre à ces problèmes. Les procédures d’embauche ou encore de rupture de contrat de travail ont été simplifiées, les contrats à durée indéterminée ont été encouragés au détriment des CDD.
Cette fois, le gouvernement s’est attelé à un autre problème : le poids élevé de la fiscalité sur le travail, supérieure de 4 points de PIB environ à la moyenne de la zone euro, et qu’il envisage d’alléger de EUR 10,6 mds sur les trois prochaines années. Des mesures nécessaires, compte tenu du recul de la compétitivité italienne, mais sans doute insuffisantes et qui nécessiteront des arbitrages en termes de transferts. L’Italie n’a, en effet, pas une grande marge de manœuvre sur le plan fiscal compte tenu de la situation de ses finances. Le ratio de la dette est supérieur à 130 % du PIB et les paiements d’intérêts représentent 5% du PIB, contre 3% en moyenne dans la zone euro. Elle n’a donc d’autre alternative que de poursuivre l’assainissement de ses finances publiques, en insistant sur le volet des dépenses.
Selon le projet de loi, l’essentiel des économies viendra d’une nouvelle série de révisions des dépenses que l’ancien directeur de la Division des affaires fiscales du FMI, M. Carlo Cottarelli, mènera au cours des trois prochaines années. Ces mesures devraient générer EUR 16,1 mds d’économies sur trois ans. De plus, le gouvernement entend accroître les recettes, moyennant l’introduction d’un nouvel impôt destiné à remplacer la taxe immobilière sur la résidence principale, la vente de biens publics et la réduction des dépenses courantes. Le projet de loi prévoit un gel des salaires dans la fonction publique pour l’année prochaine, le blocage de l’indexation des pensions au-delà de EUR 3 000 par mois et une contribution sociale pour les retraites supérieures à EUR 100 000 par an. Les syndicats menacent de faire grève pour protester contre ces dernières mesures.
L’Italie devrait ainsi être en mesure de tenir ses objectifs de déficit budgétaire cette année et l’année prochaine (3 % et 2,5 %, respectivement), de quoi rassurer les marchés qui commençaient à avoir des doutes en la matière. Avec un déficit supérieur à 3 %, la Commission européenne serait dans l’obligation de rouvrir la procédure de déficit excessif à l’encontre de Rome un an à peine après que le pays en est sorti, de quoi mettre à mal la crédibilité des autorités italiennes en matière de gestion des finances publiques. A terme, cependant, l’Italie n’a d’autre alternative que d’avancer sur la voie des réformes pour stimuler la croissance. Pour autant, un risque demeure : quoique plus soudée, la majorité actuelle qui soutient M. Letta pourrait ne pas être assez solide pour les mener à bien.
ENCADRE : La mise en œuvre du « two pack »
La crise financière et celle de la dette ont révélé plusieurs insuffisances de la gouvernance économique et de la surveillance budgétaire au niveau de l’Union européenne. Il a fallu, en particulier, renforcer les volets préventif et correctif du Pacte de stabilité et de croissance (PSC). Le « Six-Pack », le Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance, qui comporte un volet fiscal connu sous le nom de « Pacte budgétaire », est destiné à remédier à ces insuffisances, en renforçant le PSC par la mise en place de règles budgétaires obligatoires. Le « Two-Pack », entré en vigueur le 30 mai 2013, a également pour objet de consolider le PSC et la discipline budgétaire entre les Etats membres, mais sous un autre angle. Il repose sur deux règlements ; le premier s’attache à améliorer la coordination, la surveillance et le contrôle mutuel des Etats membres sur les budgets nationaux. Ce règlement vise, en particulier, à éviter que des budgets nationaux, qui s’écartent sensiblement de leur objectif à moyen terme, puissent menacer la stabilité du pays concerné et, par effet de ricochet, celle de la zone euro dans son ensemble. Conformément au « Two-Pack », les Etats membres doivent soumettre leur projet de budget à la Commission européenne avant le 15 octobre de chaque année. La Commission examine alors la conformité du projet au PSC et aux recommandations du Semestre européen que les pays ont reçues en mai/juin. Si la Commission constate des manquements graves aux obligations découlant du PSC et le non-respect des recommandations antérieures, elle demandera à l’Etat membre concerné de lui présenter un plan révisé. Cependant, l’opinion de la Commission n’a pas force obligatoire ; les parlements nationaux conservent un pouvoir souverain quant à la mise en œuvre des budgets nationaux. L’opinion de la CE n’en sera pas moins débattue au sein de l’Eurogroupe, entraînant un renforcement des pressions de la part des autres pays de la zone euro.
Le deuxième règlement vise à resserrer la surveillance des Etats membres qui bénéficient d’une assistance financière et de ceux dont le programme d’assistance financière vient de s’achever.