Allemagne : Trou d’air ou rupture de tendance ?

par Caroline Newhouse, économiste chez BNP Paribas

L’Allemagne, très dépendante de ses marchés à l’exportation, notamment ceux d’Europe de l’Est et d’Asie, a souffert plus que d’autres de la dégradation du contexte mondial.

Les sanctions économiques et financières prises à l’encontre de la Russie, la plongée en récession de cette dernière, le ralentissement en Chine, lui coûtent cher.

L’économie de l’Allemagne, qui a marqué le pas dès le deuxième trimestre, reste à l’arrêt. Sa reprise pourrait être différée au début de 2015.

Parmi les facteurs de soutien, l’amélioration des fondamentaux de la zone euro (40% des exportations), la baisse de l’euro, et les actions de politique monétaire, qui n’ont pas encore produit tous leurs effets.

Enfin, la faiblesse de l’activité donne des arguments à ceux qui, au sein de la coalition, souhaiteraient que l’Etat fédéral soutienne la croissance.

Premier pas, le ministre de Finances annonce 10 milliards d’euros d’investissements publics supplémentaires, mais seulement à partir de 2016. Après un début d’année 2014 en fanfare, la croissance allemande a connu un net coup de frein au deuxième trimestre. Elle s’est contractée de 0,1% t/t (révisée à la hausse par rapport à une première estimation à -0,2% t/t), alors que la zone euro stagnait.

Simple trou d’air ou entrée en récession technique ? La publication de la première estimation du PIB pour le troisième trimestre (+0,1% t/t) a permis de trancher. Aucun détail n’était encore disponible, mais le communiqué de l’Office fédéral de statistiques, Destatis, diffusé au même moment, a donné quelques informations sur l’évolution des principales composantes de la demande. La consommation des ménages aurait été particulièrement dynamique, tandis que le commerce extérieur aurait aussi soutenu l’activité. A contrario, l’investissement des entreprises en machines et biens d’équipement aurait chuté. Enfin les entreprises auraient massivement déstocké. Toutefois, à ce jour, ni les données d’enquêtes (IFO, ZEW, PMI) ni celles relatives au secteur industriel ne permettent d’être optimiste quant à une reprise marquée et précoce de l’activité.

Un été 2014 très maussade

L’indice du climat des affaires de l’enquête IFO a reculé pour le sixième mois consécutif en octobre, à 103,2 son niveau le plus bas depuis décembre 2012, après 104,7 en septembre. Il reste toutefois au-dessus de sa moyenne de long-terme. L’indice de situation courante a continué de se replier en baisse de 2 points, au plus bas depuis janvier 2013, bien que demeurant au-dessus de sa moyenne de long terme. A contrario, l’indice des anticipations a continué de reculer sous sa moyenne de long terme atteignant son niveau le plus faible depuis décembre 2012. L’indice du climat des affaires s’est replié dans tous les secteurs, si ce n’est le commerce de gros. Dans le secteur manufacturier, il a baissé de 5 points à 1,5 son niveau le plus bas depuis décembre 2012, enregistrant son plus fort recul depuis avril 2013. Hors alimentation, boisson et tabac, l’indice du climat des affaires dans le secteur manufacturier est même passé sous sa moyenne de long terme.

Consommation des ménages fragile

La consommation des ménages, qui avait nettement soutenu l’activité au premier semestre, a été particulièrement dynamique au troisième trimestre, selon Destatis. En effet, les conditions sont réunies pour soutenir la confiance des ménages et leur revenu disponible. Le marché du travail est proche du plein emploi. Le taux de chômage est resté inchangé pour le septième mois consécutif à 6,7% en octobre et les salaires progressent à un rythme soutenu (3,4% en moyenne depuis le début de l’année contre 2,5% en 2013), compte tenu du faible niveau d’inflation dont la progression est limitée par la baisse du coût des matières premières. En octobre, les prix à la consommation ont reculé de 0,8% g.a. en septembre à 0,7%. En outre, l’introduction du salaire minimum devrait pouvoir bénéficier à près de 4 millions d’Allemands et avoir un effet positif sur leur revenu disponible. Enfin, les conditions monétaires et financières sont plus favorables depuis la dernière réunion de la BCE. Pourtant l’enquête GfK auprès des ménages ne présageait rien de bon. La confiance s’est dégradée tout au long de l’été. En particulier, les perspectives quant à l’évolution de l’économie allemande ont été jugées franchement plus sombres en septembre et octobre.

