par Xavier Lépine, Président du directoire de La Française
Nier la réalité de l’immigration conduit invariablement à l’exclusion, la clandestinité, la montée de la xénophobie, de l’extrême droite, de la violence et de manière ultime à la guerre. De même, nier que les problématiques de races et de religions sont des composantes importantes serait tout aussi stupide.
La problématique des flux migratoires en provenance aujourd’hui des pays en guerre, demain ceux liés aux évolutions climatiques, est une occasion supplémentaire de créer une Europe unie.
Certes les situations sont très différentes aujourd’hui de celles qui prévalaient aux Etats-Unis au XIXe, XXe et même au début de notre siècle, mais il n’en demeure pas moins que l’on peut tirer des enseignements (et donc des politiques) des erreurs, comme des succès, faits par d’autres pays dans le passé.
Si la colonie de peuplement fut le cas de l’Algérie par la France et des Etats-Unis par l’Angleterre, l’immigration massive n’a jamais été de la volonté des pays d’accueil y compris aux Etats-Unis, et rarement de la volonté des migrants eux-mêmes, pour qui le choix de rester dans leur pays d’origine n’existait pas.
Regardons la situation aux Etats-Unis :
Sans remonter jusqu’à l’immigration forcée via l’esclavage, en 1840 on compte environ 40 millions d’habitants aux Etats-Unis et l’immigration européenne, pour des raisons sociales, économiques et politiques, est massive : pour des raisons politiques pour l’Allemagne, à cause de la famine en Irlande ; elle s’intensifie entre 1870 et 1920 suite aux pogroms. Les juifs parlant yiddish et les non catholiques affluent, accompagnés des migrants d’Europe du Sud et de l’Est : Italiens, Austro-Hongrois, Russes et Polonais. Ce sont bien 20 millions de personnes qui ont émigré en l’espace de 50 ans, soit 400 000 personnes en moyenne par an. Pour une population de 75 millions d’habitants en 1900, ce qui représente annuellement 0,5 % de la population en moyenne. Manifestement, les Américains n’appréciaient pas les Chinois puisque dès 1882, une loi interdisant l’immigration chinoise est votée et a existé jusqu’en 1942. De même, souhaitant réguler la migration dès les années 20, des lois sont promulguées instaurant des quotas ethniques et par nationalité. Dans les années 60, l’immigration européenne se tarit… elle est remplacée par l’immigration massive hispanique et asiatique. En 1978, la population est alors de 200 millions d’habitants, le Congrès adopte un plafond de 290 000 migrants par an sans distinction de race, soit l’équivalent de 0,15 % de la population autorisée à immigrer chaque année.
Ce plafond officiel est rapidement crevé et c’est bien 1,8 million (de 1 à 1,99 million) d’immigrants qui débarquent en 1991, soit 0,6 % de la population, alors que les Etats-Unis sont en récession.
Aujourd’hui, les Etats-Unis accordent aux immigrants 675 000 visas par an pour 310 millions d’habitants, soit 0,2 % de la population, l’immigration clandestine étant estimée à 1 million de personnes par an. Ainsi 40 % de la croissance démographique américaine est due à l’immigration. 8 millions de personnes s’y sont installées entre 2001 et 2005 et 10 millions d’immigrés, soit 3 % de la population, vivent en situation irrégulière…
Alors quelques décennies plus tard quelles sont les résultantes* ? :
En matières d’ethnies
63 % de blancs d’origine européenne, y compris d’Europe de l’Est et Russie – 200 millions
9 % d’origine d’Amérique Latine – 28 millions
13 % d’Afro américains – 40 millions
5 % d’Asio américains – 15 millions
1 % d’Amérindiens – 3 millions
Autres : 6 % – 19 millions
Multi-raciaux : 3 % – 10 millions
En matière de religions
Protestants : 51 % – 160 millions
Catholiques romains : 24 % – 75 millions
Mormons : 1,7 % – 5 millions x
Juifs : 1,7 % – 5 millions
Boudhistes : 0,7 % – 2 millions
Musulmans : 0,7 % – 2 millions
Hindouistes : 0,4 % – 1 million
Autres religions : 2 % – 6 millions
Sans religion : 16 % – 50 millions
Compte tenu des différentiels de taux de natalité par ethnie, d’ici 2050, la population blanche d’origine européenne sera minoritaire à 46 % au profit des latino-américains, (30 %), des afro- américains (15 %) et des asio-américains (9 %)… et les Etats-Unis forts de cette démographie sont la première puissance mondiale avec le taux de chômage le plus faible des grands pays occidentaux derrière le Japon.
Que conclure de ces données, si ce n’est que les flux migratoires de masse ont toujours pour cause la misère et la mort dans les pays d’origine et qu’ils sont rarement bien accueilli dans les pays de destination. Ces migrations de masse se font souvent au péril de la vie des migrants. A terme, ils modifient en profondeur la structure de la société… et pourtant, quelle chance d’avoir un Robert de Niro (Italo-irlandais), un Woody Allen (juif Russo-autrichien), un Colin Powell (Jamaïcain), un Barack Obama (Kenyan–Irlandais), une Eva Longaria (Mexicaine), un Steve Jobs (Syrien-Suisse) et un Renaud Laplanche (Français fondateur de Lending Club)… Sans prétendre aucunement que les Etats-Unis soient un modèle d’intégration à copier, notre réalité européenne est bien celle de ne pas avoir, pour des raisons humanitaires, d’autre choix que d’accueillir des migrants. Qu’ils soient 500 000 ou 1 million, qu’est-ce, rapporté aux 300 millions d’Européens (soit 0,15 % à 0,3 % de la population) et pour le 2e PIB mondial dont se targue l’Europe ?
