par Louis Harreau, économiste au Crédit Agricole
• La BCE a abaissé son taux de dépôt de 10 pdb, à -0,30%. Elle a repoussé la fin du QE à mars 2017, échéance qui pourra être prolongée si nécessaire.
• Ces mesures ont fortement déçu les marchés, qui s’attendaient à davantage de QE et/ou de baisse des taux. Pour notre part, nous estimons qu’avec ces annonces, assez mesurées mais s’inscrivant dans la durée, la BCE a trouvé le bon ‘dosage’ d’assouplissement et a répondu aux besoins de la zone euro.
• La BCE n’a pas abaissé le taux principal de refinancement, élargissant ainsi de 10 pdb le corridor entre ce dernier et le taux de dépôt. Cela pourrait provoquer une baisse de la demande de liquidité lors des trois TLTROs restants et inciter les banques à rembourser une partie de leurs liquidités dès qu’elles en auront la possibilité, c’est-à- dire en septembre 2016.
• Mario Draghi n’a pas évoqué explicitement de nouvelle mesure d’assouplissement pour les quelques mois à venir, ce qui a ajouté au caractère hawkish des mesures annoncées, moins fortes qu’attendu.
La conférence de presse de ce mois-ci a déçu les marchés : les annonces concernant les instruments de politique monétaire ont été inférieures à la plupart des anticipations et Mario Draghi n’a pas adopté un ton dovish. La BCE semble penser que sa politique monétaire actuelle est appropriée et ne considère pas devoir la modifier à court terme.
Ce point de vue est cohérent avec les prévisions du staff et avec notre perception de la situation économique de la zone euro : pas extraordinaire, mais pas si mauvaise.
Baisse des taux : un moyen de supprimer les pressions haussières sur l’EUR sans déclencher de guerre des changes, mais un facteur négatif pour les TLTROs
La BCE n’a pas abaissé le taux de refinancement (refi). Ni le consensus ni le marché n’attendaient de baisse du refi, mais l’élargissement du corridor entre le taux de refinancement et le taux de dépôt pourrait être très négatif pour les opérations de refinancement principales (MRO) et encore plus pour les TLTROs: le coût des excédents de liquidité (qui correspond à peu près à l’écart entre le ‘coût’ des emprunts et le ‘gain’ des prêts) a augmenté de 10 pdb: dans ce nouvel environnement de taux, les banques seront incitées à réduire leurs excédents de liquidité et leur principal moyen pour y parvenir sont les opérations de refinancement.
Nous pensons qu’à défaut d’un resserrement du corridor par la BCE (qui prendrait la forme d’une baisse du taux de refinancement) dans les quelques mois qui viennent, la demande sera très faible lors des trois prochaines TLTROs et les banques rembourseront probablement une partie importante des liquidités empruntées dès qu’elles le pourront, c’est-à-dire le 29 septembre 2016. L’impact sur la liquidité pourrait être conséquent : aujourd’hui, les TRLTROs totalisent 400 Mds EUR, un montant équivalent à celui des PSPP (programme d’achats de titres du secteur public de la BCE) pour le bilan de la BCE. La ‘faiblesse’ de la baisse des taux (la baisse a été faible au regard des anticipations de marché, mais elle est d’une ampleur identique aux deux baisses précédentes) conforte notre vue selon laquelle la BCE est satisfaite du niveau actuel de l’EUR et ne cherche pas à le faire baisser davantage dans l’immédiat. Une nouvelle baisse des taux ne serait pas exclue en cas de réveil des pressions haussières sur la monnaie unique, mais pas dans les quelques mois qui viennent.
Modalités du QE : quelques changements, mais rien qui change la donne
La prolongation du QE, jusqu’en mars 2017 au moins, était largement attendue, même si – là encore – certains intervenants de marché s’attendaient à une date plus éloignée ou à une augmentation du montant des achats mensuels de titres, d’où une déception supplémentaire. La prolongation du QE jusqu’en mars 2017 est cohérente avec les prévisions de la BCE: la banque centrale continuera à acheter des titres aussi longtemps que l’inflation n’aura pas retrouvé un niveau suffisant à ses yeux, autour de 1,5%. L’échéance de mars 2017 reste indicative et la BCE reste ouverte à une extension du QE si nécessaire. Mario Draghi a toutefois fermé la porte à l’idée d’un QE explicitement illimité dans le temps, c’est-à-dire au fait d’abandonner toute date de fin indicative.
