par Marie-Pierre Ripert, économiste chez Natixis
Après l’enthousiasme provoqué par le discours de Jackson Hole et le conseil des gouverneurs de début septembre, la BCE semble avoir déçu les marchés lors de sa réunion du 2 octobre. Alors que la nouvelle baisse de l’inflation en septembre, qui atteint un nouveau point bas à 0,3%, avait probablement ravivé les anticipations de QE, M. Draghi n’a rien annoncé de nouveau par rapport au mois précédent. Il s’est même montré un peu plus flou sur l’ampleur de la hausse de la taille du bilan de la BCE attendue avec les nouveaux programmes d’achats de covered bonds et d’ABS alors qu’il avait mentionné un retour au niveau de début 2012 lors de la conférence de presse de septembre (soit une hausse d’environ 700 Md€).
Seuls les détails techniques sur les achats de covered et d’ABS ont été publiés révélant un début des achats mi-octobre pour les premiers et courant du T4-2014 pour les seconds (cf. chronique « ABSolutely Fabulous »).
Certes, la BCE est capable de surprendre positivement les marchés comme cela avait été le cas début juin (cf. Edito : « BCE : quels effets du package ? ») ou même début septembre (cf. Edito : « Le nouveau pari de la BCE »), mais elle pouvait difficilement surenchérir en octobre.
La BCE peut parfois sembler timorée comparé à ses homologues anglo-saxonnes ou japonaise. Il ne faudrait toutefois pas oublier que la BCE a beaucoup évolué ces derniers mois avec notamment 1/ la décision de porter le refi à 0,05% mais surtout de porter le taux de dépôt en négatif ce qui était considéré comme une mesure non orthodoxe par beaucoup, 2/ l’arrêt de la stérilisation du programme SMP impliquant de l’injection de liquidité, 3/ des prêts à 4 ans à 0,15%, 4/ l’acceptation de prise de risque au bilan via les achats d’ABS.
De plus, l’efficacité des mesures de la BCE est souvent remise en cause, les arguments principaux étant que la faiblesse des crédits provient de celle de la demande de prêt et que les banques avec Bâle 3 sont soumises à des règles ne leur permettant pas d’alourdir leur bilan. Le premier argument est de moins en moins vrai avec une amélioration significative de la demande de prêt notamment dans les pays périphériques. De plus, la prise de risque au bilan est un moyen de pallier en partie le deuxième argument. Si nous ne croyons pas à un rebond spectaculaire des crédits aux agents privés, il nous semble toutefois que les mesures de la BCE permettent d’éviter davantage de contraction, notamment à nouveau dans les pays périphériques.
La politique de la BCE a également des impacts sur la croissance via l’évolution des taux d’intérêt et la dépréciation de l’euro. D’une part, la faiblesse des taux a des effets favorables sur le financement des états et permet de solvabiliser certains agents privés. D’autre part, l’euro a perdu quasiment 10% depuis début mai (1,26 aujourd’hui vs 1,39) et les anticipations sont celles d’une poursuite de sa dépréciation dans les mois qui viennent. Une dépréciation de 10% est loin d’être anecdotique pour les entreprises exportatrices notamment françaises ou espagnoles qui sont sensibles à l’évolution du taux de change. Elle va également renchérir les prix des biens importés. Jusqu’à présent l’effet de la dépréciation de l’euro n’est guère visible : d’une part, la baisse concomitante du prix du pétrole annule l’effet haussier sur les importations d’énergie. Par ailleurs, l’effet sur les prix d’import hors énergie n’est pas immédiat. Au total l’impact de la dépréciation du change sur l’activité réelle et l’inflation va prendre du temps.
Au-delà d’une inflation très faible, il faudrait une baisse significative des anticipations d’inflation dans les mois qui viennent, reflétant un risque de déflation imminent, pour que la BCE franchisse la barrière la séparant d’achats massifs de titres publics. En l’absence d’un tel décrochage, la BCE va probablement essayer de maintenir son effet sur les taux longs et l’euro via sa forward guidance et communiquer sur les programmes en cours dont les effets vont se faire sentir progressivement sur les prix et l’activité. La réticence de certains est en effet trop grande aujourd’hui pour décider d’un QE. D’ailleurs, les mesures récentes de prise de risque au bilan n’ont pas fait l’unanimité.
La BCE fait encore aujourd’hui le pari que les effets de sa politique vont se matérialiser dans les mois qui viennent évitant ainsi la déflation. Il faudrait qu’elle arrive à en convaincre les marchés.