France : trajectoire budgétaire, où en est-on ?

par Hélène Baudchon, économiste chez BNP Paribas 

  Malgré la réduction d’ampleur limitée du déficit de l’Etat et les multiples dépenses imprévues ou nouvelles depuis le début de l’année, l’objectif de déficit budgétaire global de 3,8% du PIB reste en vue.

  Pour 2016, l’objectif de 3,3% sera compliqué à atteindre : d’importantes économies budgétaires doivent être réalisées et la croissance s’annonce peu porteuse.

La publication, cette semaine, de la situation budgétaire mensuelle de l’Etat pour juillet est l’occasion de faire le point sur les finances publiques françaises, et de donner de premiers éléments du débat en amont de la présentation du projet de loi de finances pour 2016 prévue lors du Conseil des ministres du 30 septembre. Le solde général d’exécution de l’Etat s’est ainsi établi à EUR -79,8 milliards au 31 juillet 2015, soit 4,3 milliards d’euros de moins que le déficit enregistré sur la même période en 2014. La réduction du déficit se poursuit mais elle reste très mesurée.

Un déficit à 3,8% du PIB en 2015

Ce rythme lent de réduction du déficit de l’Etat, combiné à de multiples dépenses nouvelles annoncées depuis le début de l’année, pose la question du respect de l’objectif annuel de déficit, celui de l’Etat comme celui de l’ensemble des administrations publiques (APU), qui comprend les organismes divers d’administration centrale (ODAC), les administrations publiques locales (APUL) et celles de sécurité sociale (ASSO). Pour mémoire, dans le programme de stabilité d’avril 2015, dernier document budgétaire qui fait référence, il est prévu que le déficit public total soit ramené de 4% du PIB en 2014 à 3,8% en 2015 (cf. tableau). Cette diminution s’appuie sur une réduction du déficit de l’Etat de 3,5% du PIB en 2014 à 3,4% en 2015, de celui des APUL de 0,2% à 0,1% et de celui des ASSO de 0,4% à 0,3%. Le solde des ODAC passerait, lui, d’un excédent de 0,1% du PIB en 2014 à l’équilibre en 2015.

Le respect de l’objectif de déficit de l’Etat est déterminant pour celui de l’ensemble des APU mais il ne le garantit pas. L’Etat a la main sur la plupart de ses dépenses, mais il lui faut aussi gérer les dépenses imprévues ou nouvelles et il n’a pas la même maîtrise des dépenses des autres administrations. L’évolution des dépenses de santé est certes très encadrée mais la nette modération attendue des dépenses locales (conséquence de la baisse des dotations de l’Etat) reste incertaine. C’est pourquoi, dans son rapport de juin 2015 sur la situation et les perspectives des finances publiques, la Cour des comptes alertait sur les difficultés à tenir l’objectif de réduction du déficit. Pour la Cour, le risque ne porte clairement pas sur les recettes (contrairement à 2014) mais sur les dépenses. Elle met ainsi tout d’abord en avant le fait qu’en 2014 la tenue des dépenses a été facilitée par des reports de charges accrus sur 2015 et par deux éléments particuliers : le fort recul de l’investissement public et la réduction du service de la dette à la faveur de la baisse des taux d’intérêt.

Or, en 2015, ces deux leviers pourraient ne pas autant jouer. La Cour estime ensuite, pour 2015, entre EUR 2 et 4 milliards le risque de dérapage des dépenses de l’Etat découlant des sous- budgétisations récurrentes et de la série de mesures annoncées depuis le début de l’année. Valérie Rabault, la rapporteure générale de la commission des finances de l’Assemblée nationale, en a fait un inventaire récent1 et a abouti à une fourchette similaire de surcroît de dépenses à financer d’ici la fin de l’année, sachant que ces sommes s’ajoutent aux EUR 21 milliards d’économies budgétaires déjà prévus.

Face à ce risque de dérapage, le gouvernement met notamment en avant l’importance de la réserve de précaution prévue justement à cet effet (EUR 8 milliards de crédits gelés). La direction du budget explique également le niveau encore élevé du déficit de l’Etat en juillet par la montée en charge du CICE (qui pèse sur le produit de l’impôt sur les sociétés). Une réduction sensible de ce déficit est attendue sur la seconde partie de l’année à la faveur de la perception des impôts locaux et des derniers acomptes d’impôt sur les sociétés. Au final, le risque de dérapage du déficit budgétaire total paraît, à ce stade, limité et sous contrôle. Le plus probable est que l’objectif de -3,8% soit atteint.

