par Angelika Millendorfer, Responsable Actions Emergentes chez Raiffeisen Capital Management
L’Europe de l’Est se trouve sous les feux de la rampe. Le fort ralentissement économique dans l’ensemble de la région, la chute des cours des monnaies locales contre l’Euro et le Dollar, les baisses de notations et les craintes concernant la solidité financière des états d’Europe de l’Est ont généré une volatilité élevée et accentué les incertitudes. Certains n’ont pas hésité à présager l’effondrement financier de la région entrainant dans sa chute le système bancaire européen. Quelle est la situation réelle pour les investisseurs en actions et obligations ? Quand est-il des perspectives à long terme de la région ?
L’Ukraine et les banques au centre des turbulences
Il ne s’agit pas de minorer l’ampleur et l’étendue des risques et secteurs à risque. Les scénarios catastrophes entendus ici ou là nous paraissent toutefois très improbables. Au centre de la tourmente demeure l’Ukraine. Sa monnaie a le plus concédé de terrain et le pays apparaît politiquement et économiquement affaibli. Mais il est de l’intérêt non seulement de l’Union Européenne et du Fonds Monétaire International mais aussi de la Russie d’éviter un effondrement de l’Ukraine.
Les faits n’apportent pas de soutien aux scenarios catastrophes
Le danger que d’autres pays, en particulier les PECO-3 – Pologne, Hongrie, et République Tchèque, connaissent un semblable destin est d’après nous encore plus improbable. Rappelons ici le rattachement de ces pays à l’Union Européenne et le contexte économique et politique sans comparaison avec celui de l’Ukraine. Le fait que l’Union Européenne n’ait pas lancé de plan global en faveur de l’Europe de l’Est, mais plutôt rendu public sa volonté de soutien en coopération avec le FMI et la Banque Mondiale en cas de besoin, ne doit pas être mal interprété comme un manque d’engagement. La recapitalisation significative du FMI lui donne les moyens d’une intervention rapide et d’envergure en cas d’aggravation de la crise et doit être perçu comme un facteur positif pour la région. A l’inverse des affirmations de nombre de rapports, il doit être observé que les banques d’Europe Centrale et d’Europe de l’Ouest ont toujours et encore aujourd’hui la capacité de mettre à disposition de leurs filiales d’Europe de l’Est de la liquidité. Celles-ci n’abandonneront pas, pour le moins avant longtemps, ces filiales sans soutien approprié, comme il est craint ou prophétisé par certains.
Au delà d’éventuels plans de soutien, de nombreux pays de la région sont déjà bien armés pour lutter contre la crise. Les interventions verbales des banques centrales ont déjà pu stabiliser les devises et il est à probable que d’autres interventions suivent si cela était nécessaire. Séparément, les effets vertueux d’une dépréciation des devises et du ralentissement économique sur la balance des comptes courants de la plupart des pays ne doivent pas être sous-estimés : une plus grande compétitivité des exportations, un renchérissement et donc une diminution des importations. Les pays qui ont rattaché leur monnaie au cours de l’Euro (par exemple les Pays Baltes et la Bulgarie) vont par contre sûrement plus souffrir au cours des prochains mois.
Facteur de risque : crédits libellés en devises étrangères
Parallèlement, les dépréciations des devises sont porteuses de risque puisqu’elles placent les ménages et entreprises concernés sous le poids des dettes exprimées en devises étrangères, accroissent les taux de défaut, y compris des instituts de crédit et le cas échéant pèsent sur le budget des Etats s’ils doivent recapitaliser certaines banques. La forte hausse des dettes en devises étrangères des ménages et entreprises au cours des dernières années représente sans aucun doute un risque accru. Elles paraissent toutefois maîtrisables en comparaison avec la taille des économies et des ressources de l’Union Européenne et du FMI. Même pour l’Ukraine durement touchée, le service de la dette, tout du moins en 2009, semble moins une question de capacité financière que de décision politique.
