par Chantana Sam, stratégiste d’Axa IM
Les CDS (Credit Default Swaps) sont souvent accusés d’avoir joué un rôle central dans la crise financière actuelle.
Les griefs concernent principalement le risque systémique, l’opacité et le manque de régulation. C’est pourquoi la création d’une chambre de compensation pour les dérivés de crédit est une mesure clé parmi les propositions faites par les régulateurs américains et européens pour nettoyer le système. Pour que la compensation des transactions soit efficace, un nouveau contrat a été introduit par l’ISDA (International Swaps and Derivatives Association) de manière à standardiser cet instrument.
Dans ce papier, nous décrivons les changements introduits par ce nouveau standard et analysons les possibles conséquences. Nous faisons également un point sur les derniers développements concernant les projets de chambre de compensation et évoquons d’autres propositions de régulation des marchés de CDS. Nous clarifions également quelques points autour des CDS car beaucoup d’idées fausses ont circulé autour de ces instruments.
Introduction d’une chambre de compensation
Le risque de contrepartie dans les transactions de produits dérivés a fortement attiré l’attention l’année dernière avec la faillite de Lehman et la fusion forcée de Bear Stearns avec JP Morgan. De tels événements sont vus comme de potentielles sources de risque systémique car ils pourraient causer la chute d’autres compagnies financières par effet domino. Dans notre Commentaire Hebdomadaire n°451 (Le risque de contrepartie : la chute du château de cartes ?) écrit en octobre dernier, nous avions expliqué comment les mécanismes d’accords bilatéraux d’agrégation et de collatéral déjà existants permettaient de gérer le risque de contrepartie. Six mois après la faillite de Lehman, aucune contrepartie de Lehman n’a semblé subir de très lourdes pertes à cause de cette faillite et il semble donc que les accords bilatéraux aient été suffisamment efficaces pour éviter une crise systémique. Toutefois, tous les participants sont d’accord pour dire que les accords bilatéraux ne sont pas parfaits et que la création d’une chambre de compensation serait une bien meilleure solution. Concrètement, une chambre de compensation agit en tant que contrepartie sur toutes les transactions et met en place les appels de marge.
Ainsi, si une des parties fait faillite, les autres participants peuvent compter sur la chambre de compensation pour assurer la continuité des transactions existantes, ce qui réduit fortement le risque de contrepartie. La chambre de compensation doit bien sûr disposer de suffisamment de capital et chaque participant contribue à l’alimenter.
Les dérivés de crédit ont reçu beaucoup de presse négative durant la crise et les régulateurs ont donc poussé les dealers et les potentielles chambres de compensation à mettre en place une compensation des transactions le plus rapidement possible.
A l’heure actuelle, les progrès les plus significatifs ont été faits aux Etats-Unis où plusieurs entités sont en concurrence pour obtenir le droit de compenser les transactions de CDS. Le principal acteur est sans doute Intercontinenal Exchange Inc. (ICE) qui bénéficie du support des dealers après avoir acquis Clearing Corp., une chambre de compensation appartenant à huit dealers importants sur les dérivés de crédit. Début mars, le plan d’ICE a reçu le feu vert de la Fed ainsi qu’une autorisation temporaire de la SEC (Securities and Exchange Commission) ce qui permet à ICE de commencer à traiter et à compenser les transactions de CDS. Il est important de noter que le plan d’ICE ne concerne initialement que les liquides indices crédit CDX avant une ouverture éventuelle à des instruments moins activement traités comme les CDS single-name. En effet, les indices crédit comme l’Itraxx ou le CDX sont des instruments standards qui sont faciles à agréger. Le plus important compétiteur d’ICE est CME Group qui a reçu l’approbation de la SEC le 13 mars dernier et qui devrait commencer à se lancer dans la phase commerciale de son projet. Les autres projets sont ceux de NYSE Euronext et Eurex AG. Les régulateurs ont choisi de ne pas désigner de vainqueur et plusieurs chambres de compensation sont donc susceptibles de coexister aux Etats-Unis. En Europe, NYSE Euronext’s Liffe Derivatives a commencé à offrir la compensation des CDS en décembre en partenariat avec LCH.Clearnet, le plus grand compensateur indépendant en Europe.
Les régulateurs européens semblent très attachés à avoir un compensateur séparé pour la région, ce qui est un peu décevant car une telle mesure va à l’encontre de la nature globalisée du marché de CDS. De manière plus générale, la coexistence de plusieurs chambres de compensation réduirait les bénéfices d’agrégation et serait moins efficace pour gérer le risque de contrepartie car elle ne permettrait pas d’obtenir une vision globale du risque. En outre, nous ne sommes pas certains que la taille du marché permette durablement une telle coexistence. En dépit de ces inquiétudes, le lancement proche de ces chambres de compensation devrait être une mesure très importante pour gérer le risque systématique qui existait sur les marchés de CDS.