Pour 2016, un objectif de déficit à conforter

Pour 2016, l’équation apparaît plus compliquée qu’il y a seulement quelques mois. S’ajoute, en effet, en premier lieu, un regain d’incertitudes sur les prévisions de croissance. L’objectif de déficit de 3,3% (ainsi que celui de 3,8% pour 2015) a néanmoins été réaffirmé par le chef de l’Etat lors de sa conférence de presse du 7 septembre 2015, de même que les prévisions de croissance du gouvernement pour 2015 et 2016 (1% et 1,5%, respectivement, en moyenne annuelle). Lorsqu’elles ont été élaborées en avril, ces prévisions de croissance apparaissaient prudentes, dans le consensus de l’époque, mais légèrement en-deçà de celles de la Commission européenne. A l’époque, le gouvernement se ménageait ainsi la possibilité d’être surpris favorablement. Aujourd’hui, cette prudence apparaît de mise du fait des inquiétudes suscitées par le ralentissement de la Chine et des pays émergents en général2.

En second lieu, le questionnement sur le détail des EUR 14,5 milliards d’économies budgétaires déjà annoncés3 est rendu plus épineux encore par le rajout de EUR 2 milliards de baisse d’impôt pour les ménages4 et de EUR 1 milliard pour l’investissement dans les collectivités locales. Or, leur financement devra être assuré par des économies supplémentaires (dont le montant total est estimé entre EUR 3 et 5 milliards par Valérie Rabault). Car le gouvernement a déclaré maintenir l’objectif de déficit, ne pas vouloir procéder à des hausses d’impôts compensatoires, ni puiser dans les baisses d’impôts en faveur des entreprises qui restent à voter dans le cadre du pacte de responsabilité. A noter qu’il est possible, mais peu probable, que la nouvelle baisse d’impôt et le soutien à l’investissement public s’autofinancent grâce au surcroît d’activité attendu.

En conclusion, le bouclage du budget s’annonce, une nouvelle fois, ardu. Il faut également s’attendre à ce que l’approbation par la Commission européenne soit aussi difficile et longue à obtenir que pour le budget 2015. Derrière la réduction du déficit budgétaire, l’ampleur limitée des efforts structurels pose, en effet, toujours question. Elle laisse, de plus, les finances publiques françaises dans une position encore dégradée, dans l’absolu et relativement à ses partenaires de la zone euro, notamment en termes de ratio de dette (cf. graphiques 2 et 3). L’inversion de cette courbe, comme celle du chômage, reste à venir et elle est urgente dans les deux cas.

NOTES

  1. Plan pour les valeurs de la République à l’école (90 millions), plan de lutte contre le terrorisme (400 millions), renforcement du service civique (60 millions), mesures en faveur de l’emploi (250 millions) et accroissement du nombre d’emplois aidés (400 millions), plan pluriannuel contre la pauvreté (non chiffré), plan en faveur de l’investissement (400 millions), révision de la loi de programmation militaire (coût nul en 2015 mais chiffré à 3,8 milliards pour 2016-2018) (cf. article du 4 septembre 2015 dans Le Monde, « Budget 2016 : comment financer les baisses d’impôts »).
  2. L’inflation s’annonce également plus faible que prévu jusqu’ici du fait de la rechute des prix du pétrole et des matières premières en général, ce qui complique davantage le bouclage du budget. A contrario, les taux d’intérêt, qui pourraient rester bas plus longtemps, contribueraient à contenir le service de la dette et à permettre de nouvelles économies de constatation.
  3. On sait toutefois déjà que la politique du logement, les écoles de fonctionnaires, les universités, les dispositifs médicaux remboursés par l’Assurance-maladie, le patrimoine immobilier des caisses de Sécurité sociale, l’hébergement d’urgence, les normes applicables aux collectivités, les aides à l’innovation (hors crédit impôt recherche), les grandes écoles d’ingénieurs, les frais de justice, l’organisation des élections, les frais d’affranchissement des impôts, les dispositifs sectoriels d’exonération de cotisations sociales font partie des dépenses en ligne de mire. On sait aussi qu’une révision du mode de revalorisation des prestations sociales est à l’étude.
  4. Dont les modalités seront précisées dans le budget 2016 ainsi que, d’ailleurs, celles relatives à l’introduction du prélèvement à la source à compter du 1er janvier 2018.

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