Le climat général se dégrade et incite à davantage de prudence

par Jean-Marie Mercadal, Directeur Général Délégué en charge des gestions chez OFI AM

Notre comité d’allocation trimestriel s’est tenu cette semaine, dans un climat qui a changé depuis le mois de juin. L’attention des marchés s’est en effet cristallisée sur 3 sources de stress simultanées : la crainte d’un ralentissement en Chine avec des impacts potentiels très importants, la perspective proche d’un changement d’orientation de la politique monétaire US après 7 ans de taux à « 0 » et enfin (ou toujours ?), le manque de coordination dans la conduite des affaires de la zone euro (discipline budgétaire, austérité ou pas, et très récemment, politiques migratoires conjointes…). Quelle analyse porter sur cette situation nouvelle ?

Economie

La dynamique est positive dans le monde développé… mais l’éventualité d’un sévère ralentissement chinois assombrit les perspectives.

Non seulement la reprise économique est une réalité aux Etats-Unis, au Japon et en Eu- rope, mais elle est également synchronisée ! Certes, les statistiques restent très volatiles, mais les chiffres publiés sont plutôt bons : l’année s’est donc engagée sur un rythme de croissance autour de 2.5% aux Etats-Unis, de 1% au Japon et de 1.5% dans la zone euro. Dans un monde « normal, c’est-à-dire avec une crois- sance des pays émergents qui tourne autour de 5/6%, la croissance mondiale resterait en zone idéale de « sweet spot » entre 3% et 4%, ce qui permettrait un développement des entreprises sans créer de tensions inflationnistes. Bref, un monde idéal pour les marchés tels qu’on les connait depuis 4 ans.

Cet équilibre est « challengé » actuellement par l’activité réduite dans les pays émergents, qui risque désormais de s’accentuer si la situation chinoise se détériore plus que prévu.

La Chine est en effet devenue un cas « systémique » : elle pèse près de 15% du PIB mondial (les pays émergents dans leur ensemble comptent pour 50%). Depuis la violente récession de 2009, la Chine a joué le jeu de la relance avec un plan de près de 800 milliards de dollars : investissements dans les infrastructures et l’immobilier, ce qui a boosté les importations de matières premières et contribué à la flambée de leurs cours. Ceci a profité aux pays exportateurs (Russie, Australie, Brésil…). Cette relance a également alimenté l’industrie, et donc les besoins en machines-outils occidentales (Japon, Allemagne…). La spéculation immobilière s’est donc naturellement poursuivie, avec des richesses individuelles énormes créées, favorisant de fait la consommation de produits de luxe… La croissance chinoise est donc repartie, avec une devise, le Yuan, qui a progressé de 13% par rapport au dollar ces dernières années…

Mais le jeu a changé, et on s’en est aperçu cet été. Le Président Xi l’avait pourtant annoncé : il faut revenir à des valeurs plus saines et modifier le modèle de croissance (lutte contre la corruption, la pollution… et réorientation de l’économie vers la consommation domestique). Cette phase de transition est plutôt bien pilotée du point de vue politique. Mais vouloir trop planifier les forces économiques, et surtout les marchés, est un jeu aléatoire, et l’action du pouvoir a été très confuse : maintien d’un objectif de croissance irréaliste de 7%, retard dans les réformes des entreprises d’Etat, soutien artificiel au marché boursier, et enfin, annonce surprise en août d’une dévaluation du Yuan de 3% par rapport au dollar. Le prétexte évoqué est certes louable (laisser libre- ment le Yuan flotter dans le but de devenir à terme une monnaie de réserve) mais les marchés n’y ont pas cru et y ont vu un moyen de relance par les exportations, signe d’une crise grave. D’où un enchainement négatif sur toutes les autres monnaies émergentes et un impact sérieux sur les Bourses mondiales.

