par Slavena Nazarova, économiste au Crédit Agricole
• Les élections générales qui se dérouleront le 7 mai prochain au Royaume-Uni pourraient à nouveau se solder par un parlement sans majorité : ni le parti travailliste de centre-gauche, ni le parti conservateur de centre-droit ne semble en position de rem- porter une majorité absolue à la Chambre des communes.
• Il sera vraisemblablement plus difficile qu’en 2010 de former une coalition et il faudra peut-être réunir plus de deux partis pour obtenir la majorité absolue. Une option probable est la conduite d’un gouvernement minoritaire, mais cette situation risque d’être instable et de mener rapidement à des élections anticipées.
• Une sortie éventuelle du Royaume-Uni de l’Union européenne (« Brexit ») constitue le principal risque en cas de gouvernement conduit par les conservateurs, David Cameron ayant promis un référendum sur le main- tien du pays dans l’UE s’il était réélu. Si ce risque baissait considérablement sous un gouvernement conduit par les travaillistes, leur politique fiscale serait relativement moins favorable aux entreprises et certains risques sectoriels spécifiques pourraient peser sur les actions et les obligations d’entre- prises.
• Les incertitudes suscitées par ces élections renforceront sans doute la volatilité au sein des marchés financiers britanniques. Il est possible que ceux-ci n’intègrent pas totale- ment les incertitudes post-électorales, d’où un risque baissier sur la livre sterling.
Des élections à l’issue toujours très incertaine
Les incertitudes demeurent très élevées quant à la composition et la stabilité du gouvernement sus- ceptible d’être formé après l’élection. Le scénario le plus probable est celui d’un gouvernement de coalition, mais la fragmentation accrue du soutien populaire aux partis politiques rend la palette des combinaisons possibles anormale- ment large. L’avènement d’un gouvernement minoritaire, probablement suivi de nouvelles élections à brève échéance, constitue une autre possibilité.
– Où se situent les intentions de vote ?
Globalement, les sondages d’opinion continuent d’indiquer que le parti conservateur de centre-droit au pouvoir et son principal opposant, le parti travailliste de centre-gauche, sont au coude à coude dans les intentions de vote – chacun comptant environ 34% d’intentions.
Comme on a pu l’observer dans le passé, le sou- tien populaire a tendance à migrer de l’opposition vers le parti au pouvoir dans les mois qui précèdent ces élections, et certains sondeurs ont récemment annoncé une poussée significative des conservateurs : le sondage ICM/Guardian leur donne six points d’avance (39%) sur les travail- listes (33%), ce qui les place très près de la majorité.
Le soutien populaire au parti des démocrates libéraux, partenaire minoritaire de la coalition au pouvoir entre 2010 et 2015, demeure faible après être tombé d’environ 20% en mai 2010 à environ 7% début avril – le parti ayant perdu son statut de parti « protestataire ». Allié naturel des deux principaux partis, il risque cette fois-ci de ne pas obtenir le nombre de sièges nécessaire pour être en position de « faiseur de roi ».
– Un parlement sans majorité semble extrêmement probable
Les sondeurs prévoient unanimement que le résultat des élections sera de nouveau un « hung parliament », c’est-à-dire un parlement où aucun parti n’a à lui seul la majorité absolue. Au Royaume-Uni, une telle situation n’est arrivée que deux fois depuis la seconde guerre mondiale, en 1974 et en 2010. En 2010, la coalition entre les conservateurs et les démocrates libéraux s’est avérée exceptionnellement stable. En revanche, en 1974, des élections anticipées ont été organisées huit mois seulement après les élections législatives de février. Compte tenu de la fragmentation accrue du soutien populaire, il se pourrait que des gouvernements de coalition de- viennent la nouvelle norme au Royaume-Uni.
– Comment les intentions de vote se traduiront- elles au niveau de la composition réelle du parlement ?
