par Thibault Mercier, économiste chez BNP Paribas
• Face à une reprise fragile et menacée par de nouveaux risques, la BCE se dit prête à faire plus pour soutenir la croissance et l’inflation.
• Si, comme nous l’anticipons, la croissance n’accélère pas d’ici la fin de l’année, la BCE pourrait annoncer une augmentation de la taille et de la durée de son assouplissement quantitatif (QE).
• En conséquence, les conditions financières et monétaires, déjà favorables, pourraient s’assouplir davantage.
• Pour autant, des doutes persistent sur la capacité de la politique monétaire à ranimer, seule, l’inflation. Une réponse plus globale, impliquant davantage de soutien budgétaire et la mise en œuvre de réformes ciblées, serait bienvenue.
La communication récente de la BCE indique que cette dernière est disposée à assouplir à nouveau sa politique monétaire si nécessaire. Nous revenons dans cet article sur les raisons qui invitent à penser que la BCE augmentera son programme d’assouplissement quantitatif en décembre. Pour autant, la faculté de la politique monétaire à relever, à elle seule, l’inflation, est en question. Dans un second temps, nous examinerons le rôle que pourrait jouer la politique budgétaire et les réformes structurelles pour normaliser la situation en zone euro.
La BCE prête à faire plus
Depuis la réunion du Conseil des gouverneurs du mois de septembre, la communication de la BCE s’est faite nettement plus accommodante, ouvrant la porte à un possible nouvel assouplissement de la politique monétaire. Les projections économiques de la banque centrale ont été révisées en baisse par rapport à juin. Le profil d’inflation, notamment, a été aplati, cette dernière perdant 0,4 points en 2016 pour s’établir à 1,1%. En outre, dans la déclaration introductive de la conférence de presse du 3 septembre, M. Draghi a insisté sur « les nouveaux risques à la baisse […] pour les perspectives de croissance et d’inflation », faisant référence, notamment, au fléchissement de la croissance dans les pays émergents. Tout en indiquant qu’il était prématuré de conclure à une incidence durable de ces événements sur les perspectives d’inflation à moyen terme, M. Draghi a souligné la volonté et la capacité d’agir du Conseil des gouverneurs, si nécessaire, mettant spécifiquement l’accent sur la flexibilité du programme d’achat d’actifs en terme de composition, de dimension et de durée.
Depuis, les commentaires des membres du Conseil des gouverneurs ont confirmé, voire accentué, le caractère accommodant du discours de la BCE. Récemment, M. Praet, chef économiste de l’institution, indiquait être « très vigilant » quant à un resserrement non désiré des conditions financières et monétaires en zone euro, assurant que la BCE réagirait énergiquement si l’objectif de stabilité des prix devait être menacé.
Le vice-président, M. Constancio, soulignait quant à lui la taille relativement modeste de l’assouplissement quantitatif européen (environ 5% du PIB) comparé à ceux des Etats-Unis et du Royaume- Uni (environ 20-25% du PIB) et a fortiori du Japon (65% du PIB), suggérant par là même les larges marges de manœuvre pour accroître la taille du programme d’achat d’actifs si besoin.
Jusqu’à présent, les indicateurs d’activité et les données d’enquêtes en zone euro affichent une certaine résilience. La reprise suit son cours. Toutefois, le ralentissement des émergents pourraient limiter la croissance européenne par, au moins, deux canaux. Le plus évident est celui du commerce extérieur. Une croissance plus faible des pays émergents se traduira par une moindre demande adressée à la zone euro, pénalisant les exportations. Cet effet pourrait être plus sensible que par le passé, dans la mesure où la crise de la dette souveraine a réduit l’importance du commerce intra-communautaire au profit des économies émergentes. Cette évolution a récemment été prise en compte par la BCE, qui a réévalué les pondérations des partenaires commerciaux de l’union monétaire pour mesurer le taux de change effectif de l’euro. La banque centrale note ainsi que le poids de la Chine dans les échanges de biens manufacturés est passé de 4% en 1995-1997 à 18% en 2010-2012. Parmi les autres émergents, la Turquie, la Russie et l’Indonésie sont les pays dont l’importance commerciale pour la zone euro a le plus augmenté ces dernières années. Le second canal est lié aux décisions d’investissement et d’embauche des entreprises, qui pourraient être retardées par la hausse de l’incertitude quant aux perspectives de demande. Les entreprises les plus susceptibles d’être touchées sont naturellement celles qui exportent, mais des effets de second tour pénalisant les firmes plus « domestiques » pourraient également intervenir.
