BCE : la totale

Par Frederik Ducrozet, économiste au Crédit Agricole

• La BCE a réussi à surprendre favorablement, en dépit d’attentes élevées, en délivrant non pas certaines mais toutes les mesures d’assouplissement ou presque qui étaient envisagées. Ces dernières comprennent notamment un taux de dépôt négatif ainsi que des mesures de liquidité et d’assouplissement du crédit (les « TLTROs », ou opérations ciblées de refinancement de long terme).

• Ces dernières ont de bonnes chances de soutenir le cycle du crédit selon un cercle plus vertueux. Les modalités des TLTROs nous semblent généreuses et leur utilisation pourrait monter en puissance au fil du temps. La stratégie de guidage des anticipations a par ailleurs été renforcée via l’extension du régime d’appels d’offres illimités jusque fin 2016 et l’annonce de TLTROs à taux fixe.

• Draghi a indiqué que les taux directeurs avaient atteint leur point bas, tout en précisant que la tâche de la BCE n’était pas forcément terminée pour autant. Toute détérioration supplémentaire des perspectives d’inflation pourrait déclencher des achats directs d’actifs, lesquels viendraient s’ajouter aux mesures annoncées le 5 juin.

Qui a dit que la BCE allait encore décevoir ? Une des leçons que l’on peut tirer de la réunion du 5 juin, au-delà des détails techniques souvent complexes, est que la BCE a donné tort à la plupart de ses détracteurs. On peut critiquer le calendrier de ces annonces, mais on ne peut guère contester la détermination de la BCE à combattre le mouvement de désinflation actuel, selon nous. Les observateurs et intervenants de marché auront besoin de temps pour assimiler pleinement les conséquences de l’ensemble des mesures annoncées ce mois-ci, mais l’assouplissement des conditions de crédit soutiendra très probablement l’économie réelle, dans la périphérie de la zone euro en particulier. La principale justification des décisions de la BCE – adoptées à l’unanimité, un autre aspect essentiel du « paquet » délivré – est la nouvelle détérioration des perspectives d’inflation, mise en évidence par la baisse des prévisions du staff jusqu’en 2016.

Impact macro : renforcé positif et auto-renforcé

– Taux négatif et suspension de la stérilisation du programme SMP

La BCE a annoncé une baisse de 10 pdb de son principal taux de refinancement et du taux de la facilité de dépôt, une baisse très largement attendue qui a pour effet d’amener le taux de dépôt en territoire négatif, à -0,10%. Le taux de la facilité de prêt marginal a été abaissé plus fortement, de 0,75% à 0,40%, afin de rétablir la symétrie du corridor des taux directeurs. Cette facilité de prêt marginal n’a été que très peu utilisée ces derniers temps, mais le resserrement du corridor devrait contribuer à contenir l’Eonia dans un intervalle plus étroit. Comme la BCE l’a expliqué dans l’un des différents communiqués de presse (lien), le taux de -0,10% s’appliquera non seulement à la facilité de dépôt, mais aussi à la moyenne des réserves excédentaires des banques sur leur compte courant à la BCE, ainsi qu’à un certain nombre d’autres facilités(1). Ces ajustements techniques sont destinés à éviter que les banques ne cherchent à échapper à la taxe sur les réserves excédentaires (en déplaçant ces dernières hors de la facilité de dépôt vers un autre support) et permettent donc d’optimiser l’impact des taux négatifs.

L’impact net sur les taux de marché dépendra du niveau de liquidité excédentaire dans le système, à l’équilibre, notamment après la suspension de la stérilisation du programme SMP (lien). Quoi qu’il en soit, nous maintenons l’idée que cette baisse des taux a son importance (lien), bien qu’elle ait déjà été intégrée dans les prix. Le signal véhiculé par l’adoption de taux négatifs ne doit pas être sous- estimé – à en juger par la réaction de la presse allemande, c’est une décision courageuse d’un point de vue politique également. Un élément plus surprenant, après les fuites dont la presse s’est fait l’écho, est la déclaration de Mario Draghi selon laquelle les taux directeurs ont atteint leur point bas, même si certains « ajustements techniques » peuvent encore être faits, probablement en lien avec la mise en œuvre du taux négatif. Le président de la BCE ayant déclaré que la BCE n’en avait pas nécessairement terminé avec les mesures d’assouplissement, toute nouvelle initiative prendrait la forme de mesures non conventionnelles (et plus radicales).

– Un nouvel LTRO? Non, une série de « TLTROs » !