En termes de nombre de sièges, les projections des instituts de sondage décrivent une tendance difficile à évaluer. Certains sondages accordent une légère avance aux conservateurs, tandis que d’autres donnent l’avantage aux travaillistes. Dans les deux cas, aucun n’aura la majorité et n’est sûr d’avoir suffisamment de sièges pour former une coalition bipartite avec les démocrates libéraux.
Du fait des spécificités du système électoral britannique (scrutin majoritaire uninominal à un tour), les votes au niveau national ne se traduisent pas par une répartition proportionnelle au niveau des sièges au parlement. Le système est plus favorable aux partis plus solidement implantés au niveau local que ceux qui bénéficient d’un large soutien national. De ce fait, les travaillistes pour- raient se retrouver avec le plus grand nombre de sièges à la Chambre des communes même si ce sont les conservateurs qui remportent le plus grand nombre de voix – comme cela est arrivé lors des élections législatives de 19741.
Malgré sa forte chute dans les sondages, le parti des démocrates libéraux reste à même de remporter entre vingt et trente sièges (contre 56 en 2010) grâce à ses puissantes branches locales dans de nombreuses circonscriptions. Il devrait rester le principal allié aux conservateurs ou aux travail- listes en cas de gouvernement de coalition. À l’inverse, l’United Kingdom Independence Party (UKIP), dont la popularité a fortement progressé en surfant sur les inquiétudes des électeurs britanniques à l’égard de l’immigration, pourrait remporter bien moins de sièges que les démocrates libéraux (entre un et sept), car l’UKIP est un parti relativement récent et peu implanté localement dans les différentes régions.
– Rôle crucial de l’Ecosse
Le Scottish National Party (le parti national écossais ou SNP) a vu ses perspectives électorales fuser au cours des douze derniers mois, notamment à la suite de l’échec du référendum sur l’indépendance de l’Ecosse de septembre 2014. Le SNP remportera probablement entre 35 et 55 sièges à la Chambre des Communes (contre six en 2010). Certains prévisionnistes voient la possibilité d’une coalition (officieuse) entre les travaillistes et le SNP comme l’un des scénarios les plus probables, surtout si le nombre de sièges obtenu par les démocrates libéraux s’avère insuffisant. Une coalition officielle entre les travail- listes et le SNP semble exclue pour le moment, mais un gouvernement travailliste minoritaire pour- rait être soutenu par le SNP au travers d’un accord de confiance, sans doute non sans quelques concessions (dévolution de pouvoirs plus larges à l’Écosse et/ou un accord sur un nouveau référendum sur l’indépendance jusqu’en 2020).
Quels sont les scénarios possibles ?
Notre scénario central est celui d’une coalition bipartite dirigée par les conservateurs ou les travaillistes avec les démocrates libéraux comme partenaire minoritaire, même si la probabilité globale d’un tel scénario est légèrement inférieure à 30%. Une coalition officieuse entre les travail- listes et le SNP semble de plus en plus probable (probabilité de 17%). En revanche, le cas d’une coalition bipartite entre les conservateurs et l’UKIP est exclu : (1) elle ne permettrait pas d’obtenir suffisamment de sièges, et (2) les conservateurs sont opposés à tout accord électoral avec l’UKIP.
Du fait de la fragmentation du soutien du public, il y a fort à parier qu’une coalition bipartite n’obtiendra pas suffisamment de sièges pour constituer une majorité, d’où la probabilité ac- crue d’une coalition multipartite ou d’un gouvernement minoritaire. Cependant, nous doutons que chacune de ces deux situations offre une solution durable pour le Royaume-Uni. Du fait des différences idéologiques fortes entre les partis poli- tiques et de divergences notables en termes de vision budgétaire, un gouvernement minoritaire pourrait être préférable à une coalition multipartite. Toutefois, si l’Histoire nous apprend quelque chose, c’est qu’un gouvernement minoritaire a peu de chances de durer au Royaume-Uni. Aussi, nous semble-t-il difficilement acceptable et réalisable pour un parti de gouverner pour un mandat complet de cinq ans sur la base de votes ad hoc de confiance.
