par Alexandra Estiot, économiste chez BNP Paribas
A de très rares exceptions, nous nous accordons tous sur la nécessité d’un secteur public. Bien sûr, nous divergeons quant à sa taille optimale ou à l’étendue de son champ d’action. Ainsi, pour certains, la fonction de redistribution n’est-elle pas primordiale. Pour d’autres, les tentatives de relance budgétaire, notamment par la demande, sont vaines. Mais même pour les adeptes du laisser-faire, il est probable que le secteur public ne devrait pas étouffer la croissance.
C’est pourtant ce qui a été fait ces dernières années. Certes, les politiques mises en place ne visaient pas à augmenter le chômage ou à plonger l’économie en récession. Mais, dans l’espoir de redonner confiance aux investisseurs internationaux, l’austérité n’a pas fait autre chose. Alors qu’une baisse des taux d’endettement public était le but recherché, le frein placé sur la demande aura été tel que ceux-ci n’ont que marginalement évolué, voire augmenté dans certains cas extrêmes.
La preuve des effets néfastes de l’austérité a été apportée par l’expérience de l’Europe du Sud. Certes, les craintes des investisseurs quant à la soutenabilité des dettes publiques nécessitaient des actions. Mais la réduction des déficits aurait eu moins d’effets négatifs sur l’activité si elle avait été davantage étalée dans le temps. De plus, en allégeant les coupes dans les dépenses et les augmentations des prélèvements obligatoires, et donc en pesant moins sur la croissance et l’emploi, les recettes budgétaires auraient été moins pénalisées, facilitant la réalisation des objectifs de réduction des déficits. Les avancées auraient été plus rapides, et on peut imaginer que le retour des investisseurs aurait été facilité, alimentant ainsi une baisse des taux d’intérêt qui, en allégeant la charge de la dette, aurait permis de réduire les déficits…
Ces erreurs ont été assez largement reconnues depuis, notamment par le FMI qui a écrit avoir sous-estimé l’importance des multiplicateurs budgétaires, c’est-à-dire le potentiel dépressif de l’austérité. Les autorités européennes ont aussi décidé une extension du calendrier de mises en place des réformes, et la plupart des pays membres bénéficient de quelques années de plus pour équilibrer leurs comptes publics. Il faut aussi noter que, à présent, les performances des pays en termes de finances publiques ne sont plus jugées sur leurs seuls résultats mais aussi (et surtout) sur les moyens mis en place : les efforts sont jugés, et si l’ampleur des multiplicateurs conduit à des résultats décevants, les pays ne sont pas pénalisés.
Une nouvelle étude de la Commission européenne1 ajoute une voix à ce nouveau consensus, en soulignant la propagation à l’ensemble de la zone euro des effets néfastes des politiques budgétaires restrictives dans le Sud de la zone euro. Ainsi, l’austérité, en déprimant l’activité d’une économie, conduit également à la baisse de ses importations, et donc la demande qui s’adresse à ses voisins européens. Sont également soulignées les évolutions relatives de la compétitivité : les réformes visant à réduire les coûts unitaires de production améliorent la compétitivité d’un pays et, toutes choses égales par ailleurs, détériorent celle de ses voisins, pesant sur leurs exportations. Finalement, la synchronisation de l’austérité dans la quasi-totalité de la zone aura été le dernier élément conduisant à une récession s’étendant de la périphérie à l’ensemble de la zone euro2.
Tout en ne déviant pas du dogme – l’austérité budgétaire ne pouvait être évitée – le papier de la Commission européenne confirme la nécessité de mieux étaler dans le temps les mesures d’assainissement budgétaire tout en notant que des mesures de relance budgétaire dans les pays qui peuvent se le permettre seraient bienvenues. Sans nommer l’Allemagne, l’auteur semble bien parler d’elle, seul pays de la zone euro noté AAA dont le poids économique est suffisant pour que les effets d’une politique expansionniste soient notables chez ses voisins.
Que les agences de notation leur accordent ou non leurs meilleures notes, de grands pays en dehors de la zone euro pourraient également facilement financer une augmentation temporaire de leurs déficits publics. Plus que leurs notations, ces pays bénéficient de la possibilité d’actionner le levier monétaire, prévenant de toute envolée des taux d’intérêt qui pourrait venir d’une perte de confiance des investisseurs. Assurer de pouvoir financer à moindre coût une augmentation des dépenses publiques qui pourrait pallier la baisse des dépenses privées liée au processus de désendettement, le seul risque qui planerait sur ces pays serait de voir la valeur externe de leur monnaie chuter, ce qui aurait par ailleurs des effets positifs pour les industries exportatrices.
Ce chemin, le Japon aura finalement décidé de le prendre, mais après de longues années de déflation. Pourquoi le Royaume-Uni et les Etats-Unis ont décidé de ne pas saisir leur chance est une question qui vaut d’être posée. Peut-être les Britanniques sont-ils plus Européens qu’ils n’aimeraient le penser, alors qu’aux Etats- Unis, la réponse est malheureusement évidente: le disfonctionnement du Congrès est de moins en moins secret avec la succession des crises. D’après le Council of Economic Advisers de la Maison Blanche, la dernière aurait coûté à l’économie 0,25 point de croissance (soit environ USD 40 mds) et 120 000 emplois en seize jours seulement.
NOTES
- « Fiscal consolidations and spillovers in the Euro area periphery and core », Jan in’t Veld, Economic Papers 506, European Commission, octobre 2013.
- Sont aussi étudiés les effets de contagion (on doute de la soutenabilité de la dette d’un pays, et par ricochet de celle de son voisin qui souffre de maux similaires) ou la boucle entre le risque bancaire et le risque souverain. Ces problèmes sont davantage du ressort de la BCE et de la nécessaire instauration d’une union bancaire que des politiques budgétaires des Etats membres. Pour plus de détails, voir Clemente De Lucia, « Dysfonctionnement de la politique monétaire en zone euro : jusqu’à quel point ?, », Conjoncture BNP Paribas, juin 2013, et Frédérique Cerisier, « Union bancaire, petit rappel d’agenda », EcoWeek BNP Paribas, 20 septembre 2013.