Ralentissement de la Chine et contraction du commerce mondial : quel impact sur le PIB mondial ?

par Didier Borowski, Recherche, Stratégie et Analyse chez Amundi

Les turbulences financières du mois d’août s’expliquent par la crainte de voir la croissance mondiale chuter. Le changement de régime de change de la Chine et la communication très maladroite des autorités chinoises quant à leurs intentions réelles sont à l’origine du vent de panique qui a commencé à souffler (et souffle encore) sur les marchés financiers.

Pour certains, la précipitation des autorités chinoises révélait, en creux, (1) que le ralentissement économique chinois était beaucoup plus prononcé que prévu et (2) que les autorités locales étaient prêtes à utiliser tous les instruments à leur disposition pour stabiliser l’économie. Le thème de la « guerre de changes » est ainsi revenu sur le devant de la scène et les craintes de dévaluations en cascade ont fait vaciller de nombreuses devises asiatiques, implicitement ancrées à la devise chinoise (l’Asie est devenue en grande partie une « zone yuan »).

La Chine étant le 1er importateur mondial de matières premières, leurs cours ont chuté ce qui a entretenu la dépréciation des devises (celles des pays exportateurs de matières premières notamment). Un mini-cercle vicieux s’est ainsi mis en place, dans lequel la baisse des devises et des matières premières se sont mutuellement entretenues. L’onde de choc s’est ensuite transmise aux marchés boursiers en Asie et dans le reste du monde.

Il est clair que la donne a changé pour de nombreux pays dans ce nouvel environnement macrofinancier (moins de recettes chez les exportateurs de matières premières, ce qui exacerbe les contraintes budgétaires, plus d’inflation en raison de la baisse des devises et plus d’incertitude avec les sorties de capitaux et la baisse des bourses). D’autres grands pays émergents que la Chine, déjà très affaiblis, se trouvent ainsi fragilisés (Brésil, Russie). Dans ces conditions, c’est la croissance des pays émergents prise dans son ensemble qui sera nettement plus faible que prévu en 2016.

En Chine, le ralentissement de l’activité dans le secteur manufacturier a commencé depuis plusieurs années mais s’est très nettement accéléré au 1er semestre 2015.1 On observe parallèlement une contraction du commerce mondial au 1er semestre et ce pour la première fois depuis 2008. La combinaison de ces deux évolutions, qui sont largement indépendantes l’une de l’autre, exacerbe les craintes d’un choc sur l’économie mondiale. Que faut-il en penser ?

Nous nous concentrons ici sur les seuls canaux de transmission via l’économie réelle2 et concluons sur deux points: (1) le poids «réel» de l’économie chinoise dans l’économie mondiale est beaucoup plus faible que ce qui est avancé et (2) le ralentissement du commerce mondial, de nature structurelle, permettra aux économies dotées d’un solide moteur de croissance domestique de se découpler plus facilement lors de chocs externes. Cela peut certes rassurer sur la dynamique de la croissance mondiale à court terme mais cela ne doit pas occulter le ralentissement généralisé qui se profile à moyen terme.

Quel est le « poids réel » de la Chine dans l’économie mondiale ?

Pour de nombreux observateurs, l’économie chinoise est devenue la première économie mondiale en 2014. S’il est clair que son importance n’a cessé de s’accroître au cours des 15 dernières années, le classement des économies entre elles est contestable. C’est le calcul du PIB de la Chine converti en dollar avec les « taux de change PPA » qui conduit à la conclusion que l’économie chinoise est plus importante que l’économie américaine (16,6 % du PIB mondial vs 16,1 % pour les États-Unis en 2014). Pour comprendre les enjeux, quelques éclaircissements s’imposent néanmoins sur la méthode permettant de parvenir à ce résultat.

Le calcul basé sur les taux de change PPA est en partie fictif ; il vise, avant tout, à assurer la comparabilité dans le temps d’agrégats régionaux ou mondiaux. En revanche, à une date donnée, on peut soutenir que ce qui compte, au final, pour l’activité mondiale (et donc pour les profits des entreprises), c’est l’importance de chaque économie estimée aux prix courants et aux taux de change courants. La même remarque est valable quand il s’agit d’estimer la contribution réelle d’une économie à la croissance ou les effets de diffusion d’un choc transitant par le commerce.

La Chine a certes vu son poids quadruplé en 15 ans, mais en dollars courants, son poids économique reste beaucoup plus faible que celui États-Unis (13,3 % vs 22,4 % en 2014). Et même si le poids du G3 (États-Unis, UE et Japon) a nettement baissé depuis 15 ans, il représente toujours plus de 50 % du PIB mondial (vs plus de 70 % en 2000)3.

L’usage de retenir les poids PIB PPA pour calculer la croissance mondiale
conduit donc à surestimer la contribution de la Chine et de l’Asie émergente, et à minorer celle des pays avancés. À court terme, les calculs aux taux de change courants traduisent sans doute beaucoup mieux les effets d’entraînement sur la conjoncture mondiale et sur les profits des entreprises.

