Etats-Unis : Minutes de silence

par Alexandra Estiot, économiste chez BNP Paribas

En l’absence de données, l’attention s’est centrée sur la Fed avec la publication des minutes de la réunion du FOMC de fin avril. Aucune nouvelle décision n’ayant alors été prise – rythme inchangé pour le tapering et communiqué a été à peine modifié – le compte-rendu de la réunion est assez pauvre en éléments intéressants. On attendait surtout les passages traitant d’une autre réunion, tenue la veille, sur les questions monétaires à moyen terme.

Deux paragraphes couvrent le sujet de la « Normalisation de la politique monétaire » donnant peu de détail. Les discussions ont porté sur les outils dont disposait la Fed pour relever les taux courts – le moment venu, c’est-à-dire pas nécessairement dans l’immédiat, comme cela a été précisé – dans le cadre, inédit, d’un bilan gonflé par les vagues successives d’assouplissement quantitatif. Entre décembre 2007 à la mi-mai 2014, la taille du bilan de la Fed a été multiplié par cinq, passant de USD845mds à USD4255mds, ou de 5,8% du PIB à 24,8%. De plus, l’Opération Twist a considérablement allongé la maturité du portefeuille de la Fed.

Ces mesures, certes nécessaires au moment de leur adoption, compliqueront la conduite de la politique monétaire lorsqu’il s’agira de la rendre plus restrictive. Les trois phases d’assouplissement quantitatif ont toutes suivi le même mode opératoire : le rachat par la Fed de Treasuries et de MBS auprès des banques. Ces opérations ont gonflé l’actif de la Fed mais aussi son passif, la Fed créditant les comptes des banques de réserves additionnelles. Les réserves des établissements bancaires en excès de leur partie obligatoire, qui représentaient un peu plus de USD 10 mds à la fin de l’année 2007 sont aujourd’hui proches de USD 2 600 mds (près de 15 % du PIB).

En schématisant, en temps « normal », la Fed pilote le marché monétaire en fixant un objectif de rémunération des liquidités. En augmentant ou diminuant ces liquidités, elle conduit les taux courts vers un taux cible (Fed Fund Target, habituel outil principal de politique monétaire). L’abondance de réserves excédentaires détenues par le système bancaire à la Fed limite alors les capacités de la Fed à relever les taux d’intérêt : si elle réduit le montant des réserves sur le marché monétaire, les banques peuvent toujours puiser dans leurs réserves excédentaires pour satisfaire leurs besoins et les actions de la Fed sur le marché des fonds fédéraux restent sans effet sur les taux d’intérêt de court terme.

Comme indiqué dans les minutes, les outils envisagés pour dépasser ce problème sont les suivants : taux de rémunération des réserves excédentaires, opérations dites de « reverse repo » à taux fixe à un jour, les opérations de « reverse repo » à terme et le taux de la facilité de dépôt à terme. Aucun détail supplémentaire n’est communiqué ; les participants auraient simplement « débattu d’un grand nombre de sujets liés à la normalisation de la politique monétaire», considérant qu’il «était prudent de commencer à envisager les diverses options dès à présent […] de façon à permettre au Comité […] de communiquer ses projets bien en amont des premières décisions visant à la normalisation ».

Une autre information intéressante est toutefois fournie: les participants s’accordent sur la nécessité de plusieurs plans alternatifs. Le durcissement de la politique monétaire alors même que le bilan de la Fed est très élevé est une première et il est difficile de prévoir avec certitude les mécanismes qui pourraient se mettre en place. La Fed doit ainsi être capable de s’adapter rapidement, ajustant l’utilisation des outils disponibles afin d’optimiser son action. Si le plan A échoue, le plan B (voire un plan C ou D…) doit être prêt.

Les minutes ne font par ailleurs état de conditions économiques jugées par les participants comme inchangées depuis la réunion de mars. Un certain nombre font toutefois part de leurs préoccupations quant aux risques pesant sur l’activité : ralentissement plus marqué en Chine, escalade de la crise en Ukraine et ralentissement persistant de l’immobilier. Sur ce dernier point, les données publiées récemment sont rassurantes. En avril, les mises en chantier ont enregistré une très forte augmentation (+13,2%), conduisant à une accélération du glissement annuel (à +26,4 % après -2,4 % au T1). Les ventes dans l’ancien ont également rebondi en avril, quoique dans une moindre mesure, toujours en baisse en glissement annuel. Mais le nombre de biens disponibles à la vente a bondi, au plus haut depuis l’été 2012, illustrant l’optimisme des vendeurs quant à l’état du marché.

De longues discussions sur les conditions du marché du travail ont une fois de plus occupé les membres du FOMC, notamment quant aux mesures du sous-emploi. De l’avis général, le taux de chômage sous-estime la sous-utilisation de la main d’œuvre. Par ailleurs, en raison des rigidités à la baisse des salaires – qui ont empêché les salaires nominaux de reculer alors même que le taux de chômage augmentait rapidement – l’accélération des salaires n’est toujours pas prévue à court terme. Et la Fed réitère le message qu’elle n’est confrontée à l’habituel arbitrage entre ses deux objectifs: l’inflation est faible et le restera, et la Fed peut se concentrer exclusivement sur son second objectif de plein emploi. La prochaine réunion du FOMC aura lieu dans trois semaines et il est fort probable qu’elle n’apporte rien de nouveau. Elle sera néanmoins attendue : Stanley Fischer fera ses débuts en tant que vice-président…

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