par Jean-Marie Mercadal, Directeur Général Délégué en charge des gestions chez OFI AM
Depuis quatre ans, les marchés sont portés par un environnement favorable qui repose sur trois « piliers » : une croissance mondiale suffisamment solide pour l’expansion des entreprises mais qui n’engendre pas de pressions inflationnistes, ce qui permet le maintien de taux d’intérêt assez bas et induit des politiques monétaires lisibles… Ce cercle positif est « challengé » ces dernières semaines…
L’environnement financier a changé depuis mi-avril : la tendance à la baisse des taux obligataires s’est soudainement renversée, particulièrement en zone Euro. Ils sortent certes d’une situation d’excès à la baisse et se normalisent en liaison avec la reprise économique et l’inflation, mais le mouvement est violent et suscite désormais l’inquiétude, dans un contexte politique délicat avec le cas de la Grèce. Les marchés actions ont assez bien résisté mais nous notons également un net regain de volatilité et la tendance haussière s’est calmée… Enfin, les politiques monétaires deviennent plus incertaines avec la question du timing du premier relèvement des Fed Funds…
Economie
Nous retenons la thèse de l’accident américain du premier trimestre, une fois de plus… Pour la 4e fois au cours des 5 dernières années, le premier trimestre a été particulièrement faible aux États-Unis avec, cette fois-ci, une publication du PIB en baisse de 0,7 %, soit une contraction par rapport au premier trimestre 2014. Depuis que le pays est sorti de la crise de 2008/09, il s’agit de la 3e contraction trimestrielle ! Le pays n’est cependant jamais retombé en récession. Cette fois-ci également, l’espoir demeure : les statistiques publiées en mai sont plus encourageantes et laissent entrevoir un rebond (notons que le départe- ment des statistiques américaines reconnaît un problème dans le traitement des facteurs saisonniers qui induit de fortes erreurs pour les premiers trimestres).
Dans un discours tenu le 22 mai, Janet Yellen a indiqué que la faiblesse constatée de l’économie américaine ne signifiait pas que le ralentissement était durable et elle s’attend à un rebond dans les prochains trimestres. En Europe, l’économie confirme son redressement. L’encours de prêts au secteur privé a connu sa plus forte progression depuis 2012. Le PIB de la zone Euro a ainsi progressé de + 0,4 % au premier trimestre, enregistrant un 8e trimestre consécutif de hausse. Cette reprise semble toutefois davantage liée à des facteurs conjoncturels (baisse de l’euro et du pétrole) qu’à une vraie reprise de l’investissement productif des entreprises. Parallèlement, les craintes déflationnistes s’estompent : l’inflation « sous-jacente » accélèreà+0,9%surunancontre+0,6% en avril alors qu’elle stagnait depuis des mois autour de 0,6 %/0,7 %. Concernant l’inflation globale, elle a aussi accéléré à + 0,3 % sur un an après être resté stable à 0 % le mois précédent.
Le Japon a enregistré la croissance la plus forte du monde développé avec + 3,9 %, mais ce pays n’a pas la capacité à entraîner l’économie mondiale, au contraire de la Chine qui a désormais un poids « systémique » (16 % du PIB mondial ajusté des parités de pouvoir d’achat). De ce point de vue, le ralentissement observé au premier trimestre est significatif : rythme de 5 %, ce qui est assez loin de l’objectif de 7 % du gouverne- ment. Les indicateurs avancés s’annoncent meilleurs mais l’objectif sera difficilement atteignable, à moins que la Bourse poursuive son envolée : selon Goldmann Sachs, le doublement de la capitalisation boursière depuis 1 an va engendrer un « effet richesse » de nature à contribuer à + 0,5 % de croissance supplémentaire. Le gouvernement soutient cette reprise boursière, peut-être s’agit-il là d’une forme de QE ?…
Le reste du monde sera dépendant de ces grandes économies et va en subir inévitablement les conséquences : la croissance des pays émergents sera assez faible à + 4,5 %, contre + 2 % pour le monde développé, soit le plus faible écart depuis le début des années 2000.