Un troisième canal de transmission, moins direct, concerne les évolutions de politique monétaire en dehors de l’UEM, et donc, la valeur externe de l’euro. La réunion du Comité fédéral de l’open market (FOMC) des 16 et 17 septembre a montré que la Fed partageait les inquiétudes de la BCE sur l’environnement international et la hausse de la volatilité des marchés financiers. Elle s’est donné plus de temps pour apprécier leurs conséquences sur l’économie américaine alors que l’inflation demeure faible. Notre prévision reste celle d’une amorce de resserrement monétaire en décembre, mais les chances d’un report en 2016 ont augmenté. Or, des anticipations de hausses de taux américains repoussées dans le temps renforcent, toutes choses égales par ailleurs, la valeur de l’euro contre le dollar. Bien que le taux de change ne soit pas un objectif de politique monétaire pour la BCE, il est un levier essentiel pour stimuler l’activité et ramener l’inflation vers son niveau cible, légèrement en deçà de 2%. Récemment, la succession de propos accommodants tenus par divers membres du Conseil des gouverneurs de la BCE a provoqué une dépréciation de l’euro. En termes effectifs nominaux (contre 38 partenaires), la monnaie unique a perdu près de 1,5% par rapport au pic de la fin août. Sa valeur reste toutefois supérieure de 8,5% au plus bas de mi-avril. Couplée à des taux d’intérêt à long terme eux aussi plus élevés qu’au printemps, l’appréciation de l’euro se traduit par des conditions financières et monétaires moins favorables.
La BCE se dit très attentive à l’évolution de la situation économique. Compte tenu de la grande prudence affichée récemment, il semble que la banque centrale n’attendra pas que l’activité se dégrade pour agir. Le simple fait que la croissance n’accélère pas pourrait la pousser à l‘action. Outre la baisse des prix de l’énergie, qui pèse directement mais transitoirement sur l’inflation, c’est l’ampleur des capacités de production sous-employées, et leur lente réduction, qui posent problème. Le chômage ne baisse que timidement et reste très élevé, bien au-dessus du niveau à partir duquel se forment les tensions salariales. Une reprise insuffisamment vigoureuse signifie, à tout le moins, une inflation basse pendant longtemps avec le risque d’engendrer une spirale négative entre faible inflation et baisse des anticipations d’inflation. Dans la situation actuelle, ranimer la croissance des prix à la consommation suppose une accélération de la croissance du PIB.
Si, comme nous l’anticipons, la fin d’année s’accompagne de la publication d’indicateurs économiques décevants, la réunion de politique monétaire de décembre pourrait être l’occasion pour la BCE de présenter des prévisions d’inflation revues en baisse et d’annoncer, en conséquence, un allongement de la durée du QE et une hausse du volume d’achats mensuels.
Des effets positifs
Les effets du QE sont jusqu’ici positifs. Depuis un an, les taux d’intérêt à long terme et le taux de change de l’euro ont fortement baissé, soutenant la demande intérieure et les exportations. Néanmoins, en observant l’évolution des taux d’intérêt et du change on constate que ces variables ont essentiellement réagi à l’anticipation du programme d’assouplissement quantitatif plutôt qu’à sa mise en œuvre. De fait, comparés à la date à laquelle les achats d’actifs publics ont commencé (le 9 mars 2015), la valeur de l’euro comme les taux longs ont augmenté. Ces évolutions s’apparentent en partie à une correction par rapport à une sur-réaction des marchés : mi-avril, les taux d’intérêt allemands étaient négatifs jusqu’à échéance 7 ans, l’euro/dollar proche de la parité (1,05). Elles traduisent aussi une augmentation des risques depuis le printemps avec, d’abord, la crise grecque puis, plus récemment, les inquiétudes sur les pays émergents et la Chine en particulier. Enfin, le recul des anticipations de hausse des taux aux Etats-Unis a également renchéri l’euro. Nonobstant ce resserrement des conditions financières et monétaires, ces dernières restent très accommodantes. Elles devraient le devenir davantage encore en cas d’augmentation du QE.
La politique de la BCE soutient aussi l’offre de crédit. Les achats de titres, couplés aux opérations de financement ciblées à long terme (TLTRO), viennent gonfler la base monétaire, via une hausse des réserves des banques auprès de la BCE1. La capacité d’octroi de crédit est alors accrue. Dans le même temps, le QE fait baisser les primes de risque attachées aux dettes souveraines et encourage le rééquilibrage des placements en faveur des actifs du secteur privé. Les données récentes montrent une amélioration, quoique timide, de la dynamique de prêts. En août, les prêts aux sociétés non financières avaient augmenté de 0,4% sur un an, après 0,3% en juillet, mettant fin à trois ans de contraction. En outre, les écarts de coûts de financement entre les entreprises du cœur et celles de la périphérie de la zone euro se réduisent.
Les limites de la politique monétaire
En dépit de ces effets positifs, la question de l’efficacité de la politique monétaire à relever, seule, l’inflation est régulièrement posée. Si le QE a permis d’écarter le spectre de la déflation, suffira-t- il, même augmenté, à normaliser la situation en zone euro? Et si oui, au bout de combien de temps ? Force est de constater que la croissance des prix à la consommation demeure atone et, surtout, que les anticipations d’inflation sont à nouveau orientées à la baisse.
