Faut-il parier contre l’euro ?

par Marie-Pierre Ripert, économiste chez Natixis

Prévoir les taux de change est une tâche ardue car ils sont déterminés par différents facteurs dont l’importance évolue au cours du temps. A défaut d’une prévision, nous essayons de regarder quelles pourraient être les forces en jeu dans la détermination de l’EUR/USD. Mettant fin à sa tendance de forte dépréciation enregistrée depuis un an – l’euro avait perdu 24% contre le dollar et 15% en termes effectifs – il a rebondi au cours des dernières semaines. Pause ou changement de tendance ?

La concomitance de nouvelles américaines décevantes plaidant en faveur d’un report de la première hausse de taux par la Fed et de statistiques européennes suggérant une atténuation du risque de déflation (cf zone euro : le risque de déflation a t-il disparu ?) ont provoqué une réappréciation de l’euro contre dollar d’un point bas à 1,05 mi-avril à 1,13 mi- mai. Toutefois, l’euro s’est à nouveau déprécier depuis quelques jours.

Il nous semble que l’euro devrait continuer de se déprécier à court terme mais pourrait revenir sur une tendance haussière en 2016. En d’autres termes, nous n’adhérons pas à l’idée d’une dépréciation continue de l’euro sur les deux années qui viennent, idée défendue par quelques brokers américains notamment.

Le marché n’incorpore pas encore, il nous semble, deux facteurs qui pourraient jouer sur l’évolution de l’eurodollar.

• A court terme, les marchés sont probablement trop prudents dans leurs anticipations de politique monétaire américaine. Ils prévoient une seule hausse de taux tardive dans l’année 2015. Ils pourraient revoir à la hausse leurs anticipations dans les mois qui viennent. Le news flow macro américain devrait s’améliorer, ce que l’on commence déjà à voir dans les dernières statistiques publiées. Ceci jouerait en faveur d’une appréciation du dollar à court terme. Par ailleurs, même s’il est très difficile d’anticiper les effets de marché (flux) du QE de la BCE car ils dépendront de la réaction de différents agents (vente de titres par les résidents ou non-résidents ? report des investisseurs résidents sur des titres étrangers ?…), sa mise en place effective (le PSPP1 ne fait que commencer…) devrait plutôt avoir un impact baissier sur l’euro.

• A contrario, les perspectives de croissance américaine pour 2016 sont probablement trop élevées. Le consensus attend encore une progression du PIB proche de 3% l’année prochaine alors qu’il nous semble plus raisonnable d’envisager une croissance proche de son potentiel à environ 2% (cf L’économie américaine ralentit et après ?). En revanche, la croissance prévue de la zone euro nous paraît plus vraisemblable (proche de 1,7%). Ainsi, l’écart de croissance entre les Etats-Unis et la zone euro devrait se réduire davantage l’année prochaine. Les marchés n’ont que très peu intégré ce facteur jusqu’à présent. Ceci plaiderait pour un retournement de tendance sur l’euro. Certes, la BCE va probablement poursuivre son programme jusqu’en septembre 2016 et la Fed va selon toute vraisemblance resserrer très progressivement sa politique monétaire en 2016 mais à un certain point, les marchés commenceront à anticiper la fin du QE européen ce qui devrait soutenir l’euro.

L’évolution des balances courantes pourrait également jouer un rôle à moyen terme. Le déficit de la balance courante américaine s’est nettement réduit ces dernières années mais cette tendance à l’amélioration s’est arrêtée avec l’appréciation du dollar effectif depuis un an. Du côté européen, le redémarrage de la demande intérieure devrait réduire quelque peu l’excédent courant mais cet effet devrait être en partie compensé par le regain de compétitivité induit par un taux de change plus favorable. Au total, l’évolution des balances courantes des deux côtés de l’Atlantique plaide plutôt pour une réappréciation de l’euro à moyen terme.

Enfin, les taux de change pourraient aussi être influencés par les risques politiques. Lors des différents épisodes des crises des dettes souveraines européennes, l’euro a eu tendance à se déprécier même si finalement l’ampleur de la dépréciation est restée relativement limitée. A court terme, les rebondissements de la crise grecque sont également susceptibles d’avoir un impact sur le change…

NOTE

  1. PSPP : Public Sector Purchase Programme : programme d’achats de titres publics par la BCE

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