La BCE a annoncé une série d’opérations ciblées de refinancement de long terme (ou TLTROs pour Targeted Longer-Term Refinancing Operations) dotées de modalités très généreuses. Ces TLTROs seront notamment lancés chaque trimestre entre septembre 2014 et juin 2016, à un taux fixe égal au taux des appels d’offres hebdomadaires (MRO), majoré de 10 pdb. Toutes les opérations arriveront à échéance en 2018, résultant dans des maturités de deux à quatre ans. Les calculs permettant de déterminer le montant que les banques seront autorisées à emprunter (lien) sont un peu complexes : ils font intervenir à la fois le stock de prêts au secteur privé de la zone euro (hors secteur financier et hors prêts immobiliers aux ménages), puis le montant net de prêts supplémentaires à l’économie réelle (pour les TLTROs conduits entre mars 2015 et juin 2016).

Le montant maximum qui pourrait être mis à disposition initialement serait de 7% du montant des prêts retenus, ce qui représentait un potentiel de 400 Mds EUR en avril 2014. La demande de crédit anticipée, les besoins en capital ou encore la disponibilité des collatéraux font partie des contraintes qui pourraient limiter le montant effectif de la demande pour les TLTROs, mais il nous semble raisonnable d’imaginer qu’après un démarrage potentiellement modeste, la demande devrait graduellement monter en puissance avec le temps. D’autres difficultés doivent aussi être mentionnées. Les banques devront rembourser les sommes empruntées si leurs prêts nets sont inférieurs au montant requis (mais sans pénalités). De plus, les exigences de fonds propres liées aux emplois pondérés ne vont pas disparaître une fois que la revue des bilans bancaires (AQR) et les stress tests seront terminés, ce qui dans certains cas limitera la capacité des banques périphériques à emprunter autant qu’elles le souhaiteraient. Les contraintes imposées par la régulation prudentielle sont elles aussi connues, et amenées à être assouplies à la marge et à moyen terme seulement, dans le meilleur des cas.

Par ailleurs, la BCE a décidé « d’intensifier son travail préparatoire concernant les achats d’ABS », sans exclure a priori certaines catégories d’ABS (créances adossées à des actifs) comme les MBS (adossées à des prêts hypothécaires). La BCE ne pouvait guère aller plus loin dans la préannonce d’un programme visant les ABS, une des mesures les plus fortes parmi les mesures d’assouplissement du crédit (lien) que nous envisagions. Les « modalités appropriées » devront être « mises au point », le calendrier et les caractéristiques de ce programme d’achat restent incertains et les montants en jeu pourraient au final s’avérer modestes. Mais cette nouvelle initiative, audacieuse, nous donne une raison de plus d’être optimistes quant à l’effet macroéconomique à moyen terme de l’ensemble des mesures annoncées par la BCE. Idéalement, la combinaison de ces mesures aura un effet vertueux et auto-renforcé sur la dynamique du crédit en 2015.

– Un guidage des anticipations encore plus fort

Parmi les dernières mesures importantes du «paquet» (lien) se trouve la prolongation du régime d’appels d’offres illimités de liquidité à taux fixe (FRFA, pour Fixed-Rate, Full Allotment), aussi longtemps que nécessaire et au moins jusqu’en décembre 2016, soit marginalement plus que prévu. Les opérations spéciales de refinancement à 1 mois seront arrêtées en juillet prochain, tandis que les LTROs régulières à 3 mois seront conduites à taux fixe jusqu’à nouvel ordre.

Mario Draghi a clairement annoncé que l’ensemble de ces mesures constituait un renforcement de la stratégie de guidage des anticipations, notamment à travers la prolongation des FRFA et l’annonce des TLTROs à taux fixe (contrairement aux précédents LTROs à 3 ans dont le taux était indexé sur celui de la BCE). Point important, Mario Draghi a ajouté que l’ensemble des mesures avait été adopté à l’unanimité, ce qui renforce la crédibilité de la déclaration selon laquelle, même après les annonces de juin, la BCE serait prête à faire davantage si nécessaire, c'est-à-dire si les perspectives d’inflation continuent de se détériorer. On pourrait dans ce cas imaginer, par exemple, un assouplissement des conditions liées aux TLTROs avant des rachats d’actifs ciblés type ABS.

NOTES

  1. Parmi lesquelles : les dépôts gouvernementaux au-delà de « certains seuils qui seront communiqués dans les directives ad hoc qui seront publiées le 7 juin » ; « les comptes utilisés pour la gestion des réserves des membres de l’Eurosystème s’ils ne sont pas rémunérés actuellement ; les soldes des participants dans TARGET2; (v) les soldes des comptes des Banques centrales nationales hors Eurosystème (dépôts au jour le jour) détenus dans TARGET2 et tous autres comptes détenus par un tiers auprès des Banques centrales de l’Eurosystème lorsqu’il est stipulé qu’ils ne sont pas rémunérés actuellement ou qu’ils le sont au taux de la facilité de dépôt. »

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