En 2014, une croissance mondiale moins inégalement répartie

par Jean-Luc Proutat, économiste chez BNP Paribas

Tombée à 2,9% en 2013, son plus faible rythme depuis 2009, la croissance économique mondiale accélérerait modestement en 2014 (+3,5%). Mieux répartie, elle ne reposerait plus autant sur les zones émergentes mais davantage sur la « vieille Europe », notamment l’Union économique et monétaire (UEM), qui quitte la zone dépressionnaire. L’inflation resterait basse, très inférieure en zone euro à l’objectif de 2% visé par la Banque centrale européenne. Du coup, celle-ci pourrait encore augmenter son soutien à l’économie, en procédant à une ultime baisse de ses taux d’intérêt directeurs, à de nouveaux prêts à long terme, voire à des achats d’actifs.

Depuis le début des années 2000 et, notamment, l’entrée de la Chine dans l’Organisation mondiale du commerce (OMC), le centre de gravité de l’économie planétaire se déplace inexorablement, d’Ouest en Est, du Nord vers le Sud. La crise, quant à elle, n’a fait qu’accélérer le mouvement. De 2008 à 2013, les pays émergents ont expliqué 88% de la croissance mondiale, autant dire l'essentiel. Leur PIB a crû de 36% en terme réel, pour dépasser, en standard de pouvoir d'achat (SPA), celui des pays « matures ». Ces derniers ont été condamnés à faire du sur-place ou, au mieux, à s’inscrire dans une reprise lente et pauvre en emplois. 2014 pourrait cependant marquer, sinon une rupture, du moins une inflexion.

D’une part parce que les économies avancées continuent de bénéficier d’une liquidité abondante et de taux d’intérêt très bas, ce qui n’est plus tout à fait le cas dans les zones émergentes. Au Brésil, en Turquie, ou encore en Inde, les entrées nettes d’investissements de portefeuille sont moins nourries, les politiques monétaires sont resserrées.

D’autre part parce que la baisse du cours des matières premières, proche de 20% depuis le printemps 2011, améliore les termes de l’échange de la zone OCDE. Elle lui apporterait, selon les modèles, deux à trois dixièmes de point de PIB à l’horizon d’un an.

Enfin et surtout parce que l’UEM commence à régler ses problèmes et renoue avec la croissance. La crise des dettes souveraines lui aura fait perdre beaucoup de terrain : un déficit de sept points de PIB et de 8 millions d’emplois accumulé vis-à-vis des Etats-Unis depuis le printemps 2011. Malgré cela, avec près de 12.000 milliards de dollars de production annuelle (toujours en SPA), elle pèse économiquement autant que la Chine, ou que le Brésil, l’Inde et la Russie réunis. Même lent, son redémarrage n’est pas anodin. Il permettrait d’atténuer un possible ralentissement dans les « BRIC ».

Sur quel moteur s’appuierait-il ? On ne peut guère attendre des 143 millions de ménages qui composent la zone euro un regain spectaculaire d’appétit pour la dépense. Leur désendettement est allé moins loin qu’aux Etats-Unis ; en dépit de l’amélioration des conditions du crédit, il reste une priorité dans la plupart des pays du sud de l’UEM. Les politiques publiques sont soumises aux mêmes contraintes et ne peuvent être que d’un secours limité. Certes, l’Allemagne fait relativement exception. Elle est à l’équilibre budgétaire et son nouveau gouvernement de coalition envisage d’investir dans les infrastructures. Il annonce, par ailleurs, l’introduction d’un salaire minimum, mais qui ne serait pleinement effectif qu’en 2017. Les autres pays, à commencer par la France, restent inscrits dans la rigueur. Globalement, la consommation trouve peu de soutien.

L’investissement des entreprises pourrait, en revanche, s’avérer plus dynamique. En zone euro, son poids dans la valeur ajoutée est historiquement faible, les équipements vieillissent. Il y aurait donc nécessité de les moderniser. Signe avant-coureur de reprise, le taux d’utilisation des capacités de production remonte, ainsi que les taux de marge. Au bout d’intenses efforts de rationalisation et de compression des coûts, les profits atteignent même des records en Espagne, Portugal, Irlande. Il serait assez normal de les voir réinvestis en 2014, ne serait-ce qu’en partie et pour accompagner la croissance des exportations.

Il faudrait, pour bien faire, que l’aversion au risque recule davantage. En zone euro, la conjoncture s’est stabilisée à partir du moment où les coûts de financement des pays membres ont cessé de faire le grand écart. Cette réduction des spreads doit beaucoup au changement de cap opéré par la Banque centrale européenne (BCE) dans le courant de l’été 2012, lorsqu’elle s’est dite prête à acheter « sans limite » la dette des Etats. Mais depuis, rien ou presque. Le dispositif d’opérations monétaires sur titres (OMT) s’avère tellement contraignant qu’aucun État ne souhaite véritablement y recourir ; et, de fait, la BCE détient à ce jour à peine 2% du stock de la dette publique, ce qui est dérisoire comparé à l’engagement pris par les autres grandes banques centrales.

La conséquence est que, même si elles se sont améliorées, les conditions de financement, notamment à long terme, restent difficiles au sud de l’UEM. Les agrégats de monnaie et de crédit sont déprimés, ce qui pèse sur la formation des prix, jusqu’à les faire baisser. Pour en sortir, la BCE ne peut guère jouer de l’arme des taux d’intérêt, déjà proches de zéro. Son président, Mario Draghi, indique toutefois disposer encore de nombreux outils. Prêts à long terme, achats d’actifs, dispositif incitatif inspiré du Funding for Lending Scheme britannique : toutes les options sont sur la table. Reste à les concrétiser.

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