par Christopher Dembik, Economiste chez Saxo Banque
Notre scénario de base repose, toujours, sur un accord de dernière minute. Toutefois, le temps presse et le scénario catastrophe d’un défaut de paiement, qui semblait improbable il y a encore quelques mois, doit être envisagé. En voici le déroulement possible.
Les dates clefs
30 juin : En cas de défaut de paiement, les agences de notation vont réviser en défaut partiel la note de la Grèce, ce qui entraînera, dans le même temps, une baisse de la notation des banques et de l’ensemble des entités publiques. Initialement, Moody’s a prévu de revoir la note grecque le 31 juillet. On peut craindre, en l’espace de quelques jours, un bank run conduisant à une chute sous 100 milliards d’euros du montant total des dépôts dans le pays. Un contrôle des capitaux, similaire à celui établit récemment en Islande et à Chypre, pourrait être mis en place dans l’urgence.
1er juillet : La réunion prévue du Conseil des gouverneurs de la BCE pourrait conduire à ce que la banque centrale demande, dans la foulée, plus de collatéraux pour maintenir le programme ELA.
8 juillet – 17 juillet : La Grèce serait incapable de faire face à ses remboursements (450 millions d’euros au FMI, 11,67 milliards de yens de prêts et 71 millions d’euros d’intérêts sur des obligations à trois ans émises en 2014).
20 juillet : Sans paiement des 3,5 milliards d’euros dus à la BCE, le programme ELA s’arrêtera entrainant une nationalisation de l’ensemble du secteur bancaire grec qui est largement insolvable. Un nouveau défaut de paiement sera considéré de facto comme un Grexit. Afin de maintenir l’ancrage à la zone euro, le gouvernement pourrait chercher à introduire temporairement des monnaies parallèles (en priorité des IOU, c’est-à-dire des dettes du gouvernement qui ont valeur monétaire) mais, sans aide financière substantielle, le pays n’aura pas d’autre choix ultimement que d’adopter une nouvelle devise ayant seul cours légal en Grèce.
L’illusion de la dévaluation
En cas de Grexit, la Grèce pourrait procéder à une dévaluation monétaire comprise entre 50% et 70%. Bien que les fondamentaux grecs, qui se sont considérablement détériorés ces derniers mois, militent pour une dévaluation la plus importante possible, la prise en compte des impératifs politiques favorise une dévaluation a minima de l’ordre de 50%. Une récession d’une ampleur sans précédent, même pour le pays, serait à prévoir l’année suivant cet évènement. Elle pourrait être aussi forte que la récession de 11% qu’a connu l’Argentine la première année suivant son défaut de paiement et sa dévaluation. C’est un ordre de grandeur tout à fait crédible.
Contrairement à un avis largement partagé par les partisans du Grexit, la dévaluation monétaire n’est qu’une illusion qui ne permettra pas au pays de gagner en compétitivité. Une dévaluation serait bénéfique si la balance commerciale grecque n’était pas structurellement déficitaire. Le volume des importations est trois fois supérieur à celui des exportations. Dans ce cas de figure, la dévaluation monétaire n’est que le symbole d’une économie à l’agonie et provoquerait une crise humanitaire sans précédent en Europe depuis 1945.
L’introduction d’une nouvelle monnaie à la place de l’euro pourrait être particulièrement problématique. Se pose la question de l’adhésion des Grecs à la nouvelle devise. Il est probable qu’ils aient une certaine réticence à l’utiliser comme le soulignent toutes les enquêtes d’opinion à propos du maintien du pays dans la zone euro. On peut tout à fait envisager le scénario noir de la circulation sur la durée de plusieurs monnaies dans le pays. C’est envisageable quand on sait qu’environ 100 milliards d’euros, retirés depuis fin 2009 des banques, dorment dans les bas de laine des Grecs. Un important marché noir des devises pourrait, alors, se développer, à l’image de ce qui existe en Argentine ou au Venezuela. Les Grecs préfèreraient conserver la devise forte, autrement dit l’euro, et se débarrasser de la nouvelle monnaie. La loi de Gresham serait pleinement à l’œuvre : la mauvaise monnaie chasse la bonne. Il s’agirait d’une euroïzation de facto de l’économie. La Grèce serait, sans conteste, le principal perdant en cas d’échec des négociations avec les créanciers.