Il est plus que temps d’adapter notre Europe vieillissante à l’opportunité contrainte qui nous est imposée par les conflits qui ravagent aujourd’hui une autre partie du monde. Face à ce déferlement, les réponses ne sont plus à l’échelle d’un pays (Italie, Grèce) qui pour des raisons géographiques voit débarquer ces migrants, et cela d’autant plus que les taux de chômage dans les pays concernés sont encore plus élevés que la moyenne européenne. La réponse ne peut se faire qu’au niveau européen. Espérons que l’Europe, qui patine dans sa construction depuis la crise de l’Euro et dérape avec celle de la Grèce, trouve dans cette problématique nouvelle l’opportunité d’avancer dans sa construction ; faute de quoi, en sus de ses problèmes actuels, les tensions qui inévitablement résulteront de ces flux migratoires accentueront les problèmes et les divergences entre pays de la zone euro avec de plus un repli des pays du Nord naturellement moins touchés.
Face à cette situation, les réponses institutionnelles possibles sont de trois natures :
– Réduire au maximum l’immigration pour causes économiques pour la limiter à l’immigration humanitaire,
– Orienter, autant que possible, la réimplantation de ces migrants de masse dans leurs pays limitrophes qui pourraient les accueillir avec l’aide financière et technique de l’Europe,
– Mettre en place des instruments financiers pour démultiplier et accélérer ces processus.
L’Angleterre et les Etats-Unis plus familiers que la France dans l’association public-privé ont créé il y a quelques années les Social Bonds.
Le principe est simple : une émission obligataire est adossée à un contrat passé, par exemple, entre le Ministère de la Justice et une entreprise, l’objectif étant de réduire le taux de récidive à 5 ans de 10 %. Si l’objectif est atteint, l’Etat paye l’émission obligataire majorée d’un taux d’intérêt élevé. Si l’objectif n’est pas atteint, l’Etat ne paye qu’une fraction de l’émission obligataire et l’entreprise ou le détenteur de l’obligation perd.
En partenariat avec l’Europe, la BERD, la Banque Mondiale ou la BEI pourraient aisément adapter ce concept sur la problématique de l’immigration en créant les conditions d’émission d’Immigration Bonds où les bonus/malus seraient liés à l’atteinte des objectifs par les entreprises et les pays d’accueil : sécurité au sens très large, social, logement, infrastructures, éducation… Certains pays du sud comme limitrophes des pays en guerre pourraient ainsi voir l’opportunité d’accueillir de façon positive ces migrants.
Conclusion pour un asset manager ?
D’ordre 1 : aucune conclusion au stade actuel.
D’ordre 2 : je m’interrogeais depuis quelque temps sur le paradoxe entre les gains de productivité liés à la technologie et la faible croissance du PNB officiel. La réalité réside dans l’évolution même du fonctionnement de l’économie liée aux évolutions technologiques. Jusqu’à une période récente, l’ensemble des gains de productivité se faisait à l’intérieur de l’entreprise et la répartition de ces gains se faisait pour l’essentiel vers les salariés via les augmentations de salaire, et marginalement vers les clients et les actionnaires et, en cascade se traduisait en delta de PNB. Dans la nouvelle économie, la technologie permet à l’individu de mobiliser l’ensemble de ses actifs sans qu’il y ait une comptabilisation dans le PNB : il se déplace en voiture et peut vendre du co-voiturage (Blablacar, Uber Pop) ; il n’utilise pas son parking la journée, il le loue; il met à disposition son appartement (Airbnb); il a tout un tas d’équipement pour bricoler qu’il utilise 1 % du temps, il le loue; il consomme sur Internet sans passer par le distributeur physique et achète/vend ce dont il n’a plus besoin (eBay) ; il parle une langue étrangère rare, il propose ses services, etc. Il s’agit donc d’un vaste mouvement de socialisation des gains de productivité qui bénéficient directement au client et à l’individu qui mobilise ses actifs sans passer par la case entreprise, rarement par la case comptabilité nationale et encore moins par la case impôt. L’impact de cette nouvelle économie n’est ainsi que partiellement comptabilisé et surtout structurellement déflationniste puisque l’asymétrie d’informations disparait du fait de la diffusion généralisée de l’information sur l’offre et la demande, eBay étant en quelque sorte l’illustration réelle du commissaire-priseur Walrassien qui détermine le prix en fonction de l’offre et de la demande sans se préoccuper du prix de revient.
L’arrivée significative de migrants dans des économies déjà fortement malmenées dans leur modèle économique traditionnel (les économies peinent à créer 2 % d’inflation alors que les masses monétaires et les bilans des Banques Centrales ne cessent de grossir) va se traduire par une augmentation encore plus importante de cette nouvelle organisation sociale. Les réformes structurelles sont donc encore plus nécessaires faute de quoi les acteurs de l’économie traditionnelle vont souffrir encore plus…
Enfin, l’investissement dans les nouvelles technologies, quand elles sont liées à la désintermédiation des gains de productivité, a de beaux jours devant lui (Fintech et autre…).
NOTES
*Source : bureau du recensement des religions aux Etats-Unis – PewResearchCenter