Quelle est la réalité du ralentissement chinois ? Le problème est que personne ne sait vraiment. Les chiffres chinois suscitent le doute et les études statistiques économétriques tendent à montrer au vu des interactions quantitatives qu’un point de croissance en Chine « coûte » de l’ordre de 0.4% à la croissance mondiale… avec un impact plus fort en zone euro qu’aux Etats-Unis. Ceci donne des ordres de grandeur mais il faut se méfier de ce genre de calculs car ils ne me- surent pas les paramètres « confiance » et « dynamique »… De notre point de vue et d’après nos contacts en Chine, il n’y a rien de nouveau sur la croissance chinoise. A partir d’un certain niveau de développement, le taux de croissance ralentit progressive- ment et nous pensons qu’il pourrait se situer entre 5% et 6%, ce qui n’est pas trop grave.

N’oublions pas également que la Chine souhaite devenir une monnaie de réserve internationale pour « s’affranchir » du dollar. Elle est donc dans une phase de négociation avec les autorités du FMI (et donc les Etats-Unis) et que ce qui apparait comme une maladresse de communication à propos de la dévaluation du RMB n’est peut-être qu’un coup de semonce qui vise à montrer que si la Chine continue, elle peut déstabiliser le monde financier.

Plus globalement, la gouvernance mon- diale n’apparaît pas optimale pour atténuer les désordres multiples : taux de change, pétrole, géopolitique… Prochaine étape à suivre : la visite du Président Xi aux Etats-Unis fin septembre !

Taux d’intérêt

Dans cette phase de remontée de l’aversion au risque, les obligations gouverne- mentales des pays « les plus core » ont retrouvé leur rôle défensif, mais sans beaucoup de conviction de la part des investisseurs…

En effet, le rendement du Bund 10 ans s’est détendu jusqu’à 0.5% de rendement lors des dernières semaines de « stress » alors qu’il était passé ponctuellement en dessous de 0.1% en début d’année… Il est vrai que le niveau général des taux d’intérêt suscite peu d’attrait, mais cette situation risque de durer.

Concernant les taux monétaires, et quelle que soit la décision de la Fed, les politiques des Banques Centrales vont rester accommodantes. Aux Etats-Unis, nous sommes convaincus que la Fed veut à tout prix éviter de déstabiliser les marchés financiers. Même si elle élargit la fourchette cible pour les Fed Funds de 0/0.25% à 0.25%/0.50%, nous pensons que sa communication sera très claire et rassurante. En zone euro, il n’y aura pas de surprise, les taux monétaires vont rester quasi-nuls (négatifs ?) tout au long de l’année, la philosophie de Mario Draghi étant très pro-cyclique.

Dans ces conditions, nous voyons peu de risque de tension sur les marchés obligataires et anticipons une évolution avec des fluctuations étroites globalement comprises entre 2% et 2.5% pour le T Notes US 10 ans et 0.50% et 1% pour le Bund de maturité équivalente. Les « spreads » en zone euro ne devraient pas trop varier non plus : la résolution (dans la douleur et momentanée ?) du cas grec tend en effet à démontrer que l’Euro sera sauvé à tout prix. Il peut néanmoins y avoir des aléas ponc- tuels comme par exemple au moment d’élections (Espagne), ou des doutes soudains sur l’incapacité structurelle d’un pays à se réformer (France ?)…

En ce qui concerne la dette des entreprises « Investment Grade », les spreads se sont écartés légèrement durant les récentes phases de stress, mais il y a peu de risque que cela perdure, sauf en cas de récession majeure, ce qui n’est pas aujourd’hui le scénario le plus probable.

De même, le segment « High Yield » a été pénalisé cet été, mais dans des proportions limitées. Cette classe d’actifs procure désor- mais en Europe un rendement compris entre 4.5% et 5%, avec une maturité de l’ordre 3.5 / 4 ans, ce qui est intéressant compte tenu de la persistance de taux très bas. Attention toutefois à la liquidité sur ce segment, et d’une façon générale sur les investissements obligataires : en cas de remontée de l’aversion pour le risque, il convient de garder à l’esprit qu’il y a peu de contreparties en cas de ventes forcées (absence des Banques désormais sur le métier de « Market Making »). Il faut donc investir dans une optique de placement jusqu’aux remboursements…

De même, si les conditions « macro » ne militent pas pour une remontée des taux, il peut y avoir également des problèmes de liquidité ponctuels : si par exemple la Chine se met à vendre une grande partie de ses 3 500 milliards de dollars de réserves de change, majoritairement investies en obligations du Trésor US, le marché risque de souffrir… dans ce cas, la Fed pourrait décider un QE 4, mais c’est une autre histoire ! D’un point de vue technique, la zone de 1.15/1.20% sur le Bund est à surveiller. Si on repasse au-dessus, alors il y a un risque de violente tension des taux obligataires.

