Banques centrales, forcément accommodantes…

par Alexandra Estiot, économiste chez BNP Paribas

En 2014, le monde développé fêtera les cinq ans de la reprise… avec un enthousiasme modéré. Les output gaps (différentiel entre activité observée et potentielle) restent négatifs et importants. La plupart (80%) des pays membres de l’OCDE souffrent, selon les données de cette organisation, d’un « déficit d’activité » supérieur à 1 point.

Les pays de la « périphérie » de la zone euro sont particulièrement touchés (-13,6 pts en Grèce, -8,9 pts en Irlande, -7,8 pts au Portugal, 7,2 pts en Espagne). L’écart au potentiel est également marqué, Allemagne (-0,8 pt) mise à part, pour le « cœur » de la zone : -4,2 pts aux Pays-Bas, -3,4 pts en France et -3,0 pts en Autriche. Et si les récentes performances américaines et britanniques sont encourageantes, leurs output gaps demeurent également importants, à respectivement -3,0 et -2,5 pts.

En se focalisant sur le seul marché du travail, la situation paraît, de fait, très dégradée, bien que moins homogène : les taux de chômage allemand et japonais évoluent à des niveaux proches de leurs plus bas historiques, grâce à des conditions conjoncturelles plus favorables mais aussi du fait de leur démographie (absence de pression sur la population active). Le taux de chômage moyen en zone euro (11,9%) reste proche de son plus haut historique (12,7%). Aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, il recule plus rapidement que suggéré par l’habituelle relation qui le lie à la croissance. Les deux situations, très différentes (faible productivité britannique, découragement américain), appellent une politique monétaire aussi souple que celle de la BCE et ou de la Banque du Japon (BoJ).

Qu’elles aient pour seul objectif la stabilité des prix, ou un mandat plus large, les banques centrales ne peuvent que s’inquiéter de l’ampleur du sous-emploi, qui exerce des pressions à la baisse sur l’inflation. La Réserve fédérale américaine (Fed), avec son objectif de plein emploi, n’est pas la seule à lier sa politique à un recul du chômage. Lorsqu’il s’agit de formuler une forward guidance, la Banque d’Angleterre (BoE) avait également utilisé un objectif intermédiaire sur cet indicateur. La tâche des banques centrales est compliquée par le fait que les taux directeurs, leur principal outil, sont proches de zéro. Elles doivent donc innover. A des degrés plus ou moins importants, elles ont toutes utilisé l’assouplissement quantitatif, c’est-à-dire l’achat (sur le marché secondaire) de titres de dette (privée ou publique) afin d’agir directement sur les taux longs. Ces politiques ont été menées conjointement à l’utilisation de moyens plus qualitatifs, comme la communication ou des programmes de soutien ciblés à la distribution de crédit.

Aujourd’hui, la reprise se confirme. Fin 2013, et en glissement annuel, la croissance du PIB était de 0,5% en zone euro, de 2,7% aux Etats-Unis et au Japon, et de 2,8% au Royaume-Uni. Mais la tâche des banques centrales se complique. Contrairement à une situation « normale », où la reprise permet de fermer rapidement les output gaps, l’actuelle ampleur du sous-emploi continue d’exercer des pressions à la baisse sur l’inflation, et le risque serait d’assister à une remontée des taux d’intérêt réels, l’anticipation d’une normalisation des politique monétaires conduisant à une hausse des taux nominaux qui ne serait pas compensée par une accélération de la croissance des prix. Or, pour nourrir une croissance suffisamment dynamique et combler le retard de croissance, les taux réels doivent rester faibles. Le défi des banques centrales est donc de contenir les anticipations de resserrement de leurs politiques tout en soutenant les anticipations d’inflation.

La BoJ est celle qui est la plus claire dans la communication de ce double objectif, avec, d’une part, un ample programme d’achat de titres visant à contenir les taux longs et le doublement de son objectif d’inflation (de 1%-2%, décidé en janvier 2013). La BoE et la Fed ont été moins explicites, indiquant leur intention de remonter les taux plus tardivement dans le cycle qu’elles ne l’avaient fait dans le passé. Ce faisant, elles se sont fait surprendre par une baisse du chômage. La BCE n’a pas, pour l’heure, voulu trop s’éloigner de l’orthodoxie allemande. Elle évite donc un discours trop volontariste, et sa formulation de la forward guidance n’est qu’une réaffirmation de son objectif de stabilité des prix.

Si, comme nous l’anticipons, la croissance monte en puissance, les banques centrales devront trouver d’autres moyens pour éviter un durcissement prématuré de leur politique et ainsi éviter la reproduction d’erreurs historiques. Les nouvelles annonces de la BoJ cette semaine1 confortent sa crédibilité. Bien que moins formelle, la communication2 de Janet Yellen à la tête de la Fed va dans le même sens, et ces institutions semblent s’orienter, plus ou moins explicitement, vers un objectif de croissance réelle des salaires. Ainsi, la BoJ a clairement énoncé attendre le résultat des négociations salariales du printemps afin de moduler sa politique. Dans son dernier rapport sur l’inflation, la BoE souligne la faiblesse des évolutions salariales et utilise cet argument, parmi d’autres, pour justifier d’une normalisation lente de sa politique. Finalement, même si elle s’exprimait à titre personnel et pas au nom du FOMC, Janet Yellen l’a très clairement formulé : « I'd like to see real wages going up » (j’aimerais voir une progression des salaires réels).

La BCE est la seule banque centrale qui pourrait encore abaisser ses taux directeurs. Certes, la différence entre 0,25% et 0,10% est marginale, mais, alors que l’inflation se rapproche de zéro (voir La semaine en zone euro), ne rien décider pourrait laisser anticiper une hausse de taux plus précoce qu’ailleurs. L’inaction pourrait aussi augmenter les pressions à la hausse sur l’euro, limitant les gains de compétitivité externe et pesant un peu plus sur les perspectives d’inflation.

NOTES

  1. « Coup de pouce inattendu de la Banque du Japon », Raymond Van Der Putten, EcoFlash, BNP Paribas, 19 février 2014.
  2. Pour une revue plus détaillée des perspectives de politique monétaire aux Etats- Unis, voir « Extension du domaine de la lutte », Alexandra Estiot, Conjoncture, BNP Paribas, février 2014.

Retrouvez les études économiques de BNP Paribas