par Jean-Luc Proutat, économiste chez BNP Paribas
• L’atterrissage des économies émergentes, à commencer par celui de la Chine, n’est pas fortuit. Il renvoie pour l’essentiel à l’apurement des excès de capacité et de dette accumulés dans les secteurs qui ont nourri le « miracle » des années 2000.
• Il nous amène à réviser en baisse nos prévisions de croissance dans les économies développées, qui cesseraient globalement d’accélérer.
• Les Etats-Unis et la zone euro n’en sont toutefois pas au même stade de leur reprise. Les premiers se rapprochent du plein emploi et voient leur marché immobilier s’animer, ce qui devrait conduire la Réserve fédérale à resserrer sa politique.
• La seconde marque des progrès mais reste trop fragile pour que les perfusions monétaires lui soient retirées.
Nous révisons en baisse nos prévisions d’activité pour l’ensemble des pays développés, en 2015 comme en 2016. Les économies des Etats-Unis et de la zone euro cesseraient globalement d’accélérer, pour cheminer sur des pentes respectives de 2,5% et 1,5% l’an. En cause, l’essoufflement des échanges avec les pays émergents, en perte de vitesse et dont les monnaies chutent depuis l’été 2015. Sur les quatre « BRIC », deux sont déjà en récession (le Brésil et la Russie) et appelés à y rester ; le géant chinois, qui assure 20% de la production industrielle de la planète, freine probablement davantage que les chiffres officiels de PIB ne l’indiquent. Orientée vers les services, tirant aussi parti du cours modique des matières premières, l’Inde maintient son cap. Mais elle fait exception dans une communauté émergente qui, globalement, ralentit.
Loin d’être fortuite, cette baisse de régime intervient au cœur de l’immense chantier constitutif du miracle émergent des années 2000. Hier en très forte expansion, les secteurs liés aux infrastructures (bâtiment, travaux publics, industries extractives…) doivent aujourd’hui apurer des excès de capacités et de dette. L’acier constitue un cas exemplaire : la Chine en exportera quelque 120 millions de tonnes en 2015, deux fois plus qu’en 2008, alors même que la demande s’est partout assagie depuis la crise financière. La conséquence de cette surproduction a été une division par trois des cours mondiaux depuis sept ans. Ce recul n’est pas isolé mais concerne bon nombre de prix de produits de base. Les grands pays producteurs se retrouvent ainsi sous pression : leurs termes de l’échange se détériorent, leurs revenus d’exportation en dollar chutent (-15% pour le Brésil en 2015), alors que les passifs financiers constitués dans cette même monnaie ont eu tendance à s’alourdir. La combinaison ralentissement chinois + baisse du prix des matières premières + dette en dollar revêt un caractère hautement dépressif dans une bonne partie du monde émergent.
Or il se trouve qu’en 2014, celui-ci absorbait près de 30% des exportations de l’Allemagne, dix points de plus qu’au moment de la création de l’UEM (en 1999) ; il contribuait aussi pour près de 80% à la croissance mondiale. Les pays avancés ne peuvent donc ignorer le vent qui tourne. Certes, la baisse des prix du pétrole leur confère une certaine résistance. Elle permet par exemple à la zone euro d’économiser une centaine de milliards d’euros sur sa facture énergétique annuelle, l’équivalent d’un point de PIB. Le transfert de pouvoir d’achat est conséquent ; le temps d’être intégré pleinement dans les comportements de dépenses, son effet sur l’activité peut durer quelques trimestres. Le fait est qu’à l’automne 2015, la consommation des ménages européens conserve de l’élan ; elle retrouve aussi le soutien du crédit.
Néanmoins, dans le même temps, ceux qui sont aux prises avec la concurrence sur les marchés mondiaux, comme les directeurs d’achat ou les dirigeants d’entreprise, ont tendance à se montrer plus prudents dans les enquêtes. Le secteur manufacturier voit ses commandes hors d’Europe se tasser, alors que le cours de l’euro, en hausse de 8% contre l’ensemble des monnaies depuis mi-avril, lui est moins favorable.
Les risques qui pèsent sur la fragile reprise européenne sont suffisamment sérieux pour que la Banque centrale envisage à nouveau d’assouplir sa politique. Calibré à 60 milliards d’euros par mois jusqu’en septembre 2016, son programme d’achats de titres devrait être augmenté et prolongé. Quant aux taux d’intérêt appliqués à l’euro, ils resteront pour longtemps encore voisins de zéro. Ce qui pourrait ne plus être le cas concernant le dollar. Certes, la Réserve fédérale s’est elle aussi montrée sensible à la détérioration du climat économique mondial. Mais ses choix obéiront d’abord à des considérations internes. La première est que l’économie des Etats-Unis a recouvré la santé, et qu’elle serait assez résistante pour que les perfusions monétaires, qui n’ont pas que des avantages, lui soient retirées.