Par Frederik Ducrozet, économiste au Crédit Agricole
• La BCE a apporté un certain nombre de modifications "dovish" à sa communication, réaffirmant ainsi sa stratégie sans ambiguïté.
• 1) La référence à une expansion d’environ 1000 milliards d’euros du bilan de la banque centrale a été incluse dans le communiqué introductif. 2) La BCE confirme son engagement unanime à assouplir son réglage monétaire si nécessaire, et a chargé ses services internes de préparer de telles mesures non conventionnelles. 3) Le Conseil des Gouverneurs a dans les faits pré-annoncé une révision à la baisse des prévisions du staff des économistes de la BCE en décembre.
• La pression à l'assouplissement sera forte dans les mois à venir, mais les commentaires de Draghi nous confortent dans l’idée qu'un programme de rachats de dettes publiques reste la solution de tout dernier recours. Des mesures intermédiaires pourraient être annoncées en décembre (assouplissement des conditions des TLTRO) et au T1 2015 (achats d’obligations d’entreprises).
L’une des principales causes de la faiblesse de la croissance en zone euro est la fragmentation qui subsiste sur les marchés bancaires et du crédit, et qui entrave la transmission de la politique monétaire. La dernière chose dont l’union monétaire avait besoin était donc une fragmentation croissante au sein du Conseil des gouverneurs de la BCE. La performance de son président Mario Draghi lors de la conférence de presse de ce jeudi apporte une clarification tout à fait opportune : la cohésion d'ensemble de la BCE ne saurait être minée par des débats internes.
Les modifications apportées au communiqué introductif, explicitement approuvées par l’ensemble des membres du Conseil des gouverneurs, sont cruciales pour la crédibilité du «Plan A» de la BCE. Point clé: le fait que la référence à l’objectif d’expansion du bilan ait été ajoutée à cette déclaration permettra de dissiper toute ambiguïté quant à d’éventuelles dissensions. Ces dernières pourront persister sur certaines mesures spécifiques, mais la stratégie d'ensemble ne souffre aucune contestation. L’objectif quantitatif – une hausse d’environ 1 000 milliards d’euros – a également été clarifié ; le bilan de la BCE se rapprocherait de ses niveaux de mars 2012 (adieu, ambiguïté constructive…), même si aucun calendrier spécifique n’est défini ex ante. Ce dernier point fait d'ailleurs partie de l'accord conclu avec les membres les plus hawkish du Conseil comme Weidmann.
Par ailleurs, le Conseil des gouverneurs de la BCE a réaffirmé son engagement unanime à recourir si nécessaire à d’autres mesures non conventionnelles dans le cadre de son mandat, ajoutant que les comités internes et les services de la BCE avaient été chargés de préparer ces mesures « en temps voulu », ce qui suggère une possible accélération du processus. Mario Draghi a ajouté que le Conseil avait eu un long débat sur ces options potentielles, et s’était notamment appuyé sur les expériences monétaires passées des États-Unis ou du Japon. Le président de la BCE a avancé des arguments qui, selon nous, vont en théorie à l’encontre de l’achat d’obligations souveraines en zone euro, en déclarant notamment que l’impact d’un "QE" souverain dépendait des conditions initiales (des taux d’ores et déjà bas dans la zone euro), des structures financières (forte intermédiation bancaire en Europe) ou, plus généralement, de la politique économique.
En termes de perspectives macroéconomiques, Mario Draghi a laissé entendre qu’une révision en baisse des prévisions du staff de la BCE serait présentée en décembre, a minima pour intégrer l’atonie des données récentes. Les chiffres du PIB du T3, qui seront publiés le 14 novembre prochain, ne devraient refléter qu'un rebond modeste de l’activité dans le meilleur des cas, même si l’espoir persiste que l’économie reprenne des couleurs en 2015. Mario Draghi a mentionné une amélioration progressive des conditions de crédit, citant notamment la dernière enquête BLS auprès des banques (Bank Lending Survey, sur les conditions de crédit). La BCE estime en revanche que l’inflation restera proche des niveaux actuels dans les mois à venir, ce qui signifie que les prévisions du staff seront abaissées, au moins pour l’année prochaine compte tenu des effets d'acquis, pour se rapprocher de la limite basse du scénario présenté en septembre.
Compte tenu de la méthodologie de la BCE et des hypothèses à intégrer (pétrole et taux de change), la prévision d’inflation IPCH pour 2015 devrait être ramenée à 0,8% (contre 1,1% en septembre), un chiffre conforme à ceux de la Commission européenne. Les projections pour 2016 pourraient toutefois rester globalement inchangées (à 1,4%). Le point médian pour 2017, qui sera dévoilé pour la première fois en décembre, pourrait dépasser1,5% grâce à la bonne tenue de l’inflation sous-jacente et au repli de l’euro. Comme nous l’avons indiqué à plusieurs reprises, à son niveau actuel d’environ 1,24, l’euro est proche du « scénario alternatif du taux de change » évoqué dans le document de la BCE, ce qui, en septembre dernier, était qualifié d'hypothèse cohérente avec un profil d’inflation plus élevé, et un retour vers l’objectif de stabilité des prix d’ici fin 2016.
Enfin, Mario Draghi a répondu avec brio aux questions portant sur les tensions supposées avec ses collègues (« Il est tout à fait normal de ne pas être toujours d’accord »), le risque de crédit pris par la BCE dans le cadre des achats d’actifs, la publication de courriers adressés à l’Irlande (« La BCE n’a pas forcé l’Irlande à demander un plan de sauvetage, il s’agissait d’un dialogue ; l’Irlande affichera la plus forte croissance d’Europe l’an prochain ») ou encore la publication prochaine des compte-rendus des réunions (« Les minutes doivent préserver l’indépendance des Gouverneurs et la franchise de nos débats ; nous avons bien progressé sur le sujet »).
En conclusion, les signaux accommodants envoyés ce jeudi nous confortent dans l’idée que la politique de la BCE restera flexible et influencée par les données économiques. A supposer que la baisse des prévisions du staff porte principalement sur 2015 et que la trajectoire haussière de 2016 sera confirmée, nous continuons de penser que les prochaines mesures d’assouplissement prendront la forme d’ajustements des programmes existants, notamment un assouplissement des conditions des TLTRO (en décembre) et un élargissement du programme de rachat d’actifs aux obligations d’entreprises (probablement au T1 2015). Le principal risque serait celui d’une réponse décalée dans le temps, sur la base des "catalyseurs" évoqués par Mario Draghi: à moins d’un choc sur les anticipations d’inflation (catalyseur 1), la BCE pourrait avoir besoin de plus de temps pour évaluer la pertinence des mesures existantes (catalyseur2), a fortiori si les conditions des TLTRO sont assouplies en décembre.