– Des élections anticipées ne sont pas à exclure
Si le résultat des élections de mai est peu concluant et qu’aucun gouvernement viable ne peut être formé, on ne peut exclure l’éventualité de nouvelles élections à brève échéance. Il est vrai que le Fixed-Term Parliament Act de 2011 rend la dissolution du parlement plus difficile qu’auparavant. Cela étant, si les tentatives de former un gouvernement stable se soldent par un échec des deux côtés, un consensus pourrait se former pour que le parlement soit dissous ou que l’on abroge cette loi, afin d’éviter une impasse politique. De nouvelles élections pourraient alors être organi- sées d’ici la fin de l’année.
Certains spécialistes de la politique britannique estiment à pas moins de 20% la probabilité de nouvelles élections à la fin 2015 ou au début 2016. En cas d’élections anticipées, il semble raisonnable de penser que l’électorat reviendrait vers les partis traditionnels, ce qui permettrait de constituer un gouvernement majoritaire.
Perspectives économiques et risques
(…) Perspectives budgétaires : les risques nous paraissent limités du fait de l’engagement fort des principaux partis à maintenir la rigueur budgétaire
Quel que soit le gagnant des élections, le resserrement budgétaire devra être poursuivi car le déficit public (5,2% du PIB en 2014-15) et l’endettement public (88,4% du PIB selon les critères de Maastricht) demeurent élevés. Le sou- tien de tous les partis à la Charte de responsabilité budgétaire (CBR) – qui a été adoptée à la mi- janvier – implique que les conservateurs, les tra- vaillistes et les démocrates libéraux s’engagent à équilibrer le solde budgétaire structurel des opéra- tions courantes au cours d’une période glissante de trois ans (c’est-à-dire d’ici 2017-2018 actuellement) et à faire baisser le ratio d’endettement au cours de l’année fiscale 2016-2017. Cet engagement réduit les risques relatifs à la politique budgétaire à court terme, mais n’empêche pas le prochain gouvernement de mettre en œuvre une politique budgétaire plus ou moins agressive sur le long terme.
L’objectif budgétaire du parti travailliste (parvenir à l’équilibre budgétaire des opérations courantes, c’est-à-dire hors investissement public) est moins ambitieux que celui des conservateurs dont l’objectif consiste à obtenir un excédent budgétaire global à la fin de la mandature parlementaire. En effet, l’engagement des conservateurs impliquerait de dégager un surplus des opérations courantes, afin de compenser le déficit généré par l’investissement public. Le calendrier de l’objectif travailliste est également plus vague (« dès que possible durant la prochaine mandature, en fonction de la situation de l’économie »), offrant plus de souplesse.
– Un environnement réglementaire et fiscal relativement moins favorable aux entreprises sous les travaillistes
Le programme budgétaire des travaillistes prévoit la mise en place de taxes spécifiques pour compenser de la moindre diminution des dépenses que celui des conservateurs. Ed Miliband milite pour un durcissement de la réglementation (par exemple dans le secteur de l’énergie, du logement ou encore de la finance). Il envisage notamment l’inversion de la baisse du principal taux de l’impôt sur les sociétés, afin de financer une baisse de l’impôt sur les PME, ainsi que le rehaussement de l’impôt sur la tranche haute des revenus (à 50% depuis 45% actuellement). À cela s’ajoutent les propositions d’une taxe sur les biens immobiliers dont la valeur excède 2 millions £, ainsi qu’une hausse de la taxe bancaire et sur les bonus des banquiers.
À l’inverse, les conservateurs promettent un environnement fiscal relativement plus favorable (ex : maintien du principal taux de l’impôt sur les sociétés à 20%, augmentation du seuil pour les revenus non imposables à 12 500 £ et du seuil d’imposition le plus élevé à 50 000 £), lequel sera financé par de nouvelles économies ministérielles (13 Mds £), une baisse des dépenses de sécurité sociale (12 Mds £) et des mesures pour lutter contre l’évasion fiscale (5 Mds £).
