BCE : quel package en juin ?

par Marie-Pierre Ripert, économiste chez Natixis

La BCE ne peut plus faire marche arrière ! Alors que le communiqué du 8 mai était quasiment identique à celui de début avril, avec pour seul changement l’ajout que davantage d’information serait disponible sur l’inflation et sur les prêts aux agents privés début juin, M. Draghi a en revanche clairement annoncé que la BCE prendrait de nouvelles mesures lors de son prochain conseil le 5 juin.

Par ailleurs, diverses déclarations de membres du Conseil vont dans le même sens et laissent penser que la BCE est prête à prendre une série de mesures le mois prochain, après avoir entretenu le doute pendant plusieurs mois. Le changement d’attitude de la BCE sera justifié par la très probable révision en baisse des prévisions d’inflation (de 1% à 0,8% pour 2014 et de 1,3% à 1,2% pour 2015 selon nos estimations) mais aussi par la nécessité de soutenir le crédit aux agents privés.

En guidant les anticipations du marché sur l’imminence d’une action, la BCE a déjà réussi à rendre les conditions monétaires et financières plus accommodantes : l’euro est proche de 1,37 alors qu’il était supérieur à 1,39 avant le conseil du 8 mai, l’eonia et la courbe eonia forward ont légèrement baissé, les taux d’intérêt sur les dettes publiques européennes ont à nouveau reculé et atteignent désormais de très faibles niveaux. Ne rien faire dans trois semaines provoquerait probablement une grosse déception du marché et remettrait en cause la crédibilité de la BCE.

Quel pourrait être le package annoncé par la BCE ?

Une baisse du refi de 15pb nous semble quasiment acquise. Elle sera très vraisemblablement accompagnée d’une baisse du taux de dépôt (de 10 ou 15pb) qui serait porté en territoire négatif. En effet, les commentaires concernant l’efficacité d’une baisse combinée de ces deux taux laissent penser que la BCE est désormais prête à entrer dans ces territoires inconnus. L’idée sous-jacente est que le passage du taux de dépôt en négatif incite les banques ayant des liquidités à la BCE à les prêter ce qui renforcerait l’effet baissier sur les taux courts. Cela pourrait également renforcer le faible effet qu’une seule baisse du refi aurait sur le taux de change. Nous continuons de penser que la baisse du dépôt en négatif peut poser un certain nombre de problèmes pour les banques mais également pour les fonds monétaires. Par ailleurs, cela compliquera vraisemblablement la communication de la BCE le jour où elle souhaitera augmenter le dépôt sans nécessairement toucher au refi…

Un allongement de l’allocation illimitée de la liquidité au moins jusque fin 2015 (voire mi-2016 si la BCE veut maximiser son impact) nous semble également très probable. Il permettrait de donner du temps aux banques pour rembourser leur LTRO qui se montent encore à environ 500Md€ et éviterait que certains systèmes bancaires encore très dépendants de la liquidité BCE ne soit obligés de contraindre le crédit aux agents privés1. Cette mesure a l’avantage de donner de la visibilité aux banques et de renforcer la forward guidance.

La mise en place d’une facilité de liquidité destinée à soutenir le crédit aux agents privés n’est pas exclue, une sorte de VLTRO assortie d’une condition de prêts à l’économie. Comme nous le soulignions il y a quinze jours2, on commence à observer une reprise de la demande de prêts de la part des agents privés qui pourrait devenir une demande non satisfaite, notamment dans certains pays périphériques, si les banques ne peuvent pas prêter (AQR, remboursement de VLTRO,…), ce qui pourrait mettre en péril la reprise attendue de l’investissement et de la croissance dans la zone euro. Si nous mettions en avant l’intérêt d’une telle mesure en début d’année, la BCE ne semblait guère encline à l’utiliser, peut-être en raison de l’AQR et de la crainte que les banques ne viennent pas chercher la liquidité (potentiel stigma) alors qu’elles sont en train de rembourser les vieux VLTRO. Il semblerait qu’il y ait eu une évolution puisqu’à nouveau cette mesure semble être mise en avant. Des achats d’ABS de PME nous semblent plus compliqués à mettre en place, ce marché étant encore de petite taille en zone euro (environ 120Md€).

La combinaison d’une baisse des taux (refi + dépôt), d’un allongement de l’allocation illimitée de la liquidité et d’une nouvelle facilité de financement visant explicitement le soutien au crédit privé pourrait être une solution envisageable pour la BCE. En revanche, nous continuons de penser, et cela a d’ailleurs été confirmé par certains commentaires, que la BCE n’est pas encore prête à passer à une politique quantitative de grande ampleur.

NOTES

  1. Cf Flash N°2014-296 « Zone euro : y a-t-il un risque de cliff de liquidité ? »
  2. Cf. Eco Hebdo du 30/04/14 « le dilemme de la BCE »

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