par Christopher Dembik, Economiste chez Saxo Banque
Le mois de décembre sera chargé pour les banques centrales. La BCE ouvre le bal le 3 décembre prochain. La question n’est pas de savoir si elle optera pour un nouvel assouplissement monétaire mais plutôt de quelle ampleur il sera. Plusieurs membres de la BCE ont préparé le terrain au cours des dernières semaines. Ewald Nowotny, gouverneur de la banque centrale autrichienne, a, de nouveau, brandi le risque d’une japanisation de l’Europe. De son côté, Peter Praet, chef économiste de la BCE, a réaffirmé l’efficacité des taux négatifs qui auraient même eu un impact positif sur la rentabilité des banques…ce qui reste à démontrer.
I) Les trois options de la BCE
Trois scénarios principaux sont envisageables cette semaine :
1. Baisser uniquement le taux de dépôt pour que la politique monétaire conserve une marge de manœuvre
Le taux de dépôt semble être, à ce jour, l’instrument privilégié par la BCE. Notre scénario de base repose sur une baisse de celui-ci de 10 à 20 points de base, ce qui le ferait passer, au minimum, de -0,20% à -0,30%. Une telle décision serait en ligne avec les attentes initiales du marché. Trois arguments principaux plaident en faveur d’une action minimale en décembre :
- le niveau de l’euro est incontestablement confortable pour l’institution. Le taux de change optimal pour la BCE se situe certainement entre 1,12 et 1,15 pour l’euro/dollar ;
- hors contexte, les récents indicateurs PMI composite correspondent plus à une période de durcissement monétaire que d’assouplissement ;
- la BCE doit pouvoir garder des cartouches en cas de détérioration de l’inflation dans la zone euro ou de panique sur les marchés dans la foulée de la vraisemblable hausse des taux de la FED.
Mi-novembre, lors d’une audition devant le Parlement Européen, Mario Draghi a exprimé son inquiétude à propos d’un ralentissement de la hausse de l’inflation en 2016. Contrairement à son prédécesseur à la tête de la BCE, Mario Draghi s’appuie sur l’inflation sous-jacente pour juger de l’évolution future des prix dans la zone euro. Jean-Claude Trichet considérait qu’il ne s’agissait pas d’un indicateur fiable. Depuis son point bas à 0,6% en début d’année, l’IPCH a progressé pour atteindre un plus haut de deux ans, à 1,1% sur un an en octobre. Les craintes d’une stagnation de l’inflation sous-jacente au cours de l’année 2016 ne sont pas complètement infondées mais le mouvement d’accélération est encore loin d’être terminé. Une progression de l’IPCH vers 1,3% en début d’année est fortement probable. Il n’y a donc pas d’urgence à agir. Une réévaluation au printemps 2016 du dispositif actuel pourrait laisser suffisamment de temps à la BCE pour obtenir plus de données à propos du panorama économique de la zone euro et pour ajuster sa politique monétaire à la vitesse de hausse des taux outre-Atlantique, ce qui constitue un sérieux point d’interrogation. C’est seulement à ce moment-là que la BCE pourrait décider, si nécessaire, d’étendre le QE au-delà de septembre 2016 et / ou de le renforcer.
2. Introduire un taux de dépôt à deux niveaux pour accentuer la pression sur les banques
La BCE travaille, logiquement, sur un éventail d’outils plus larges, pouvant inclure en particulier un taux de dépôt à deux niveaux. Son fonctionnement consisterait à imposer un taux de dépôt différent en fonction du niveau de réserves excédentaires que les banques déposent auprès de la banque centrale. Les banques ayant un niveau de réserves excédentaires élevé, notamment les grandes banques européennes qui utilisent abondamment les facilités de dépôt, se verraient imposer un taux de dépôt plus négatif que les banques ayant un niveau de réserves excédentaires moins important. L’idée étant une nouvelle fois de favoriser le crédit aux agents économiques. On pourrait envisager, dans cette perspective, un taux de dépôt initial à -0,30% et un taux de dépôt « punitif » à -0,40%. Il n’est pas certain que ce dispositif soit très efficace, à moins d’envisager un taux de dépôt « punitif » beaucoup plus dissuasif. Si on devait recourir à ce type de mesure dès ce mois-ci, il s’agirait, en tout cas, d’une complexification inédite de la politique monétaire qui traduirait le désarroi des banquiers centraux, incapables de faire remonter significativement l’inflation et la croissance.