Un nouveau standard pour les CDS
Comme mentionné dans la section précédente, l’agrégation des positions sur les indices de crédit (Itraxx ou CDX) est assez simple car les contrats sont fongibles. La situation est différente pour les CDS single-name car les différences de termes de contrat (comme les coupons fixes) rendent difficiles l’agrégation des positions. Il est bien connu que les volumes de transaction sur les marchés CDS ont connu une expansion frénétique depuis 2001.
Cette expansion est un peu trompeuse car la croissance des montants notionnels de CDS est plus le reflet d’un marché difficile à consolider qu’une réelle croissance exponentielle du risque de crédit. D’ailleurs, le montant notionnel total sur les contrats en cours a diminué pour la première fois au premier trimestre 2008, la soudaine inquiétude concernant le risque de contrepartie ayant amené les participants à mieux gérer leurs positions au lieu d’empiler les positions qui s’annulent les unes les autres.
L’introduction d’une chambre de compensation centrale permettra sans nul doute une meilleure agrégation des positions mais un préalable à cette introduction est une meilleure standardisation des marchés de CDS. C’est pourquoi l’ISDA a introduit un nouveau standard pour les CDS single-name. Ce nouveau standard devrait être effectif à partir du 8 avril prochain. Les changements introduits par l’ISDA peuvent être classés en deux catégories. La première catégorie concerne les changements dans les standards de transactions qui ne modifient en rien la nature des contrats. Ils s’appliquent seulement aux contrats américains pour l’instant et ne sont pas rétroactifs (toutefois, les CDS étant des contrats de gré à gré (OTC), les contreparties peuvent changer rétroactivement les termes de contrats existants avec un simple accord mutuel). Les changements de standard sont :
Coupons standards : Pour les contrats actuels, le coupon payé par l’acheteur de protection est le spread de cotation de marché à l’initiation de la transaction. Les nouveaux contrats traiteront avec des coupons standards de 100pdb ou 500pdb, ce qui rendra les contrats fongibles. En pratique, le mécanisme sera très similaire à celui existant déjà pour les indices crédit. Comme les spreads cotés par le marché peuvent être différents des coupons contractuels, le vendeur de protection devra payer ou recevoir une soulte à l’initiation de la transaction pour compenser la différence. Pour rendre les contrats fongibles, le premier coupon payé sera « plein » à la différence des contrats actuels où la date de départ de la période de calcul de coupon est la date effective (à savoir la date de transaction + 1 jour). La compensation de cet effet « coupon plein » sera également intégrée dans le calcul de la soulte. Ce changement ne concerne que les Etats-Unis mais il est susceptible d’être introduit en Europe également.
Retrait de la clause de restructuration : Les anciens contrats traitent dans une clause appelée Modified Restructuring (MR) ce qui signifie, qu’en plus de la faillite et du défaut de paiement, la restructuration de dette (au sens de l’ISDA) peut déclencher le paiement de défaut sur les CDS. Les nouveaux contrats traiteront dans une clause No Restructuring (NR) qui exclut la restructuration de la liste des événements de crédit.
Ce retrait fait sens car, d’un point de vue pratique, la clause de restructuration n’a jamais réellement bien appréhendé les restructurations de dette typiques faites par les compagnies. La plupart des restructurations sont faites hors d’une cour de justice via des échanges de dette volontaire à prix stressés qui ne déclenchent pas les clauses de restructuration des CDS. Ainsi, depuis 2003, aucun événement de crédit sur CDS n’a concerné une restructuration. De plus, si jamais un CDS devait être déclenché pour une restructuration de dette, mettre en place un processus centralisé de livraison serait très difficile car la clause MR impose des limites sur la maturité des obligations délivrables, lesquelles dépendent de la maturité du CDS lui-même. Un autre argument pour retirer la clause MR est le fait que les indices CDX traitent déjà en NR. Le changement permettrait donc d’éliminer la différence de standard existant entre les indices et leurs composants. En fait, le seul inconvénient de ce changement est le fait que couvrir une exposition crédit avec un CDS NR est moins favorable d’un point de vue réglementaire qu’avec un CDS MR, ce qui obligera les banques américaines à charger plus de capital. Les banques américaines essayent de persuader leurs régulateurs de changer cette règle. Signalons que ce changement ne concerne que les Etats-Unis et n’est pas susceptible d’intervenir en Europe où la clause de restructuration revêt plus d’importance et où les charges réglementaires additionnelles seraient très pénalisantes.