Au final, la Banque Mondiale a revu à la baisse sa prévision de croissance pour 2015, passantde3%à2,8%,cequiestleplusbas niveau depuis la crise de 2009. Dans ce contexte, il ne faudrait pas que les taux remontent trop car les actifs financiers sont désormais bien « valorisés » !
Taux d’intérêt
L’environnement économique plaide en faveur d’une stabilisation des tensions, mais les conditions de liquidité sont délicates… En dépit de la récente tension, les taux d’intérêt sont bas, ce qui paraît logique dans un contexte de croissance modérée, de poli- tiques monétaires encore accommodantes et d’inflation historiquement encore assez faible. Le taux moyen à 10 ans des emprunts gouvernementaux de la zone Euro s’établit ainsi à 1,3 % contre près de 2 % l’année passée ! Mais la violence de la récente tension interpelle.
Concernant les politiques monétaires, nous voyons peu de surprises de nature à déstabi- liser davantage les investisseurs obligataires. Si le timing reste incertain, la Fed devrait remonter ses taux directeurs prochainement, c’est annoncé : cela lui permettra de pouvoir les baisser à nouveau en cas de ralentissement éventuel et Janet Yellen a expliqué qu’elle ne souhaitait pas provoquer de bulle boursière. L’ampleur du cycle de tension sera cependant modérée car la croissance potentielle de l’économie américaine a baissé. Nous voyons une phase de resserrement très graduelle, avec des Fed Funds autour de 2,5 % d’ici 2 à 3 ans.
L’impact sur les marchés obligataires devrait être également modéré : tradition- nellement, la courbe des taux s’aplatit durant ces périodes, si bien que le rendement du T-Notes à 10 ans devrait avoisiner le niveau de 4 % dans le même horizon. Pour le reste de l’année 2015, il ne devrait donc logiquement pas y avoir « d’accident », même si quelques périodes de tension sont possibles lors des publications de statistiques d’inflation car l’effet de base laisse augurer des chiffres moins bons au cours des prochains mois : effet remontée du pétrole, hausse des salaires…
En zone Euro, la BCE ne modifiera pas sa politique cette année : les taux directeurs resteront (et donc l’Eonia) proches de 0, le programme d’achat de dettes à un rythme de 60 milliards par mois sera également maintenu. Pour ce qui est des marchés obligataires, il est clair que le scénario de déflation a été abandonné : l’ajustement a eu lieu après que les anticipations d’inflation aient été révisées à la hausse, ce qui a provoqué un ajustement rapide à partir de mi-avril. Faut-il dès lors craindre une poursuite de ce mouvement de tension ? Si l’on prend en considération uniquement les conditions économiques, la réponse est clairement non, même si l’inflation affichée peut remonter (au cours des 6 dernières années aux États- Unis, pays précurseur dans une politique monétaire volontariste, nous avons souvent connu des périodes de taux réels négatifs…).
En revanche, il y a un danger du fait de la structure actuelle du marché : la liquidité est faible et peut provoquer des variations de cours brutaux. En effet, les Banques sont moins actives en matière de « market making » et, après les flux entrants très importants de ces dernières années dans les fonds obligataires crédit, nous arrivons au point de renver- sement : les valeurs liquidatives des OPCVM taux sont désormais en baisse sensible et la question de les détenir se pose. Comme le marché n’est pas très liquide (il l’est au global, mais il y a tellement de souches et d’obligations particulières sur ce marché…), les décalages de cours peuvent être significatifs, engendrant de fait de nouvelles sorties. Il faut donc se préparer à une poursuite de la volatilité.
Au cours des derniers mouvements liés à la crainte de défaut en Grèce, l’écart entre les obligations « périphériques » et allemandes a augmenté, et également en ce qui concerne la France. Dans un scénario de non éclatement de l’euro (que nous privilégions), les obliga- tions gouvernementales de l’Europe du Sud restent intéressantes (hors Grèce évidemment).