Globalement, les conservateurs prévoient des mesures d’assainissement budgétaire supplémentaires de 30 Mds £ sur les deux prochaines années, ce qui représente environ 1,7% du PIB. À partir de 2018–2019, la discipline budgétaire resterait de mise, les conservateurs envisageant une croissance des dépenses publiques en ligne avec l’inflation.
Par ailleurs, la mise en œuvre des différentes propositions de réforme dépendra du parti minoritaire avec lequel les conservateurs ou les travaillistes formeront une coalition. Il est par exemple très probable qu’une coalition (officieuse) travaillistes-SNP appliquera une politique budgétaire beaucoup plus souple qu’une coalition travaillistes-démocrates libéraux, ce qui laisserait présager une augmentation de l’endettement public. Le SNP est l’un des partis les plus à gauche dans le spectre politique britannique, plaidant pour l’arrêt de l’austérité budgétaire et proposant d’importantes hausses des dépenses dans la protection sociale. Il soutient en outre l’instauration d’un impôt sur la « fortune immobilière » et l’abolition de la « under-occupancy penalty » (suppression du subventionnement du logement social en cas de « chambre inoccupée » dans un logement).
Une coalition conservateurs-démocrates libéraux supposerait la poursuite du programme budgétaire actuel, tel que défini dans le budget de mars 2015. À l’inverse, il est probable qu’un gouvernement minoritaire ou une coalition multi- partite handicaperait grandement la mise en œuvre d’une politique d’assainissement budgétaire, car des réformes majeures seraient sans doute difficiles à voter et des concessions pourraient être accordées pour obtenir la confiance des partis populistes.
– Perspectives économiques : les incertitudes politiques pourraient fragiliser la confiance des entreprises
La solidité de la reprise que le Royaume-Uni connaît depuis fin 2012 (0,7% t/t en moyenne par trimestre) s’est largement appuyée sur la demande intérieure et en particulier sur la consommation des ménages. Celle-ci a augmenté pendant quatorze trimestres consécutifs grâce à la reprise du marché du logement, à la baisse du taux d’épargne, à la forte croissance de l’emploi et, plus récemment, à la baisse des prix de l’énergie et de l’inflation. Pour pérenniser à moyen-long terme la consommation privée, celle-ci doit pouvoir s’appuyer sur une augmentation plus soutenue des salaires. Bien que les revenus aient quelque peu progressé l’an dernier, leur hausse demeure relativement faible au regard des normes historiques et limitée par la faible croissance de la productivité.
Le bas niveau de la productivité constitue un handicap structurel majeur pour l’économie. L’un des principaux défis du prochain gouvernement sera donc d’améliorer la productivité à l’avenir. La forte augmentation des investisse- ments en capital fixe l’an dernier (7,8%) est un facteur encourageant, mais les enquêtes sur les intentions d’investissement et l’utilisation des capa- cités de production dans l’industrie ont été moins soutenues en début d’année. Les incertitudes poli- tiques pourraient fragiliser davantage la confiance des entreprises.
À court terme, les probables difficultés de former une coalition et la possibilité d’élections anticipées dans quelques mois pourraient avoir un impact négatif (mais toutefois marginal) sur la croissance au second semestre de cette année. Pour l’avenir, il est probable que les risques institutionnels (« Brexit », référendum sur l’indépendance de l’Écosse) persistent, y compris dans le meilleur des scénarios, c’est-à-dire une coalition stable rapide- ment constituée après l’élection.