Les changements de deuxième type sont plus structurels et nécessitent un amendement légal au contrat actuellement existant. Ils peuvent être rétroactifs pour les transactions existantes sous réserve d’adhérence au protocole ISDA appelé « Big Bang » (les participants ont jusqu’au 7 avril pour y adhérer). Ces changements s’appliquent à tous les contrats CDS single-name sur entreprises et souverains :
Comités de détermination sur dérivés de crédit : ces comités seront tenus pour arbitrer toute dispute potentielle concernant les déclarations d’événements de crédit, la délivrabilité ou encore les événements de succession. Dans ces comités, à la fois des dealers et des investisseurs seront représentés.
Date effective pour les événements de crédit ou de succession : Il est parfois possible (mais plutôt rare) que des événements de crédit ou de succession aient lieu mais ne soient reconnus comme tels par le marché que beaucoup plus tard. Prenons le cas de deux contrats CDS qui s’annulent au niveau risque mais qui ont des dates de transaction différentes et donc des dates effectives différentes. Si un événement de crédit a lieu entre ces deux dates effectives et n’est découvert qu’aujourd’hui, un contrat sera déclenché mais pas l’autre, ce qui signifie qu’il y a un risque résiduel dans la position. Pour pallier à ce problème, la date effective des nouveaux CDS devient le 60ème jour précédent la date actuelle. La fenêtre durant laquelle les événements de crédit peuvent être déclenchés ne dépend donc que de la date actuelle et plus de la date de transaction.
Les événements de succession suivront de manière similaire une fenêtre mobile de déclenchement mais qui sera de 90 jours car les événements de succession sont souvent plus difficiles à appréhender.
Processus d’enchère pour la livraison incorporé au CDS : l’ISDA a établi un processus d’enchère pour établir les prix destinés à la livraison par cash sur les événements de crédit. La livraison par cash permet d’éviter le squeeze de papier qui pourrait arriver si la livraison physique était la seule procédure de livraison existante. Nous ne détaillerons pas la procédure ici mais elle peut être trouvée sur internet (www.creditfixings.com). Ce processus est utilisé depuis 2005 et a prouvé son efficacité. Toutefois, la participation à ce processus n’est actuellement pas obligatoire : si une des parties choisit de ne pas participer, la livraison physique est utilisée comme standard.
Pour les nouveaux contrats CDS, la participation au processus d’enchères est définie comme le moyen standard de livraison. Il faut remarquer que le processus ne force pas les participants à livrer en cash. Les acheteurs de protection qui préfèrent livrer physiquement (parce qu’ils utilisent le CDS pour couvrir une obligation par exemple) peuvent facilement le faire en plaçant des requêtes d’achat physique durant la phase d’enchère de la procédure.
Quel futur pour les marchés de CDS ?
Selon nous, le nouveau standard publié par l’ISDA rendra les marchés de CDS plus transparents et plus liquides. Avec l’introduction de coupons standards, traiter des CDS s’apparentera à traiter des obligations ou des indices crédit. Chaque transaction s’accompagnera d’un paiement d’une soulte à l’initiation, que ce soit une nouvelle transaction ou bien le débouclement d’une position existante. Les dealers continueront de coter les CDS en spread (du moins pour les noms non stressés ; les noms stressés cotent généralement directement en soulte). Les investisseurs devront convertir les spreads cotés en soulte mais cela peut être fait très facilement avec la fonction CDSW de Bloomberg. Markit, l’administrateur des indices crédit, a également développé un outil gratuit de conversion (disponible sur le site web de Markit). Il est important de souligner que la conversion nécessite de connaître toute la courbe des spreads de CDS et une hypothèse sur le taux de recouvrement. Pour que les dealers et les investisseurs puissent se mettre d’accord sur les paiements de soultes, la conversion se fera avec une convention de courbe plate et un taux de recouvrement standard (40% pour la dette senior non sécurisée, 20% pour la dette subordonnée). Si un dealer a une opinion différente pour le taux de recouvrement d’un nom, il ajustera sa cotation pour refléter cette anticipation. Ainsi, les investisseurs n’ont pas besoin d’avoir eux-mêmes une vue sur le taux de recouvrement car ils savent que les prix sont établis sur la base d’une hypothèse standard.
Le fait que les dealers et les investisseurs puissent facilement se mettre d’accord sur les flux de paiement à transférer devrait accroître la liquidité du marché. De plus, comme cela a été dit plus haut, les coupons standards faciliteront l’agrégation des positions. Quels sont les inconvénients de ce nouveau standard ? Selon nous, le principal problème vient du capital réglementaire additionnel associé au retrait de la clause de restructuration sur les contrats américains mais cela pourrait changer si les régulateurs acceptent de modifier la règle. Si ce n’est pas le cas, les acteurs sensibles aux contraintes de capital réglementaire peuvent choisir de continuer à traiter des contrats gardant la clause de restructuration mais cela se fera au prix d’une liquidité moindre. Plus généralement, comme les marchés de CDS restent OTC, tout acteur qui a besoin de flexibilité peut demander à sa contrepartie de traiter avec des termes non standards mais celle-ci sera susceptible de charger des coûts supplémentaires liés à la liquidité du contrat. Au final, la plus grande liquidité apportée par le contrat est un apport qui compense largement tous les inconvénients potentiels et nous encourageons tous les investisseurs à adopter ce nouveau standard pour éviter tout coût additionnel lié au manque de liquidité. Indéniablement, le lancement d’une chambre de compensation sera une importante mesure pour traiter le risque systémique associé aux transactions de CDS.