Un coût réduit pour la France
L’estimation usuelle du coût d’un défaut de paiement total de la Grèce est de 650 euros par contribuable français. Dans les faits, ce n’est pas complètement exact. En réalité, le Grexit ne devrait pas conduire à une dégradation des finances publiques de la France et à une hausse des impôts.
Les 40 milliards d’euros prêtés par la France à la Grèce (9 milliards d’euros dans le cadre du premier plan d’aide et 31 milliards d’euros à travers le FESF) ont déjà été intégrés dans le calcul de la dette publique française. En cas de défaut de paiement, la France devra les refinancer. Mais, grâce aux taux très bas accordés par les marchés financiers au pays, et à la hausse attendue de l’inflation dans les années à venir, le non-remboursement des prêts par la Grèce devrait être indolore pour les finances publiques.
En revanche, l’Etat devrait se priver des intérêts afférents qui sont à un taux moyen proche de 1,5%, ce qui aurait pu permettre une hausse annuelle des recettes équivalente aux rentrées fiscales permises par la taxe à 75% (soit quelques centaines de millions d’euros par an). La France pourra largement se remettre d’un Grexit tant son exposition directe est faible.
Une contagion économique et financière limitée
Le risque d’une contagion économique et financière au niveau européen est, enfin, très limité puisque le secteur privé est faiblement exposé à la Grèce. La dette grecque est aujourd’hui détenue à hauteur de 85% par les acteurs publics. Les banques européennes ne détiennent plus d’obligations souveraines grecques, ou dans des proportions très marginales. En ce qui concerne les banques françaises, elles sont seulement exposées à hauteur de quelques centaines de millions d’euros aux créances des entreprises grecques. La mise en place depuis 2010 de plans de contingence en interne pour se prémunir contre le risque grec et le renforcement des ratios prudentiels permettent d’immuniser le secteur financier européen. On ne peut toutefois pas exclure, sur le court terme, un excès de spéculation de la part des hedge funds à l’encontre des Etats les plus endettés de la zone euro et des banques qui paraissent les plus fragiles. Dans cette perspective, l’Italie sera certainement en première ligne puisque l’endettement italien reste encore très lourd et le secteur bancaire n’a pas engagé le processus de restructuration qui a, par exemple, été réalisé avec succès en Espagne depuis 2010. Pour le moment, la hausse ces dernières semaines des taux périphériques ne peut pas être considérée comme la preuve d’une quelconque contagion, elle est uniquement le signe d’une normalisation et d’une intégration du risque par les investisseurs après une période anormale de taux trop bas.
Dans tous les cas, toute contagion de la crise pourra être aisément endiguée par l’action de la BCE. Il n’est pas exclu qu’elle puisse augmenter temporairement le montant de ses rachats d’actifs sur le marché secondaire. Le peu de profondeur du marché obligataire européen pourrait lui permettre de contrôler temporairement le marché et de mettre un terme aux attaques des fonds spéculatifs.
En revanche, l’impact politique d’un Grexit reste difficilement estimable. La polarisation des opinions publiques en Allemagne, au Danemark, en Espagne, en Finlande et la perspective d’un Brexit sont la preuve qu’il n’y a plus de projet européen partagé depuis longtemps. La sortie de la Grèce pourrait servir de déclic et conduire à la prise de conscience que les Européens ne sont plus liés par une communauté d’intérêts, de destins et une volonté de vivre ensemble. L’enjeu de la question grecque n’est certainement pas économique mais bien politique. Le Premier ministre grec Alexis Tsipras l’a bien compris en voulant porter la question de l’endettement grec sur le terrain politique lors de la réunion des chefs d’Etat et de gouvernement prévue les 25 et 26 juin à Bruxelles. En d’autres termes, il n’y a rien à attendre de la réunion de l’Eurogroupe du 18 juin.