-) Avec les travaillistes, la croissance pourrait connaître un coup de pouce à court terme, mais s’infléchir à plus long terme
Les perspectives économiques seront sans doute meilleures dans les premières années de la prochaine mandature parlementaire sous un gouvernement travailliste, en raison d’une politique budgétaire moins restrictive et plus progressive comparée à celle d’un gouvernement conservateur. Il est probable que le revenu disponible des ménages sera soutenu par une hausse du salaire minimum promise par les travaillistes (à 8 £/heure jusqu’en 2020, contre 6,50 £/heure aujourd’hui), ainsi que par une moindre diminution des prestations sociales. Il faut cependant s’attendre à ce qu’une fiscalité relativement plus lourde sous les travaillistes pèse sur les investissements privés, ce qui risque de pénaliser, selon nous, les perspectives de croissance à long terme.
-) Avec les conservateurs, de nouvelles réductions des investissements publics font planer des risques pour la croissance à long terme
Sous un gouvernement conduit par les conservateurs, de nouvelles réductions drastiques des dépenses publiques risquent de restreindre davantage le niveau de vie et de réduire de façon significative l’investissement public dans les ministères « non protégés » (c’est-à-dire autres que la santé publique, l’éducation et l’aide publique au développement).
-) Une impasse politique serait le principal risque à court terme
Une impasse politique risque de peser sur les perspectives de croissance en raison de l’incertitude qu’une telle situation engendrerait. Elle fragiliserait le climat des affaires et diminuerait l’appétit pour le risque des investisseurs étrangers, provoquant ainsi un essoufflement de l’investisse- ment privé. Elle serait aussi préjudiciable pour l’emploi et donc pour les recettes fiscales, entraînant une détérioration des perspectives budgétaires. L’inertie politique risque de retarder la mise en œuvre de projets d’investissement public, notamment en infrastructures.
– La politique monétaire dépendra également de l’issue des élections
L’appréciation de la livre sterling dans un envi- ronnement désinflationniste global a incité la Banque centrale d’Angleterre à plus de prudence en raison des risques qu’une telle appréciation porte sur le niveau déjà faible de l’inflation de l’indice des prix à la consommation (IPC) et les anticipations d’inflation. Nous avons repoussé notre prévision d’un premier relèvement des taux du troisième trimestre 2015 au premier trimestre 2016. La politique budgétaire restrictive devant se poursuivre au cours des prochaines années quelle que soit l’issue des élections, le processus de normalisation de la politique monétaire ne sera que très graduel et limité. Notre scénario central table sur une hausse du taux directeur de 50 pdb par an.
Les anticipations de taux d’intérêt pourraient être plus élevées si les élections conduisent à un accord formel entre les travaillistes et le SNP, car cela signifierait une hausse des anticipations de croissance à court terme du fait d’une politique budgétaire moins agressive. À l’inverse, une politique budgétaire plus restrictive en début de période sous un gouvernement conservateur pourrait entraîner un léger aplatissement des anticipations d’évolution du taux directeur.
La BoE a récemment évoqué la possibilité d’une diminution du taux directeur (aujourd’hui à 0,5%) si les risques baissiers sur l’inflation se matérialisent, option qu’elle avait préalablement exclue en raison d’inquiétudes à l’égard de la résilience du secteur bancaire. Une impasse politique conforterait la probabilité d’une baisse des taux sous réserve qu’elle s’accompagne d’une dégradation significa- tive des perspectives de croissance et des anticipations d’inflation.
-) Le risque de sortie de l’UE pourrait perdurer au-delà des élections
Le principal risque pour l’économie britannique à moyen/long terme concerne le maintien ou non du pays dans l’UE, ce que l’on appelle communément le risque de «Brexit ». Ce risque est fonction de multiples facteurs, rendant difficile son appréciation à l’heure actuelle :
- Le parti qui arrive au pouvoir à l’issue de des élections générales ;
- L’accord qui est conclu entre les partenaires de la coalition ;
- Le résultat des négociations entre le Royaume- Uni et les autorités européennes sur les moda- lités d’adhésion du Royaume-Uni à l’UE ;
- La situation de l’opinion publique au moment du référendum, si celui-ci a finalement lieu.