Les dettes émergentes ont été les plus affectées au cours de la période récente de défiance. Les devises émergentes ont connu une nouvelle phase de baisse depuis mi- août et les replis atteints depuis 2 ans commencent à être impressionnants : de près de 50% à 60% pour le Rouble ou le Réal Brésilien à 10%/15% pour celles considérées comme les plus solides comme le dollar de Singapour ou le Won coréen. En termes de valeur intrinsèque, il commence à y avoir des sous-valorisations notables, intéressantes dans une perspective d’investissement moyen/long terme. Le timing n’est peut-être pas encore idéal car il y a encore des flux sortants de cette classe d’actifs, mais il faut garder cette idée en tête, de même que le rendement qui est de l’ordre 7% sur les dettes locales.

Obligations convertibles

Nous n’avons pas noté de changement de nature profonde du marché depuis notre comité de juin. Dans l’ensemble, et en Europe, elles ont bien résisté aux phases de corrections boursières, principalement parce que les volatilités implicites se sont stabilisées à des niveaux assez élevés. Elles ne pré- sentent pas de sous-évaluation intrinsèque manifeste, ni de rendement très positif.

Actions

Les valorisations sont correctes mais il y a une incertitude sur les résultats des entreprises. En dépit de quelques séances de forts replis, les grands marchés actions ont au final perdu de 5 à 10% environ depuis leurs plus hauts niveaux de début août. Dans le même temps, les bénéfices attendus n’ont pas encore été révisés. Conséquence immédiate, les PER ont également baissé et s’affichent désormais à 13.5 pour les actions de la zone euro sur les résultats 2015 et à 16.5 pour le S&P 500, ce qui reste très convenable, avec de plus un rendement du dividende de l’ordre de 3.5% en Europe. Reste que les prévisions de résultats paraissent aujourd’hui plus aléatoires dans un cadre de ralentissement économique : pour l’instant, le consensus s’attend à une progression de 1% aux Etats-Unis et de +14% en Europe. Cela paraît peu crédible. En analyse « Top Down », on peut craindre en effet de fortes révisions sur les valeurs cycliques européennes, mais leurs cours ont déjà beaucoup souffert et ils sont plutôt à des niveaux attractifs à notre avis. Toute la difficulté actuellement est de mesurer dans quelles proportions les marchés ont-ils anticipé des révisions en baisse de bénéfices… qui n’auront peut-être pas lieu ! Nous aimons également les petites et moyennes valeurs européennes qui sont dans une phase de « surperformance » depuis plusieurs mois. C’est lié en partie au fait qu’il y a moins de valeurs liées au secteur des matières premières, mais aussi au fait qu’elles sont moins sensibles à la conjoncture internationale. En termes de valorisation par rapport aux grandes capitalisations, il reste encore un potentiel de rattrapage par rapport aux primes historiques.

Concernant les actions internationales, nous sommes plutôt sous-pondérés en actions américaines, en avance de cycle et également plus chères, et attentistes sur les actions émergentes en raison de la dynamique négative des flux, alors que les cours commencent à intégrer pas mal de mauvaises nouvelles. Sur la Chine, nous sommes étonnés par la violence de la correction et pensons que le marché a également suffisamment corrigé, mais là aussi avec une visibilité pour le moins confuse à court terme !

En conclusion, nous n’accordons pas la plus grande probabilité au scénario de fort ralentissement, qui est un pari aléatoire à ce stade. Les marchés vont donc être en attente de certitudes, et ils seront donc probablement volatils dans les prochaines semaines. Les poches de « Trésorerie » pourront alors être utilisées pour investir vers les actifs qui présentent, selon nous, les meilleurs potentiels de performance à moyen terme, les actions européennes et les obligations émergentes en devises locales.