La BCE a annoncé qu’elle allait réinvestir « aussi longtemps que nécessaire » le capital des titres du QE arrivant à échéance. En dépit des commentaires de Yves Merch quelques heures après la conférence de presse (« la politique de réinvestissement est l’élément le plus important de la décision de la BCE »), nous ne considérons pas qu’il s’agisse d’une évolution majeure et, par ailleurs, cette mesure ne permettra de soutenir la taille du bilan qu’à moyen terme. En effet, la BCE n’achète que des titres de maturité de plus de deux ans : les premières obligations détenues au titre du QE n’arriveront à maturité qu’en mars 2017 et la question du réinvestissement ne se serait posée qu’à ce moment-là. Cette mesure va toutefois dans le sens d’un soutien mesuré, mais s’inscrivant dans la durée, à l’économie et à l’inflation de la zone euro.
Les obligations émises par les régions et les gouvernements locaux seront ajoutées à la liste des actifs éligibles au QE. Ces titres étaient les plus susceptibles d’être inclus. Cette mesure ne provoquera pas de grands changements, mais elle facilitera à la marge les achats de titres de la BCE sur les marchés obligataires et contribuera à limiter les distorsions. Mario Draghi a expliqué que les modalités du QE seraient réexaminées au printemps prochain. Nous n’anticipons pas de changement majeur à cet horizon : les volumes de titres souverains ou émis par des autorités locales semblent en effet suffisants pour permettre un bon déroulement des opérations d’achat de la BCE et les problèmes de liquidité ne devraient pas réellement se poser avant mars 2017. D’autres obligations d’entreprises de service public pourraient également devenir éligibles, mais il s’agirait avant tout de rétablir l’égalité de traitement entre ces entreprises plutôt qu’une question de politique monétaire.
Enfin, Mario Draghi a indiqué que le régime d’appels d’offres illimités à taux fixe pour les opérations de refinancement serait prolongé jusqu’à fin 2017, une annonce qui renforce légèrement le guidage des anticipations (forward guidance) de la BCE.
Légères révisions des prévisions : à la baisse pour l’inflation, à la hausse pour la croissance
Comme attendu, la BCE a révisé ses prévisions d’inflation à la baisse : le staff de la BCE prévoit une inflation moyenne de 1,0% en 2016 (contre 1,1% il y a trois mois) et de 1,6% en 2017 (contre 1,7%). La prévision d’inflation sous-jacente pour 2016 a été révisée en baisse de 10 pdb, à 1,3%, mais le chiffre reste inchangé pour 2017, à 1,6%. Nous continuons à penser que l’inflation sera inférieure à ces prévisions pour 2016 comme pour 2017 et plus particulièrement l’inflation sous- jacente. Une révision à la baisse semble dès lors très probable en mars prochain.
À l’inverse, la BCE a relevé à la hausse ses prévisions de croissance pour 2015 et 2017, de 10pdb dans les deux cas, à 1,5% et 1,9% respectivement. La prévision pour 2016 est restée inchangée.
Ces projections macroéconomiques sont cohérentes avec les mesures de relance limitées et équilibrées annoncées ce mois-ci.
Le ton dovish attendu n’était pas au rendez-vous
En dépit du caractère prudent des annonces du 3 décembre, Mario Draghi n’a pas suggéré de nouvelle mesure d’assouplissement à court terme en cas de nécessité, se contentant de dire que « tous les instruments sont disponibles », comme il le fait habituellement. À l’inverse, il n’a pas voulu dire si le taux de dépôt avait atteint sa limite basse, ce qui laisse à penser que la BCE ne prévoit pas de nouvelle baisse des taux à moyen terme. Il a par ailleurs clairement exclu l’éventualité d’un QE sans limite dans le temps.
Compte tenu des anticipations de marché avant cette réunion du 3 décembre, il est possible que Mario Draghi n’ait pas voulu alimenter les attentes du marché, dans la mesure où la BCE estime que sa politique actuelle est appropriée et que la seule chose dont elle a besoin c’est de temps, pour permettre à ses instruments de produire leur plein effet.
* Vous vous attendiez à quoi ?