Sous un gouvernement conservateur (probabilité légèrement inférieure à 50%), la perspective d’un référendum semble pratiquement acquise, mais cette décision pourrait être amendée par le parti minoritaire de la coalition. Une coalition avec l’UKIP (peu probable selon nous) renforcerait l’éventualité d’un référendum et pourrait même en avancer la date. Autrement, les démocrates libéraux pourraient refuser de cautionner le référen- dum, condition sine qua non d’un gouvernement conservateur.
La question de l’adhésion du Royaume-Uni à l’UE devrait rester présente même sous un gouverne- ment travailliste. Cela en raison du scepticisme européen des sujets britanniques, en grande partie lié à la peur de l’immigration, laquelle pourrait persister bien au-delà des élections. Selon les sondages, l’immigration est considérée comme le problème le plus important pour l’électorat britannique, devant les inquiétudes à l’égard de l’économie et de la santé. Selon des données Eurostat, le nombre de citoyens étrangers travail- lant au Royaume-Uni a pratiquement doublé au cours des dernières années, alors que le nombre de citoyens britanniques ayant un emploi est resté pratiquement stable.
Si un référendum a lieu, il se déroulera probablement dans un contexte marqué par la forte opposition des principaux partis politiques britanniques et des entreprises à une sortie de l’Union européenne. En effet, la plupart des partis politiques britanniques, à l’exception de l’UKIP, sont pro-européens. Et le soutien croissant dont l’UKIP a bénéficié ces dernières années n’est pas allé de pair avec une évolution de l’opinion publique en faveur de la sortie de l’UE, bien au contraire. Les sondages (Ipsos Mori et l’enquête YouGov, à fréquence plus élevée) constatent une évolution significative du soutien du public en faveur du maintien de l’adhésion à l’UE. Selon YouGov, le soutien en faveur d’un maintien dans l’UE a atteint un record : 45% des sondés vote- raient pour rester dans l’UE alors que 35% vote- raient pour en sortir – il s’agit du plus important taux en faveur du maintien enregistré par YouGov depuis le début de l’enquête en septembre 2010.
La série d’enquêtes IPSOS/MORI menées de longue date (depuis 1977) observe que ceux qui sont en faveur du maintien ont une avance encore plus importante de 20%.
Le soutien pour rester dans l’UE est allé de pair avec l’amélioration de la confiance des ménages dans leur situation financière, car la reprise économique s’est accélérée au Royaume-Uni au cours des deux dernières années et parce que les risques perçus liés à la zone euro sont moins aigus depuis que Mario Draghi a déclaré qu’il ferait « tout ce qui est nécessaire ». L’indicateur YouGov du «facteur de bien-être» a également atteint un record récemment.
Il faut aussi noter que la réponse du peuple au référendum dépendra de l’issue des renégociations des conditions d’adhésion du Royaume-Uni avec les autorités européennes. La prédominance des pro-européens est encore plus marquée, lorsque l’on pose aux sondés la question suivante : « Imaginons que le gouvernement bri- tannique conduit par David Cameron ait renégocié notre relation avec l’Europe et indiqué que les intérêts britanniques étaient désormais protégés, et que David Cameron recommande de maintenir le Royaume-Uni au sein de l’Union européenne sous de nouvelles conditions. Quel serait alors votre vote lors d’un référendum sur cette question ? ». Le soutien en faveur de l’adhésion à l’UE augmente à 57%, alors que les « contre » représentent 21% (selon des sondages YouGov). Ces chiffres illustrent à quel point il est important que les négociations entre le Royaume-Uni et l’UE réussissent et que les conditions proposées par David Cameron soient acceptées. Bien que très faible, le risque que le Royaume-Uni sorte de l’Union européenne « par accident » ne peut être totalement exclu.
Quelles conséquences pour les marchés financiers ?
