France : des perspectives de croissance un peu meilleures

par Hélène Baudchon, économiste chez BNP Paribas

•  L’action combinée de la baisse du pétrole, de l’euro et du stimulus monétaire de la BCE accroît les chances de reprise en 2015, à hauteur d’environ 0,5 point de croissance en plus.

•  Si le PIB ne progresse que de 0,1% au quatrième trimestre 2014, les données d’activité pour décembre sont très positives et permettent de terminer l’année sur une note encourageante.

•  La France n’est cependant pas encore tirée d’affaires. La croissance, attendue légèrement supérieure à 1% en 2015, restera fragile et peu élevée.

Chances accrues de reprise…

La reprise tant attendue en France semble de nouveau en vue, après trois années d’espoirs déçus et de stagnation économique. Mais cette année pourrait bien être différente des précédentes car la croissance bénéficie de trois nouveaux facteurs de soutien. Il s’agit tout d’abord de la baisse marquée du prix du pétrole : -50% pour le baril de Brent en dollars depuis juin 2014, ramenée à -40% en euros. Ensuite, il y a la nette dépréciation de la monnaie unique : près de – 20% depuis mars 2014 contre le dollar mais seulement -5% mesurée en taux de change effectif nominal (c’est-à-dire en tenant compte des variations de l’euro contre les autres devises et de la structure du commerce extérieur de la zone1). Et enfin, il y a, à compter de mars 2015, l’engagement de la BCE dans une politique d’assouplissement quantitatif de grande ampleur (QE)2.

Les effets positifs attendus de ces évolutions transitent par la hausse du pouvoir d’achat des ménages, celle des profits des entreprises, l’amélioration de la compétitivité-prix des exportations et des conditions de financement dans et de l’économie. Tout cela entraîne aussi la confiance à la hausse et l’ensemble signifie plus de consommation, d’investissement, d’exportations, moins d’importations, et donc, in fine, plus de croissance. Et cette impulsion directe est accrue par l’effet bénéfique indirect du surcroît de croissance obtenu pareillement chez les partenaires commerciaux de la France, notamment ceux de la zone euro. De plus, ces évolutions favorables s’ajoutent à d’autres facteurs de soutien préexistants. Il s’agit du niveau déjà très bas des taux d’intérêt français et aussi, et surtout, des efforts de relance de l’offre et de soutien de la demande via les pactes de compétitivité, d’une part, et de responsabilité et de solidarité, d’autre part, qui devraient commencer à porter leurs fruits. Par ailleurs, on s’attend aussi, depuis quelque temps déjà, à ce que le secteur de la construction sorte de son marasme actuel, ce qui ôterait un frein important à la croissance française.

La remontée récente, bien qu’encore hésitante, des enquêtes de confiance auprès des consommateurs et des entreprises appuie ce scénario de reprise. Sur la base du résultat de ses enquêtes pour janvier, la Banque de France prévoit ainsi 0,4% de croissance au premier trimestre 2015. Et l’année 2014 s’est terminée sur une note très positive avec de fortes progressions, en décembre, de la production industrielle (+1,5% m/m), des ventes au détail (+1,5% m/m) et des exportations de marchandises (+1,8%m/m). Ces bons chiffres venant corriger les évolutions négatives des mois précédents, ils ne se retrouvent donc pas vraiment dans ceux du PIB pour le quatrième trimestre. Celui-ci n’a, en effet, que très peu progressé (+0,1% t/t en première estimation contre +0,3% t/t pour l’ensemble de la zone euro), un contrecoup attendu après la bonne surprise du troisième trimestre (avec une hausse confirmée de 0,3% du PIB). La progression modeste du PIB au quatrième trimestre s’appuie, comme prévu, sur celle, également modeste, de la consommation des ménages (+0,2% t/t) et sur la contribution positive du commerce extérieur (+0,1 point de pourcentage), grâce au rebond des exportations (+2,3% t/t) plus marqué que celui des importations (+1,7% t/t). La croissance est, en revanche, tirée vers le bas par la nouvelle contraction de l’investissement total (-0,5%) et par la contribution négative des variations de stocks (-0,2 point).

…mais avec d’importantes réserves

S’il y a de bonnes raisons d’être plus confiant quant aux perspectives de rebond de l’économie française, il y a aussi des réserves importantes. Nous nous attendons ainsi à ce que les effets nets et combinés sur la croissance de la baisse du prix du pétrole, de l’euro et des taux d’intérêt ne soient que modérément positifs. Les raisons à cela sont nombreuses.

S’agissant du pétrole, pour commencer, l’effet positif de sa baisse est limité par le poids élevé des taxes dans le prix des carburants en France. Ce dernier baisse donc nettement moins que le prix du pétrole. L’effet est également atténué par le fait que l’économie française est relativement peu consommatrice de pétrole, et, ce, en lien avec le poids élevé des services dans l’économie et l’importance du parc nucléaire. De plus, la baisse du prix du pétrole n’a pas que des aspects positifs. Elle intervient alors que l’inflation est déjà très faible, renforçant le risque de déflation. Et en tirant l’inflation en territoire négatif, alors que les taux d’intérêt nominaux sont proches de zéro, les conditions monétaires en termes réels se trouvent durcies, ce qui pèse sur la croissance. Les conditions dans lesquelles le contre-choc pétrolier se produit ne sont pas neutres non plus. S’il résulte principalement d’un choc d’offre, qui est positif pour la croissance, il est aussi partiellement le reflet d’un tassement de la demande mondiale, qui est, lui, de moins bon augure. Par ailleurs, une telle baisse du pétrole redistribue les revenus de manière importante, en faveur des pays importateurs nets et en défaveur des pays exportateurs nets. Le surcroît de croissance chez les premiers est atténué par la moindre croissance chez les seconds, qui peuvent se trouver très déstabilisés par la disparition de la manne pétrolière.