Concernant les « spreads de crédit », la qualité intrinsèque des signatures ne justifie pas d’écartement car les taux de défaut sont bas et n’ont pas de raison de monter au cours des prochains mois. Pour les investis- seurs de long terme, il y a donc des oppor- tunités de réinvestissement, même s’il convient de le faire progressivement en raison des trous de liquidités qui peuvent se produire comme évoqué ci-dessus.
Les obligations émergentes apparaissent aujourd’hui beaucoup plus intéressantes : les investisseurs internationaux (principalement américains) ont déserté cette classe d’actifs à partir de 2013, année qui avait été marquée par une nette tension des taux obligataires américains. Dans un contexte de reprise du dollar, nous avions déjà souligné que les obligations émergentes sont sous la défiance des marchés car leur capacité à rembourser des dettes émises en devises fortes suscite des interrogations, ce qui est légitime au vu des observations historiques. Mais aujourd’hui, les obligations émergentes présentent selon nous un bon couple rendement/risque : près de 6,3 % de rendement sur la dette forte (plus longue en duration) et 6,9 % sur la dette locale. Nous préférons aujourd’hui la dette locale : davantage de rendement, des devises qui ont déjà beaucoup baissé… et une « protection naturelle » induite par le dollar : s’il remonte contre euro (ce que nous pensons à moyen terme après une phase de stabilisation), cela atténuera le risque de baisse supplémentaire des monnaies émergentes.
Nous conservons une appréciation neutre vis-à-vis des obligations convertibles. Elles ne sont pas intrinsèquement sous-évaluées (volatilité implicite de près de 32 sur le gisement européen) et les rendements offerts sont faibles. Leur performance dépendra de leur sensibilité actions (autour de 50 en Europe), avec une convexité (légère mais qui existe) en cas de fortes turbulences.
Actions
Les marchés actions sont « résilients »… La correction des marchés actions est somme toute très modérée dans ce contexte de volatilité accrue. Les actions américaines se stabilisent proches de leurs plus hauts niveaux historiques, de même que les actions japonaises et les actions européennes qui ont baissé de l’ordre de 6 % seulement, en tenant compte des dividendes versés. Dans un contexte de valorisations qui sont désormais au-dessus, ou en ligne avec les normes historiques, l’impact de la hausse des taux d’intérêt aurait pu être plus négatif. S’il ne l’est pas, c’est parce que les actions offrent encore aujourd’hui le meilleur compromis entre performance attendue et risque, particulièrement en Europe.
Pour la première fois depuis 5 ans les bénéfices des entreprises ne sont pas, en effet, révisés à la baisse cette année et nous attendons une progression en masse de 18% cette année et de13% en 2016. Cela donne un PER de l’ordre de 15 pour l’indice DJ Stoxx 600, un rende- ment des dividendes de l’ordre de 3 %, bref, des niveaux tout à fait acceptables avec le niveau actuel des taux d’intérêt. Notons que la résilience des petites et moyennes capitalisations a été encore meilleure en Europe, avec des indices qui restent proches de leurs plus hauts niveaux de l’année, ce qui correspond à une dynamique qui peut se poursuivre sur ce segment.
Il y a deux risques majeurs pour les actions européennes : une poursuite de la tension des taux d’intérêt (sujet déjà évoqué ci- dessus) et une forte baisse de Wall Street. Les actions américaines sont en effet assez chères globalement, avec des prix/CA, prix/valeurs d’actifs, PER ajustés du cycle nettement au-dessus des standards historiques. Le niveau de marge des entreprises rapporté au PIB est également au plus haut depuis 1947 à plus de 10 %. Mais ces données sont largement diffusées dans les marchés et les investisseurs internationaux semblent d’ores et déjà sous-pondérés en actions américaines. En admettant également que les États-Unis ne retombent pas en récession, le risque d’un krach des actions américaines paraît modéré. Nous pensons qu’elles vont se stabiliser avec davantage de volatilité.
Concernant les actions émergentes, nous pensons que le contexte de hausse du dollar ne sera pas favorable et que les flux seront faibles. Nous aimons les actions chinoises cotées à Hong Kong qui bénéficient d’une décote par rapport aux actions chinoises cotées localement, dont certains segments deviennent très chers.