Pour vraiment traiter le risque systémique global, des chambres de compensation doivent également être mises en place pour les autres produits dérivés OTC sur les taux, le change et les actions. Même si on se limite aux dérivés de crédit, il est important de garder en tête que seuls les indices CDS et les CDS single-name sur entreprises et souverains sont concernés par les projets de chambre de compensation. Les produits plus exotiques ne seront pas concernés. Ainsi, l’introduction d’une chambre de compensation n’aurait pas permis de mieux gérer le risque systémique lié à une faillite de l’assureur AIG. La chute d’AIG est souvent attribuée aux pertes de son activité de CDS mais on oublie souvent de préciser que cette activité était focalisée sur des structurés de crédit appelés aussi CDS qui ne doivent pas être confondus avec les classiques CDS single- name. Ces CDS structurés se réfèrent à un ensemble de prêts bancaires, de prêts immobiliers résidentiels ou commerciaux et à d’autres actifs de crédit. AIG Financial Product utilisait ces instruments pour protéger les banques contre les pertes sur la partie senior des transactions de produits structurés ce qui était avantageux pour les banques d’un point de vue capital réglementaire. Ces CDS structurés sont loin d’être standardisés et se traitent sur une base de cas par cas. L’introduction d’une chambre de compensation ne change donc rien pour ces instruments. Nous pensons que pour empêcher un cas similaire à celui d’AIG de se reproduire, une meilleure régulation est nécessaire. Des activités telles que l’assurance des produits structurés doivent être surveillées plus étroitement par les régulateurs. En outre, les régulateurs doivent empêcher les arbitrages de capital réglementaire qui ont fortement incité ce type d’activité d’assurance.
La régulation est clairement la grande inconnue en ce qui concerne le futur des marchés de CDS. Malgré l’introduction d’une chambre de compensation, les CDS continueront à traiter sur des marchés OTC et non des marchés organisés, car les dealers veulent garder leur mainmise sur ce marché. De nombreuses critiques concernant l’opacité de ces marchés CDS ont poussé les opérateurs à en améliorer la transparence. En janvier dernier, JP Morgan a annoncé le transfert de son outil analytique de CDS dans le cadre d’une initiative permettant de rendre public le code de valorisation des CDS. En outre, DTCC, établissement qui tient un registre central de transactions CDS, a donné son accord pour publier chaque semaine des données relatives aux transactions. Même si cette information ne permet pas de capturer tout le marché de manière exhaustive, c’est tout de même un pas intéressant vers davantage de transparence dans le marché. Néanmoins, nous voudrions mettre en garde contre les dangers d’une sur- régulation.
Certains parlementaires américains ont proposé d’interdire les achats de protection « à nu » sur CDS. Plus précisément, les investisseurs ne possédant pas la dette sous-jacente ne seraient pas autorisés à acheter de la protection via un CDS. Selon nous, une telle mesure serait un désastre pour les marchés de CDS car elle ferait disparaître toute liquidité. Les volumes de transaction de CDS chuteraient dramatiquement car ils seraient limités par le gisement existant d’obligations délivrables. De plus, les contreparties seraient réticentes à l’idée de vendre de la protection car ils ne pourraient pas se couvrir sans détenir la dette sous-jacente.
L’aversion au risque causée par une telle législation pourrait signifier la fin des marchés de CDS et, selon nous, de telles mesures sont de la sur-régulation. Même si certaines critiques contre les marchés de CDS sont pleinement justifiées, nous pensons que de nombreuses confusions et idées fausses ont amené à exagérer leur rôle dans la crise financière. Nous ne pensons pas que les CDS disparaîtront car ces instruments apportent plus de flexibilité et plus de liquidité aux investisseurs désirant traiter les marchés de la dette.
Conclusions
Le nouveau contrat standard de CDS rendra les marchés de CDS plus liquides et plus transparents. Le principal inconvénient pourrait venir de charges réglementaires plus élevées pour les banques américaines mais la meilleure liquidité compensera largement cet aspect selon nous. Le nouveau contrat permettra une meilleure standardisation des marchés de CDS en un préalable à l’introduction de chambres de compensation. Toutes ces mesures constituent un pas en avant intéressant vers une meilleure régulation, plus de transparence et plus d’efficacité. Les participants du marché de crédit en sortiront gagnants et la confiance dans l’innovation financière reviendra.