S’agissant de l’euro, l’atténuation de l’effet positif de sa baisse tient tout d’abord au fait qu’elle intervient après une phase tendancielle d’appréciation, dont les conséquences négatives perdureront en 2015, sachant que la dépréciation met aussi du temps à produire ses propres effets. Et il ne suffit pas que l’euro se déprécie, même de manière importante comme vis-à-vis du dollar. D’une part, parce que la demande adressée est un déterminant des exportations plus important que le taux de change et la demande adressée à la France ne s’annonce, somme toute, que modérément plus dynamique. D’autre part, parce que, pour produire tous ses effets positifs, c’est le caractère permanent de la baisse de l’euro qui importe ou du moins la perception que les entreprises en ont. Grâce à l’action de la BCE, la dépréciation de la monnaie unique devrait cependant durer.

Par ailleurs, le faible degré d’ouverture de l’économie française, combiné à l’importance du commerce avec les autres pays de la zone euro3, protègent le pays des variations de change, ce qui joue en sa défaveur lorsque celles-ci sont favorables. Un autre élément limitant les effets positifs sur la croissance d’une baisse du change tient à la réaction des entreprises exportatrices selon qu’elles privilégient un comportement de « parts de marché » ou de « marges ». Dans le premier cas, l’exportateur répercutera de manière importante la baisse du change sur ses prix. Ce que les entreprises françaises peuvent avoir intérêt à faire pour véritablement regagner des parts de marché, compte tenu de la sensibilité des exportations françaises aux variations du taux de change4. Un tel comportement est favorable aux exportations mais défavorable à l’investissement du fait de l’écrasement des marges.

Dans le deuxième cas, les entreprises peuvent profiter de la dépréciation du change pour reconstituer leurs marges, ce qui serait aussi bien vu et bénéfique à l’investissement mais l’effet dopant pour les exportations s’en trouverait, à son tour, amoindri.

Ensuite, la baisse de l’euro, si elle rend les exportations meilleur marché, renchérit le prix des importations, ce qui tire vers le haut les coûts de production et les prix à la consommation. Cependant, dans la configuration actuelle, ce n’est pas problématique dans la mesure où cette hausse des coûts de production est plus que contrebalancée par la baisse induite du recul du pétrole tandis que l’effet « inflation importée » permet d’atténuer le risque de déflation5.

En ce qui concerne le QE de la BCE, c’est un soutien non négligeable mais pas majeur pour la France dans la mesure où les taux d’intérêt sont déjà très bas et où la progression du crédit, bien que limitée, est positive. On ne peut pas non plus compter sur un effet richesse, inexistant en France. L’effet attendu le plus important transiterait par la baisse induite de l’euro, la remontée de la confiance et des anticipations d’inflation (écartant le risque de déflation) et par le gain de croissance, chez les partenaires de la zone euro les plus en difficulté, obtenu grâce au QE et à toutes les autres mesures de soutien de la BCE.

Nous estimons l’impact combiné net (des effets positifs moins les négatifs) à environ un demi-point de croissance en plus en 2015 et de même en 2016. Après 0,4 % en 2014 (comme en 2013 et 2012), cela permettrait à la croissance de légèrement dépasser 1% en 2015 avant de s’approcher de 2% en 2016. 2015 apparaît comme une année préparatoire, au cours de laquelle la reprise doit enclencher la première vitesse – la variable clé à surveiller étant l’investissement – avant de pouvoir passer au moins la deuxième vitesse en 2016, qui serait l’année du véritable décollage de l’activité, sur une base auto- entretenue. Ce retour de la croissance marquerait aussi le succès de la politique de l’offre promue par le gouvernement, même si elle aura été bien aidée par l’impulsion donnée à la demande par la baisse du prix du pétrole, de l’euro et des taux d’intérêt.

Cependant, au regard de l’expérience des trois années passées, la reprise aujourd’hui envisagée en 2015 ne peut encore être tenue pour acquise. Les risques haussiers sur la croissance ont certes fait leur réapparition aux côtés des risques baissiers mais la balance continue de pencher du côté de ces derniers. La croissance française reste, en effet, entravée par le niveau élevé du chômage et du déficit budgétaire (qui alimente l’épargne de précaution), par la compétitivité dégradée et le manque de confiance. La baisse du pétrole, de l’euro et l’action de la BCE interviennent, par ailleurs, dans un contexte difficile et plein d’incertitudes. Et si le rythme prévu de croissance s’élève en France, il reste encore faible et fragile et à la traîne de celui enregistré par la zone euro, que nous anticipons plus près de 1,5% que de 1%. Dans ce contexte, nous ne prévoyons pas de baisse du taux de chômage avant la fin de l’année.

NOTES

  1. La variation du taux change effectif pour la France est identique.
  2. Voir à ce sujet l’Ecoweek n°15-03, du 23 janvier 2015.
  3. La part dans le PIB des exportations françaises de biens et services à destination des pays hors zone euro est proche de 20% et, une fois corrigée du contenu en imports, légèrement inférieure à 15%. Les mêmes chiffres pour l’Allemagne, par exemple, sont, respectivement, proches de 35% et 20%. Source: Commission européenne, Perspectives économiques, printemps 2015.
  4. L’INSEE estime l’élasticité-prix des exportations françaises à 0,7 contre 0,3 pour l’Allemagne.
  5. L’effet baissier sur l’inflation du contre-choc pétrolier l’emporte toutefois sur l’effet haussier de la dépréciation de l’euro. Dans sa Note de conjoncture de décembre 2014, l’INSEE estime ainsi l’impact net à -0,5 point à l’horizon de juin 2015.

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