– La pente de la courbe des gilts pourrait s’accentuer
Les incertitudes associées aux élections devraient avoir un effet négatif sur la liquidité des marchés financiers britanniques, ce qui pourrait conduire à un accroissement de la volatilité des actifs libellés en livres sterling. Pendant la phase de négociations entre les partis pour former le prochain gouvernement, il est probable que les investisseurs retarderont leurs achats de titres souverains de longue durée, ce qui pourrait entraîner une pentification de la courbe des taux. Dans le même temps, on peut s’attendre à ce que la partie courte de la courbe soit soutenue par une légère aversion des investisseurs pour le risque et une correction à la baisse des anticipations relatives au taux directeur.
Un gouvernement conduit par les travaillistes devrait être accompagné par des taux souverains plus élevés que dans le cas d’un gouvernement conservateur, compte tenu des anticipations plus élevées d’endettement public et des émissions relativement plus élevées d’obligations d’Etat.
À long terme, les marchés réagiront principalement au risque de « Brexit ». Bien que la probabilité d’une sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne semble faible, la perspective d’un référendum pour ou contre le maintien dans l’UE serait la principale source d’inquiétudes si les élections se soldent par l’arrivée au pouvoir d’un gouvernement conduit par les conservateurs. Si la sortie du Royaume-Uni de l’UE devait devenir une réalité, son impact sur l’économie britannique serait très préjudiciable. Les investisseurs étrangers réduiraient sans doute leurs positions en titres d’État britanniques et en actions, entraînant une dépréciation brutale de la livre.
– Actions : risques spécifiques susceptibles de fragiliser la confiance des investisseurs
Sous un gouvernement conduit par les travaillistes, la réglementation accrue de certains secteurs (ex : plafonnement des prix du gaz et de l’électricité) et des impôts sur les sociétés relativement plus élevés (relèvement du principal impôt sur les sociétés) seraient des facteurs négatifs pour les marchés actions. Certaines mesures impliquent des risques spécifiques pour certains secteurs, notamment la finance (hausse de la taxe bancaire) ou encore le marché résidentiel (instauration d’une taxe sur la « fortune immobilière »). En même temps, une hausse des salaires et des prestations sociales soutiendra probablement les dépenses de consommation discrétionnaire des ménages.
À l’inverse, les mesures des conservateurs sou- tiendront sans doute davantage les actions compte tenu d’une politique fiscale relativement plus avantageuse et des mesures de soutien de certains secteurs. Cependant, les incertitudes liées au « Brexit » pourraient calmer l’appétit des investisseurs pour le risque, en particulier à l’approche de la date du référendum, et donc favoriser un regain de volatilité.
– Risques baissiers sur la GBP
L’évolution de la GBP devrait rester fonction des anticipations de politique monétaire, alors que le « Brexit » constituerait un risque extrême. Sous un gouvernement conduit par les travail- listes, la GBP pourrait s’apprécier à court terme en raison d’anticipations de taux directeur relative- ment plus élevées et de la probabilité réduite d’une sortie de l’UE. À l’inverse, sous un gouvernement conduit par les conservateurs, la GBP pourrait pâtir du fait d’anticipations de taux directeur plus prudentes et des inquiétudes investisseurs à l’égard d’une éventuelle sortie de l’Union européenne. Une période prolongée d’impasse politique pèserait sur la GBP car les investisseurs réviseraient à la baisse leurs prévisions de croissance économique, et pourrait même inciter la BoE à abaisser son taux directeur en cas de recul des prévisions d’inflation.
NOTES
- Nous pourrions connaître, à l’issue des élections du 7 mai, une situation similaire à celle des élections générales de 1974. En février 1974, aucun parti n’a obtenu de majorité absolue. C’est le parti travailliste qui a reçu le plus grand nombre de sièges alors que les conservateurs sont arrivés en tête en termes de nombre de voix. Il a été impossible de former une coalition et de nouvelles élections ont été orga- nisées en octobre de la même année, à l’issue desquelles le parti travailliste a obtenu la majorité d’une courte tête.