Sans compter que pour mesurer le rôle à l’échelle mondiale du consommateur, il faut en outre tenir compte de la part de la consommation dans le PIB (environ 40 % en Chine vs 70 % aux États-Unis). En définitive, le « consommateur américain » pèse trois fois plus que le « consommateur chinois » (15,7 % du PIB mondial vs 5,3 %).

Commerce mondial : le ralentissement est structurel

Depuis plusieurs années on observe un très net ralentissement du commerce mondial, sans rapport direct avec le ralentissement observé en Chine. Entre 1992 et 2007, la croissance du commerce mondial était près de deux fois supérieure à celle du PIB mondial (7 % vs 3,8 %). La crise financière globale de 2008 marque une rupture de tendance. Depuis 4 ans, la croissance du commerce mondial est de 3 %, plus de moitié inférieure à ce qu’elle était au cours des 15 années qui ont précédé la crise. Le PIB mondial a ralenti mais dans une moindre mesure (3,6 %). Aujourd’hui, la croissance du commerce mondial est donc davantage en ligne avec celle du PIB mondial (proche de 3%).

Techniquement, l’écart de croissance entre le commerce mondial et le PIB mondial signifie que l’élasticité des exportations (des importations) au PIB mondial (au PIB domestique) était très supérieure à 1 entre 1992 et 2007. Dit autrement, durant cette période chaque unité de croissance conduisait à une hausse plus élevée des flux de commerce, ce qui contribuait en définitive positivement à la croissance mondiale. Cette période coïncide avec un mouvement d’accélération de la mondialisation et de fragmentation croissante des processus de production qui semble révolue.

L’évolution du commerce mondial est devenue plus neutre pour la croissance4.Il y a là une bonne et une mauvaise nouvelle. La bonne nouvelle est que les effets de diffusion par le canal du commerce sont aujourd’hui plus faibles que par le passé (et notamment que lors de la grande crise financière de 2008). Le ralentissement chinois devrait moins peser sur la dynamique des échanges que ce que l’on pourrait craindre. La part des exportations des pays avancés vers la zone Asie – et la Chine en particulier – a certes nettement augmenté au cours des 20 dernières années. Mais comme elles sont devenues moins sensibles à la croissance des pays émergents, l’impact sera au final atténué. En d’autres termes, les « multiplicateurs de commerce » chutent et la dynamique de la croissance mondiale devient (ou redevient) plus dépendante des demandes domestiques de chaque pays (ceci est vrai dans les pays avancés comme dans les pays émergents). Dans ces conditions, les effets de redistribution exercés par la chute des matières premières sur la consommation dans les pays avancés (dans une phase où les fondamentaux domestiques sont porteurs pour la demande intérieure) peuvent aisément l’emporter sur les effets négatifs transitant par le commerce mondial. Si cette tendance persiste, on pourrait donc assister à l’avenir à une déconnexion des cycles économiques entre pays. C’est très probablement ce qu’exprime, dans la plupart des pays (y compris en Chine), la divergence entre les enquêtes dans le secteur manufacturier (qui se dégradent) et celles dans les services (secteur par nature plus domestique) qui restent bien orientées.

La mauvaise nouvelle, en revanche, est qu’il deviendra plus difficile pour une économie de stabiliser sa conjoncture en comptant sur la croissance externe (au moyen par exemple d’une dépréciation du change) ou, pour le dire autrement, plus difficile d’exporter sa déflation (ou d’importer de l’inflation) par le canal du change. Ceci va accroître la pression sur les politiques de stabilisation usuelles (budgétaires et monétaires) alors même que les degrés de liberté en la matière sont considérablement réduits (contraintes d’endettement pour les États, politiques de taux zéro des banques centrales) et où l’impact marginal d’un nouveau QE sera faible. Les cycles économiques promettent donc d’être beaucoup plus heurtés que par le passé.

Conclusion

La bonne tenue de la demande domestique dans les pays avancés devrait compenser le ralentissement de la Chine et la contraction du commerce mondial à court terme; mais le PIB mondial et le commerce mondial vont converger vers un rythme de croissance ralenti à moyen terme.

En dépit du développement rapide des économies émergentes au cours de 15 dernières années, l’économie mondiale reste en définitive beaucoup plus dépendante de la consommation des pays avancés que de celle des pays émergents. Le « consommateur en dernier ressort » demeure le consommateur américain et dans une moindre mesure le « consommateur européen ». C’est une bonne nouvelle à court terme en raison des puissants effets redistributifs dont vont bénéficier les consommateurs des pays avancés avec la chute des prix des matières premières. En 2015-2016, la demande domestique dans les pays avancés devrait compenser le repli du commerce mondial et celui de la Chine.

En revanche, à moyen terme, le rythme d’expansion du commerce mondial va se caler sur celui de la production potentielle, à un niveau beaucoup plus faible que par le passé. La plupart des pays voient en effet leur potentiel de croissance diminuer en raison du très net ralentissement de la productivité globale des facteurs et du vieillissement de la population (moindre croissance voire baisse de la population active). Aux États-Unis, on estime que la croissance potentielle est de l’ordre de 2 % (vs 3 % avant crise). Dans la zone euro, il est à peine supérieur à 1 % (vs 2 % avant crise). Mais c’est sans doute dans les pays émergents que le ralentissement sera le plus spectaculaire (car ils partent de plus haut). Ceci plaide pour une lente convergence de la croissance mondiale (du PIB et du commerce) vers un niveau probablement inférieur en moyenne à 3 %.

