Etats-Unis : rien ne sert de courir, il faut partir à point

par Alexandra Estiot, économiste chez BNP Paribas

•  Les enquêtes, autant que les données d’activité, montrent que le secteur manufacturier rebondit.

•  L’inflation donne également des signes de reprise, faisant écho à une certaine accélération des salaires.

•  Les membres du Comité de politique monétaire (FOMC) apparaissent de plus en plus confiants dans leurs prévisions d’un retour, graduel et à moyen terme, de l’inflation vers l’objectif de 2%.

  La normalisation de la politique monétaire sera probablement initiée en décembre de cette année.

Les données publiées cette semaine viennent renforcer le message du rapport emploi : après un ralentissement à la fin de l’été, l’activité américaine a rebondi en octobre. Les pressions baissières sur les prix, comme sur les salaires, s’estompent par ailleurs. La probabilité de voir la Fed débuter la normalisation de sa politique monétaire en décembre est donc très forte. Les minutes de la dernière réunion du FOMC confirment que l’ultime frein à cette décision, à savoir la confiance portée dans les prévisions d’une inflation revenant graduellement vers l’objectif, se lève.

Rebond manufacturier

Les données d’activité ainsi que les enquêtes avaient témoigné d’un coup de frein dans l’industrie manufacturière en août et septembre. Alors qu’il avait atteint un point haut en juin (53,8), l’ISM manufacturier, l’indice des directeurs d’achats sur l’ensemble du territoire américain, n’a, par la suite, cessé de reculer, pour atteindre 50,1 en octobre. Ce dernier point marquait néanmoins une rupture. Si l’indice composite reculait encore, la baisse était très limitée (0,1 point) alors que certaines des composantes les plus avancées enregistraient un rebond : « nouvelles commandes », en hausse de 2,8 points à 52,9 et « production » de 1,1 point à 52,9 également.

Les enquêtes régionales confirment le mouvement. Dans le district de la Fed de New York, l’indice composite n’a, certes, pas rebondi, demeurant sous la barre des 50 points (46,4) et en baisse de 0,1point1. Mais les indices «climat des affaires» et «nombre d’employés » ont rebondi, une évolution plus marquée encore pour l’indice « nouvelles commandes » qui gagnait 3,5 points en novembre. C’est le niveau des stocks, jugé trop faible, qui a principalement pesé sur la confiance. Si, comme c’est généralement le cas, les industriels réagissent par la reconstitution de ces stocks, la confiance a toute les chances de rebondir à court terme.

Ce mouvement est d’ores et déjà enclenché plus au Sud, l’enquête publiée par la Fed de Philadelphie illustrant un regain de confiance en novembre. L’indice composite (que nous calculons de la même façon qu’à partir des données de la Fed de New-York) a rebondi de 2,5 points, marquant notamment un retour en territoire positif (au- dessus des 50 points) des indices « climat des affaires » (à 51,0) et « emploi » (à 51,3). Des données de ces deux enquêtes, nous tirons l’Indice NEM (North East Manufacturing), un bon indicateur avancé de l’ISM. En novembre, le NEM rebondissait de 1 point, laissant envisager un ISM aux alentours de 53 (publication le mardi 1er décembre).

En octobre, la production manufacturière a rebondi de 0,4%. Le ralentissement des mois d’août et septembre avait particulièrement touché le secteur des biens durables, dont la production avait reculé, successivement, de 0,4% et 0,3%. Le rebond a été marqué en octobre : +0,5%. Les causes du ralentissement de la fin de l’été ne sont pas totalement identifiées, même si on peut penser qu’il était lié à la volonté des industriels d’apurer une partie de leurs stocks. Jusqu’au début de 2015, ces derniers avaient fortement progressé par rapport aux ventes. Si des excédents, perdurent encore aujourd’hui, c’est surtout le fait du secteur de l’énergie ; ailleurs dans l’économie, le niveau des stocks a eu tendance à se normaliser, laissant présager le réalignement de la croissance de l’offre sur celle de la demande. La variation des stocks pourraient ainsi ne pas renouveler sa forte contribution négative du troisième trimestre.2

es gains de productivité continuent par ailleurs d’être très soutenus dans l’industrie américaine. En octobre, la production manufacturière progresse de 1,9% sur un an, alors que le volume d’heures travaillées n’augmente pratiquement pas (+0,1%). Conséquence, malgré l’accélération des rémunérations, qui progressaient de 2,1% en glissement annuel en octobre (contre 1,4% en 2014 et au premier semestre de 2015), les coûts unitaires du travail demeurent relativement stables.

C’est sans doute la raison pour laquelle, en dépit de l’appréciation du dollar et d’une demande mondiale atone, les exportations américaines résistent : la perte de compétitivité extérieure est certes réelle, mais limitée. Dans un précédent numéro d’Eco Week3, nous émettions également l’hypothèse que les industriels américains répercutaient davantage la baisse de leurs coûts (liés au recul du prix des intrants, qu’ils soient importés et/ou énergétiques) sur les marchés à l’exportation que sur le marché national.

Prix à la consommation : des signes encourageants

Les données pour le mois d’octobre continuent de soutenir cette hypothèse. La baisse des prix à l’exportation s’est poursuivie pour le cinquième mois consécutif en octobre et atteint 6,7% sur un an. Tout en reculant également, l’indice des prix à la consommation est bien plus stable : l’inflation, en glissement annuel, était de 0,2%, soit positive, en octobre. Par ailleurs, hors alimentation et énergie, une accélération des prix semble se dessiner de plus en plus nettement. En glissement annuel, la progression de ces prix était de 1,9% en octobre, soit la plus rapide depuis juin 2014. Hors loyer (ou équivalent pour les ménages propriétaires), l’évolution des prix donne également des signes de reprise.