Les devises et obligations d’Europe de l’Est se sont largement rétablies de leur plus bas au cours des dernières semaines. Dans un horizon à moyen terme, elles offrent des opportunités de rendement attractives, même si des corrections à court terme sont possibles. Pour un investisseur à long terme, il nous semble que les obligations hongroises et russes offrent le plus de potentiel. La volatilité devrait néanmoins se maintenir à un niveau élevé au cours des mois à venir.
Marchés actions : rétablissement après les chutes de cours
Les marchés actions d’Europe de l’Est ont connu des chutes de cours violentes ces 12 derniers mois. Pour un temps, il semblait que nous nous trouvions devant un puits sans fonds. Au cours des dernières semaines une stabilisation est intervenue et les cours se sont pour une part rétablis depuis leurs points bas, avant tout dans le secteur des matières premières, l’un des plus touché précédemment. Les cours se trouvent encore très loin des niveaux de ces dernières années.
Le fort rebond des marchés actions ne doit cependant pas occulter le fait que les données fondamentales sont encore très négatives. L’Union Européenne, comme partenaire commerciale principal et les Etats-Unis, comme première économie mondiale se trouvent dans la plus sévère crise économique depuis la seconde guerre mondiale. Tant qu’ils ne se relèvent pas, il ne peut être attendu de croissance durable en Europe de l’Est. Une stabilisation rapide des économies d’Europe Centrale et Orientale constituerait déjà un point positif.
Les pays et secteurs doivent être traités de façon différenciée
Il est à noter que les pays de la région ainsi que les secteurs spécifiques sont touchés de manière distincte par la crise. De manière générale, nous établissons que l’Europe de l’Est a été particulièrement touchée par la récession mondiale en raison de sa forte dépendance envers les exportations et le crédit.
La Russie constitue un cas particulier puisque son économie dépend en première ligne de l’évolution des cours pétroliers. Ces derniers se sont stabilisés autour de 50 Dollars US le baril. S’ils devaient se maintenir à ce niveau, la performance économique russe par rapport à 2008 empirerait, le budget de l’Etat serait déficitaire mais nous nous trouverions bien loin des scénarios catastrophes évoqués fin 2008 et pris en compte dans les cours. C’est pourquoi la bourse russe a pu repartir à la hausse dernièrement.
Il s’agit également de différencier les secteurs : un rebond des valeurs énergétiques et industrielles est largement conditionné par une reprise économique aux Etats-Unis et en Europe. Celle-ci est le plus souvent attendue au troisième ou quatrième trimestre 2009 même s’il est encore difficile de pronostiquer s’il va bien se matérialiser à cette date. Dans le secteur bancaire, les banques turques paraissent dans une solide position relative tandis que la situation en Ukraine et dans les Pays Baltes est précaire. Il est difficile d’évaluer les banques russes, le secteur se trouvant pour une grande part, comme avant, en la possession de l’Etat, ce qui lui confère une certaine stabilité.
Dans l’ensemble, nous sommes d’avis que les marchés actions d’Europe de l’Est offre un grand potentiel, avant tout, dès que l’économie mondiale se stabilisera et commencera à croître de nouveau.
Le processus de convergence en Europe de l’Est demeure intact
La situation d’endettement en devises étrangères des PECO, les risques dans le secteur bancaire et les perspectives de croissance vont rester au centre des discussions au cours des mois à venir. Il est également un fait que les agences de notation et les acteurs du marché ont déjà évalué et intégré dans les cours une grande part des évolutions négatives à attendre. Une nouvelle dégradation mesurée des données fondamentales ne devrait donc pas conduire à de nouvelles turbulences. Par exemple la dégradation des obligations et de la devise hongroise par S&P et Moody’s fin Mars n’a conduit à aucune réaction du marché, bien que le risque d’une perte de la notation investment-grade augmentait.
Se positionnant dans une logique de long terme et malgré les difficultés traversées par la région, nous voyons le processus de convergence et de rattrapage économique se poursuivre.
Les obligations et actions d’Europe de l’Est devraient donc constituer un investissement attractif à long terme.