Contraction de la production industrielle au T3

L’industrie continue d’occuper une place privilégiée dans l’économie allemande. Elle emploie un tiers de la population active, contribue pour plus du quart de la valeur ajoutée totale, et fournit 80% des exportations qui, au total, représentent la moitié du PIB allemand. La place prise par l’industrie rend l’économie fédérale plus cyclique que certains de ses grands voisins, comme la France. Le secteur des biens d’équipement (mécanique) et des biens durables (automobiles) a bénéficié pleinement de la reprise du commerce mondial et de l’accélération de la demande en provenance des principaux pays émergents. Or le contexte géopolitique (crise ukrainienne, offensive djihadiste en Irak, en Syrie, aux abords de la Turquie), la récession en Russie, le ralentissement en Chine, pèsent sur l’activité allemande à la fois directement via les échanges avec ces régions du monde mais aussi indirectement via la conjoncture déprimée de la zone euro qui demeure le principal partenaire commercial de l’Allemagne, représentant près de 40% des exportations totales allemandes. Dans ce contexte, les données de production industrielle publiées pour septembre confirment la première estimation de la croissance du PIB au T3.

En septembre, la production industrielle s’est redressée de 1,4% après avoir enregistré en août sa plus forte baisse depuis janvier 2009 (révisée à la hausse de -4% en première estimation à -3,1%). Elle est quasiment restée inchangée sur un an (-0,2%). Parmi les branches industrielles, la production s’est redressée dans le secteur manufacturier (1,6% m/m après -4% contre une première estimation à -4,8% m/m). En particulier, elle a enregistré un rebond de 4,5% après la chute du mois précédent (révisée de -8,8% en première estimation à -7,9%) dans le secteur des biens d’investissement, qui compte pour un tiers de l’activité totale et est un bon indicateur avancé de l’investissement productif. Au troisième trimestre, la production industrielle s’est légèrement repliée (-0,3% t/t, après -1,1% au T2). Par le passé, un tel repli limité de l’activité dans le secteur industriel accompagne une quasi-stagnation de la croissance du PIB.

Perspectives à peine meilleures pour la fin de l’année

Par ailleurs, la situation ne devrait pas s’améliorer rapidement. Les commandes manufacturières ont faiblement rebondi en septembre (+0,8% m/m), et sont donc restées quasiment inchangées au T3 (+0,1% t/t), ce qui ne préfigure pas un rebond marqué de la croissance au quatrième trimestre. Dans ces conditions, la baisse de régime de l’activité allemande donne des arguments à ceux qui souhaiteraient que l’Etat fédéral soutienne dès à présent la croissance à travers un programme d’investissement supérieur à ce qui avait été prévu par le contrat de coalition. Leur déception à Bruxelles, Paris et Berlin a été grande à l’annonce faite en fin de semaine par Wolfgang Schaüble, d’un plan d’investissement supplémentaire. De faible ampleur (EUR10mds sur trois ans, soit 0,11% du PIB par an), il ne débutera de surcroit qu’en 2016 et devrait être financé sur les recettes supplémentaires escomptées de la reprise économique. Il n’est en effet pas question de revenir sur l’objectif d’équilibre budgétaire dès 2015, a rappelé le Ministre des finances.

Rupture de tendance ?

Au-delà, à plus long terme, les BRIC seront moins dynamiques, or l’Allemagne en a beaucoup dépendu. Le sentier de croissance pourrait en conséquence ne pas être aussi soutenu que lors des cycles précédents (+0,6% t/t en moyenne l’année qui a suivi les deux derniers épisodes de récession de 2008 et de 2012) dans la mesure où la demande hors Union européenne qui représente plus de 40% des exportations, et en particulier celle en provenance des BRIC, accuse un ralentissement marqué.

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