Alors que le FMI a récemment alerté sur le ralentissement de la croissance potentielle mondiale, il reste silencieux sur celui du commerce mondial et sur les conséquences de cette combinaison. Nous avons rapidement passé en revue les causes possibles. Les conséquences sont multiples. On se limitera à en citer trois:

  1. les profits augmenteront beaucoup moins vite que par le passé (notamment pour les entreprises les plus internationalisées) – ce qui affectera la valorisation des marchés d’actions –,
  2. les cycles macroéconomiques seront plus domestiques et plus volatils que par le passé, et
  3. une menace de déflation ressurgira au moindre choc exogène (le cas de la Chine en 2015 en donne un parfait exemple). Dans cet environnement, les QE des banques centrales ont encore de beaux jours devant eux.

ENCADRE : Ralentissement du commerce mondial : les raisons structurelles

De nombreuses explications structurelles ont été avancées pour expliquer le ralentissement du commerce mondial observé depuis la grande crise financière de 2008.

  1. On ne peut pas expliquer, sur le plan théorique, une déformation continue du ratio commerce mondial/PIB mondial. La période durant laquelle les élasticités- revenu du commerce extérieur sont supérieures à 1 est nécessairement limitée dans le temps. C’est la période pré-crise (1990-2007) qui était anormale et non la période actuelle.
  2. Les innovations technologiques passées ont temporairement dopé le commerce mondial avant 2007. Le baisse de la sensibilité des échanges commerciaux
à la demande globale résulterait d’un épuisement des effets des chocs technologiques et militerait en faveur d’une pause dans la fragmentation des processus de production.
  3. On aurait atteint les limites organisationnelles de la fragmentation des chaînes
de production. Le stress financier lié à la grande crise financière, le blocage des chaînes de productions lié à des événements extrêmes (tremblements de terre, inondations etc.) ont conduit les entreprises à reconsidérer les coûts associés
à une fragmentation élevée des chaînes de production et à relocaliser certains pans de leur production.
  4. Le processus d’intégration avec les pays à forte croissance (Asie) serait achevé.
  5. L’accroissement tendanciel du prix des matières premières (jusqu’à une période récente) a accru les coûts de transport et diminué l’incitation à délocaliser la production vers des pays à plus faibles coûts.
  6. Les politiques mercantilistes de soutien aux industries domestiques diminuent l’incitation à délocaliser la production.
  7. Les avantages comparatifs des pays à faibles coûts disparaissent à mesure qu’ils se développent (hausses de salaires) ou encore, à mesure que les coûts des processus automatisés diminuent.
  8. La faiblesse de l’investissement depuis la grande crise contribue au ralentissement des dernières années. En effet, le contenu en importation des biens d’investissement est estimé deux fois supérieur à celui des biens de consommation.
  9. Le commerce mondial se déplace vers de biens dont l’élasticité-revenu est plus faible.
  10. À mesure que les pays à forte croissance rééquilibrent leur modèle de croissance vers, la demande domestique (Chine), le contenu en import de la croissance diminue ce qui contribue à l’échelle mondiale à faire baisser la sensibilité des échanges commerciaux à la demande globale.

Ces explications ne sont pas incompatibles. Il est probable qu’elles jouent toutes un rôle à des degrés divers. On notera néanmoins que si le ralentissement du commerce mondial et celui de la croissance potentielle mondiale (ou celui de la croissance chinoise) peuvent avoir des racines communes (épuisement des gains de productivité, faiblesse 0% de l’investissement), il y a des causes qui sont propres à l’organisation des chaînes de production et au commerce international (avantages comparatifs).

NOTES

  1. La Chine traverse une crise de surinvestissement, liée à l’accumulation excessive de capital dans les 10 dernières années. Purger les excès de capacité prendra du temps et sera douloureux. Le secteur manufacturier sera probablement affaibli pendant plusieurs années. Nous n’aborderons pas ici la problématique de l’ajustement interne en Chine, ni des possibles relais de croissance domestiques (du côté de la consommation notamment). Nous nous concentrons sur les conséquences pour l’économie mondiale d’un ralentissement qui apparaît structurel à bien des égards. Avec le vieillissement de la population et la chute de productivité globale des facteurs, c’est en effet la croissance potentielle chinoise qui est en train de ralentir. Sans doute plus rapidement que prévu.
  2. Nous n’abordons pas le canal financier (contagion boursière à court terme), convaincus qu’au final – une fois passées les turbulences liées à l’incertitude – c’est l’économie réelle (croissance économique, inflation, dynamique des profits) qui jouera le rôle d’ancre pour les marchés financiers.
  3. Les évolutions des devises en 2015 vont creuser l’écart entre l’Asie émergente et les économies avancées.
  4. À court terme néanmoins la contraction du commerce mondial va peser sur la croissance.