Liquidité positive vs fondamental anxiogène…

par Jean-Marie Mercadal, Directeur Général Délégué en charge des gestions

Le message donné par les marchés est contradictoire : d’un côté, celui des actions est positif avec une tendance haussière depuis trois ans, à peine remise en question par des phases de consolidation très courtes… De l’autre, les marchés obligataires nous annoncent un monde déflationniste, particulièrement en zone Euro…

Les marchés sont-ils trop déconnectés de la réalité sous l’impulsion de la liquidité donnée par les Banques Centrales, ou les actions sont-t-elles encore attractives ? Notre comité d’allocation d’actifs penche vers un scénario positif, au moins par défaut !

Economie internationale

– Un moteur unique, les Etats-Unis ; une grande question, la Chine

Nous sommes dans une phase de croissance mondiale assez faible, autour de 3 %, et ce n’est pas étonnant puisqu’il n’y a que les États-Unis qui sont en phase d’accélération. Les derniers chiffres de croissance au T2 ont été rassurants, à plus de 4 %, et confirment la thèse de l’acci- dent climatique au T1. L’économie américaine devrait donc dépasser 2 % cette année et approcher 3 % en 2015. La croissance de la zone Euro reste faible, à moins de 1 %, et est attendue en amélioration à 1,5 % en 2015, ce qui semble optimiste au vu des derniers indicateurs en Allemagne. Les pays émergents déçoivent aussi, avec une quasi-récession en Russie et au Brésil cette année. La chine suscite beaucoup d’interrogations et d’inquiétude avec le risque de ralentissement lié à une explosion de la « soit disant » bulle immobilière. Nous pensons que ce problème sera surmonté et piloté correcte- ment. Nous misons sur un « soft landing » et une croissance peut-être légèrement inférieure à 7 %, mais le pays est en réorientation majeure, ce qui paraît positif à long terme. La bonne nouvelle globalement est la baisse des matières premières, et particulièrement du pétrole, qui devrait à terme soutenir l’activité.

Politiques monétaires

– La BCE entrouvre la porte du QE, la Fed la referme…

La BCE de Mario Draghi a clairement changé et s’engage progressivement en faveur d’une politique de soutien. Les dernières avancées sont ainsi significatives : baisse du principal taux directeur de refinancement à 0,05 %, taux de dépôt négatif, mise en place d’un programme d’achat de titres conditionnels, ouverture vers le QE, objectif d’augmentation du bilan de la BCE de 50 %… Bref, elle donne de la visibilité et fait tout pour que les Banques se remettent à prêter, ce qui pourrait être le cas après le test de « qualité de revue de leurs actif » qu’elles vont subir en octobre. La Fed est dans une situation opposée : l’économie est repartie, le programme d’achat de titres gouvernementaux s’achève et les taux directeurs vont probablement être relevés l’année prochaine, autour de septembre d’après le consensus…

Taux d’intérêt

– Sera-t-il dit que Bill Gross a quitté Pimco juste avant une tension des taux obligataires ? Pas sûr…

Les niveaux atteints ne sont clairement pas attractifs, ni sur les obligations gouvernementales, ni sur les obligations d’entreprises « Investment Grade » ou « High Yield ». Mais avec la quasi-certitude d’avoir des taux monétaires quasi-nuls pour longtemps en zone Euro, dans un contexte de faible croissance et de baisse de l’inflation, il est difficile d’envisager une tension significative des rendements obligataires. Dans un scénario de légère reprise, un ajustement à la hausse de 25/50 pb est certes possible, mais les investisseurs de long terme sont à l’affut de la moindre tension pour investir à nouveau… Aux États-Unis, le cycle est clairement différent. Mais le point bas des taux à 10 ans a été atteint l’année dernière et ils se sont tendus de plus de 100 pb depuis. Historiquement, la courbe s’aplatit quand les taux courts commencent à remonter sous l’impulsion de la politique monétaire. La logique voudrait alors que les taux obligataires remontent outre-Atlantique, mais le rythme devrait être modéré…

Le cas de la dette émergente devient plus pro- blématique : elle paraît intéressante en termes de rendement (autour de 6 à 7 % selon qu’elles soient en monnaies locales ou en dollars), mais beaucoup de pays émergents ont émis en dollars, ce qui pourra les fragiliser si le dollar se renforce sensiblement, comme cela a été souvent le cas historiquement.

– Obligations convertibles : du nouveau !