3. Lancer un nouveau bazooka monétaire pour surprendre les marchés
Considérant qu’une stagnation de l’inflation est inévitable l’an prochain et que le QE fonctionne, la BCE pourrait décider de provoquer un électrochoc en lançant un nouveau bazooka monétaire. De nombreux ajustements du programme de rachats d’actifs sont possibles : son extension, l’augmentation des rachats mensuels, l’inclusion de nouveaux actifs comme les obligations émises par les collectivités locales, ou encore la levée de la limite imposée à 25% sur les rachats d’obligations souveraines notées triple A.
La BCE pourrait chercher à capitaliser sur l’effet de surprise. La modification du QE pourrait être accompagnée d’une baisse du taux de dépôt afin de maximiser l’impact psychologique sur les agents économiques des nouvelles mesures de la BCE. Ce scénario parait peu probable à court terme car il faudrait un vaste consensus au sein de la banque centrale et des données corroborant la nécessité d’agir dans les plus brefs délais. A l’heure actuelle, les discussions à ce sujet n’en sont qu’au stade préliminaire et les membres allemands de la BCE, Jens Weidmann et Sabine Lautenschläger, s’opposent à toute modification des rachats d’actifs. Un tel scénario comporte, en plus, un risque évident : à force de vouloir surprendre systématiquement les marchés, à un certain stade il n’y aura plus de nouvel outil disponible, la BCE ne pourra que décevoir.
II) Les limites de la politique monétaire expansionniste
Anticiper l’évolution de la politique monétaire est devenu un exercice compliqué ces dernières années. Il est de plus en plus difficile de savoir comment les banques centrales analysent les données macroéconomiques. La volonté de certaines d’entre elles, dont la BCE, de vouloir aller aux devants des attentes du marché laisse perplexe, surtout au regard du bilan plutôt mitigé de la politique expansionniste. La zone euro est confrontée à un paradoxe : la politique monétaire n’a jamais été aussi accommodante et, pourtant, l’activité ne décolle pas vraiment.
Le principal effet positif des interventions de la BCE fut la dépréciation de l’euro. Pour la France, une baisse de 10% de l’euro se traduit par une hausse des exportations, pouvant aller jusqu’à 8% pour le secteur automobile, et par environ 20 000 à 30 000 créations d’emplois. Le repli de l’euro coïncide avec des taux d’intérêt sur le marché obligataire au plus bas. A ce jour, 30% des obligations souveraines en zone euro sont en territoire négatif. Pour l’Allemagne, plus de 50% des obligations souveraines sont concernées.
Malgré ces aspects positifs, la croissance reste faible et l’inflation basse par rapport à la cible de la banque centrale. Il est certainement temps de reconnaître que la politique monétaire n’est plus, aujourd’hui, le levier le plus efficace. Mario Draghi l’a reconnu à demi-mot fin novembre en soulignant que seule une augmentation de la croissance des salaires nominaux dans le secteur des services permettra de renforcer la hausse de l’inflation. Ce message s’adressait en particulier à l’Allemagne. Il est probable que le pays fasse la sourde oreille.
III) La valse des banques centrales
Le différentiel de politique monétaire entre les deux bords de l’Atlantique aura des conséquences importantes sur les marchés financiers. Il devrait logiquement accentuer la volatilité sur les changes, ce qui pourrait se traduire par un repli de l’euro/dollar vers la parité. L’analyse technique met en lumière essentiellement un support psychologique majeur, au niveau de la zone des 1.0450 – 1.0500, qui limite le potentiel baissier. En cas de cassure de ce niveau, les positions vendeuses ont de fortes chances de faire perdre plusieurs centaines de pips à la paire en un court lapse de temps. La parité est de nouveau en ligne de mire. Si elle n’est pas atteinte en décembre, elle le sera dans le courant de l’année prochaine sous l’effet de la divergence inévitable des taux d’intérêt.
Dans la foulée de la BCE, et surtout de la FED, il faut s’attendre à un vaste ajustement de politique monétaire. La BNS pourrait, dès le 10 décembre, renforcer son dispositif pour lutter contre l’appréciation du franc suisse en diminuant son taux de dépôt à un nouveau plus bas, à 1,0%. Les pays émergents, plus dépendants de la FED que de la BCE, pourraient attendre le 16 décembre pour agir. Dans cette perspective, la Turquie devrait être l’un des principaux pays émergents à augmenter ses taux. Le mois de décembre ne devrait être en aucune façon une réplique du mois de janvier 2016. Aucune banque centrale ne devrait prendre aux dépourvus les acteurs de marché. Ces derniers ont, au demeurant, compris qu’une véritable coordination mondiale des politiques monétaires est à l’œuvre autour des zones dollar et euro.