Les interrogations autour des limites de la politique monétaire font généralement référence à la situation dans laquelle se trouve une banque centrale incapable d’abaisser le taux monétaire au niveau qui permettrait de restaurer le plein emploi. Cela peut être le cas lorsqu’un excès d’épargne (i.e. insuffisance de demande) fait passer le taux d’intérêt d’équilibre de l’économie – celui qui permet d’égaliser l’épargne et l’investissement au plein emploi – en territoire négatif (Summers 2013). Si les taux d’intérêt sont déjà au plancher et que l’inflation est trop basse, la banque centrale n’a plus de levier pour abaisser les taux d’intérêt réels vers le niveau d’équilibre. L’économie reste durablement en sous-emploi. Sauf à ce que la banque centrale ne parvienne à élever les anticipations d’inflation, la politique monétaire, y compris non conventionnelle, perd de son efficacité. Le retour de l’économie vers son niveau d’équilibre suppose alors de stimuler la demande par d’autres moyens. Le plus efficace est une hausse des investissements publics qui compense la faiblesse de la demande privée, relevant ainsi le taux d’intérêt d’équilibre. Des réformes structurelles ciblées peuvent également permettre d’augmenter la demande à court terme.
En zone euro, où le déficit d’investissement est manifeste, l’option d’une relance budgétaire semble exclue. La France, l’Italie, l’Espagne sont, au contraire, engagés dans des processus de consolidation de leurs finances publiques. L’Allemagne est politiquement très attachée à l’équilibre budgétaire. Au niveau européen, tant le budget de l’Union que le montant des fonds publics mobilisés pour le Plan Juncker témoignent de la faible volonté d’engager des dépenses communes.
Reste le levier des réformes structurelles dont la nécessité est systématiquement mise en avant dans les propos liminaires des conférences de presse de M. Draghi. Pourtant, comme le reconnaît le président de la banque centrale2, dans un contexte de faible demande où joue la contrainte de taux zéro, la mise en œuvre de réformes structurelles peut aggraver la contraction de l’économie et éloigner encore davantage la banque centrale de son objectif de stabilité des prix. Une réforme visant à réduire le coût du travail exercera une pression à la baisse sur l’inflation que la banque centrale ne pourra pas contrer par une baisse de son taux directeur. En conséquence, les taux d’intérêt réels augmenteront. Des mesures de flexibilisation du marché du travail introduites en bas de cycle risquent d’accroître l’incertitude sur le marché du travail et d’encourager l’épargne de précaution.
Néanmoins, il convient de rappeler que le terme « réforme structurelle » renvoie à une réalité multiple. Toutes les réformes ne se valent pas, notamment en ce qui concerne leur effet immédiat sur l’activité. Certaines peuvent soutenir la demande, même à court terme. Il en va de celles qui agissent sur la confiance. Par exemple, un allongement de la durée d’activité permettra à la fois d’élever la production à moyen terme, mais aussi la consommation à court terme si, en rassurant les ménages sur la soutenabilité des pensions, elle permet de réduire l’épargne de précaution. L’investissement présent peut également être stimulé par des réformes levant les barrières à l’entrée dans certains pans de l’économie et plus généralement par des mesures augmentant le potentiel de croissance, c’est-à-dire les perspectives de revenus futurs.
Malgré l’amélioration de l’activité, la zone euro reste dans une conjoncture faible, caractérisée par une inflation trop basse. La BCE a plusieurs fois souligné sa volonté et sa capacité d’agir pour ranimer l’inflation. Le ton très accommodant employé récemment laisse penser que le simple fait que la croissance n’accélère pas d’ici la fin de l’année pourrait conduire la BCE à augmenter la taille et la durée du programme d’assouplissement quantitatif. Cela devrait permettre une détente supplémentaire des conditions financières et monétaires, déjà favorables. Toutefois, des doutes persistent sur la capacité de la politique monétaire à relever, seule, l’inflation vers son objectif de 2% d’ici 2017. Le déficit d’investissement est particulièrement problématique. Dans la mesure où ce dernier renvoie en partie à un manque de confiance dans le potentiel de croissance de l’union monétaire, certaines réformes structurelles, pour peu qu’elles soient mises en oeuvre crédiblement, pourraient aider. Elles gagneraient très certainement à être accompagnées d’une augmentation des dépenses publiques dans les infrastructures et l’éducation. Dans un cas comme dans l’autre les résistances politiques apparaissent fortes, néanmoins.
NOTES
- Lorsque la BCE achète des titres auprès d’agents non bancaires ces derniers voient leurs dépôts auprès des banques augmenter. En conséquence, les réserves des banques auprès de la BCE s’accroissent.
- « Structural reforms, inflation and monetary policy », Introductory speech by Mario Draghi, ECB Forum on Central Banking, Sintra 22 May 2015