La Fed

Les minutes de la dernière réunion du FOMC, tenue les 27 et 28 octobre, confirment ce que nous savions déjà. La plupart des membres du Comité de politique monétaire analysent la faiblesse de l’inflation de ces derniers mois comme la conséquence des mouvements des prix du pétrole et du dollar. Son récent rebond, bien que modéré, n’en est pas moins souligné. Certains membres du FOMC font également état de l’apparition de tensions sur le marché du travail, qui se diffusent au travers des secteurs d’activité et des zones géographiques. Au final, une majorité d’officiels de la Fed pense que les conditions d’une hausse des taux seront réunies en décembre. Cette évolution de la majorité du Comité est reflétée par la modification du communiqué de presse, publié le 28 octobre, qui indique que la réunion à venir, les 15 et 16 décembre, pourrait bien être celle de la première remontée des taux.

Ce discours volontariste n’exclut pas la précaution d’usage : la décision dépendra des évolutions conjoncturelles, celles-ci étant analysées en tendance, et non point par point.

La Fed répète à nouveau que, davantage que la date d’enclenchement de la hausse des taux, c’est l’ensemble du cycle qui devra être pris en compte. Le message d’une remontée très graduelle reste d’actualité. Il est même amplifié par l’évocation des discussions qui ont eu lieu au sujet du taux d’intérêt réel neutre. Celui-ci, qui était tombé en territoire négatif avec la crise, reste proche de zéro, et ne devrait que très progressivement remonter, pour demeurer plus faible que par le passé. De plus, les risques sont à la baisse, et ce d’autant plus que les perspectives sont incertaines en termes de productivité totale des facteurs comme de taux d’activité.

Le message de la Fed semble être que, si le taux objectif des Fonds fédéraux va être augmenté, la politique monétaire n’en restera pas moins accommodante. Une manière de s’en convaincre est de comparer les projections respectives d’inflation et de taux des Fed Funds des membres du FOMC, afin d’en déduire un taux réel « apparent ». Et le fait est que, si les prévisions d’inflation de la Fed se matérialisent, le relèvement a priori très lent des taux nominaux donnera lieu, du moins dans un premier temps, à une baisse des taux réels.

A supposer que les risques entourant les perspectives de croissance ou le respect de l’objectif d’inflation restent significatifs, pourquoi remonter les taux ? Les minutes montrent que les membres du FOMC y voient plusieurs raisons.

La première est qu’un report du début de la normalisation pourrait amener les agents économiques à sur-réagir à la fixation d’une date. Et la Fed cherche justement à minimiser l’importance de cette date. La deuxième est qu’un report pourrait être mal compris, laissant penser que la Fed fait un diagnostic pessimiste de la conjoncture économique ou, pire, doute que l’inflation puisse jamais atteindre la cible de 2%. C’est alors la crédibilité de la banque centrale qui serait en jeu. De plus, il est rappelé que la normalisation monétaire est potentiellement d’autant moins agressive qu’elle est initiée au bon moment, c’est-à-dire pas trop tard.

Enfin, les risques pesant sur la stabilité financière sont rappelés. Ici on pense au récent discours d’Eric S. Rosengren4, le Président de la Fed de Boston : dès lors qu’elle se rapproche des objectifs de plein emploi et de stabilité des prix, la Fed donne plus de poids aux questions de stabilité financière. Ce point de vue n’est pas nouveau, étant le corollaire de la défense des opérations d’assouplissement quantitatif du passé. Les différentes vagues d’assouplissement quantitatif avaient soulevé des critiques, notamment de ceux craignant qu’une telle politique fasse peser des risques sur la stabilité financière. La réponse de la Fed était que l’absence de résultat en termes de stabilité des prix et de plein emploi faisait planer des risques bien plus lourds et bien moins hypothétiques sur la stabilité financière. En résumé : nous agissons et une fois nos objectifs respectés, nous pourrons nous concentrer sur les autres risques.

Aujourd’hui, la Fed a corrigé une bonne partie de la déviation à l’objectif de plein emploi ; elle projette de pouvoir obtenir, à moyen terme, le même succès pour l’inflation. La stabilité financière a alors un poids plus important dans ses décisions. A cet effet, Eric S. Rosengren soulignait, le 9 novembre, la progression très rapide du prix des transactions commerciales dans le secteur du bâtiment résidentiel. Il ajoutait que, si lors d’une courte marche en ville, le nombre de grues observées était à deux chiffres, il devenait raisonnable de s’interroger sur la soutenabilité d’une telle croissance5.

NOTES

  1. Nous calculons, à partir des données d’enquêtes de la Fed de New-York cet indice composite. Après avoir rebasé les séries, nous calculons la moyenne pondérée des indices « production », « nouvelles commandes », « délais de livraison », « niveau des stocks » et « emploi » sur la modèle de l’indice ISM.
  2. « Pétrole et policy-mix », Alexandra Estiot, BNP Paribas Eco Week, 30 octobre 2015.
  3. « Résistance », Alexandra Estiot, BNP Paribas Eco Week, 6 novembre 2015.
  4. «Assessing the Economy’s Progress», Eric S.Rosengren, Présentation à la Newport County Chamber of Commerce, Portsmouth, Rhode Island, 9 novembre 2015.
  5. « When the number of cranes observed on a short walk in a city such as Boston reaches double digits, as is the case today, it is worth reflecting on the sustainability of such growth. »

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