Au cours de l’été, les volatilités implicites se sont nettement repliés en Europe, passant de près de 34 à 25 %. Elles sont donc beaucoup moins chères et retrouvent des niveaux atteints en mai 2009, juste à la sortie de la crise financière. De même, le delta moyen du gisement a beau- coup baissé et revient à près de 30. Ainsi, après un été décevant en termes de performance, les obligations convertibles européennes redeviennent attractives.

Devises

Le dollar vient de gagner près de 8 % contre les principales autres grandes monnaies. Le dernier cas similaire avait eu lieu à l’automne 2008, paroxysme de la crise financière, le précédant en 1992. Ce mouvement semble parti pour durer : le dollar sera soutenu de plus en plus par un différentiel de taux favorable. Par le passé, les mouvements de change sont souvent brusques et de grande ampleur. Rappelons que l’euro a été lancé à une parité de près de 0,90 en 1999…

Actions

– Attractives en relatif, mais le « Bull Market » est « mature »…

Nous conservons une appréciation positive vis- à-vis des actions : elles offrent aujourd’hui des perspectives de performance bien supérieures aux marchés obligataires, même si le « chemin facile » de rattrapage des décotes a déjà été fait. Les actions européennes ont notre préférence : elles sont en retard de cycle par rapport aux entreprises américaines (marges encore loin des plus hauts, valorisations inférieures…). Le PER 2014 de l’indice Stoxx Europe 600 ressort ainsi à près de 13,5, avec des croissances de bénéfices attendues en progression de 8 % cette année. Elles paraissent plutôt fiables cette fois car le momentum de révisions négatives s’estompe, notamment sous l’effet de la reprise du dollar. Nous aimons également les actions américaines, même si elles sont plus avancées dans le cycle et que leurs valorisations sont un peu élevées aujourd’hui avec un PER de près de 16,5 sur les résultats 2014, des prix/valeurs comptables de plus de 2,5, ce qui est plutôt dans le haut des fourchettes historiques. Cette année, les résultats sont attendus en progression de près de 9 %, et de 10 % en 2015. Ces estimations pourraient être remises en cause si le dollar continue à progresser, ce qui est notre scénario. En effet, près du tiers des entreprises de l’indice S&P 500 tirent leur chiffre d’affaires de l’international, ce qui pénalise les bénéfices ramenés en dollars.

Par ailleurs, les entreprises américaines ouvertes à la concurrence sont également moins compétitives sur leur marché domestique, comme pour le cas de l’automobile par exemple. Les prochaines publications de résultats pourraient donc décevoir les attentes du marché et provoquer des réactions boursières mitigées. Ceci-dit, sur longue période, il n’y a pas vraiment de corrélation évidente entre le dollar et les actions américaines. Au cours des dernières grandes phases haussières du dollar, on a également constaté une progression de Wall Street : la plus spectaculaire s’est produite lors du puissant « Bull Market » de 1995/2001 ; durant cette période, le dollar a progressé de plus de 45 % contre les autres principales monnaies (Dollar Index) alors que l’indice S&P 500 avait plus que doublé. Précédemment, au début des années 80 et l’arrivée de Paul Volcker à la tête de la Réserve Fédérale, le dollar s’est inscrit en hausse de près de 80 % entre juin 1980 et décembre 1984 alors que le S&P 500 gagnait 45 %. Contrairement aux idées reçues, pour un investisseur européen, la performance des actions américaines ramenée en euros et ajustée du risque en euros est pratiquement imbattable sur longue période !

Le cas des actions émergentes est plus délicat : elles présentent toujours dans l’ensemble une décote de valorisation significative de près de 25 % vis-à-vis des actions occidentales et restent intéressantes sur longue période. Mais après le rapide rattrapage récent entre mars et septem- bre, nous sommes tentés d’adopter une attitude plus prudente : historiquement, les pays émer- gents sont pénalisés par les phases de vive remontée du dollar avec des taux de change qui se déprécient significativement. Certains pays comme le Brésil paraissent ainsi vulnérables, à moins d’un changement majeur de politique économique après les élections. Notre préférence au sein de ce segment va aux actions chinoises, particulièrement celles qui sont cotées localement. Leur parcours boursier a été très décevant ces dernières années si bien que les valorisations sont aujourd’hui très attractives (PER de près de 10 sur les résultats 2014). La détente sensible des taux d’intérêt en Chine va inciter les investisseurs locaux à revenir vers les actions (marché essentiellement de particuliers). On note d’ailleurs un certain frémissement et le potentiel est très important.