Mexique et Brésil : l’écart se creuse

par Juan Carlos Rodado, économiste chez Natixis

Les économistes regardent de près plusieurs indicateurs pour anticiper l’évolution de la consommation, tels que les ventes de détail, l’inflation, les salaires… Tous ces indicateurs divergent fortement entre le Brésil et le Mexique. La situation est bien connue : le Mexique connaît une dynamique macroéconomique favorable tandis que le Brésil plonge dans une profonde récession. Même si la procédure de destitution visant la Présidente Dilma Rousseff suscite un espoir de changement, nous pensons que le retour de la consommation sera plus long que prévu. La démographie, l’emploi et le revenu disponible suggèrent que l’écart en matière de consommation entre les deux économies va s’accentuer. De ce fait, le PIB devrait chuter de -4,2% au Brésil en 2016 et progresser de 2,4% au Mexique.

1/ Démographie : Donald et Dilma se trompent

La démographie est un déterminant clé de la consommation. Un pays dont la population active augmente peu risque même une faible croissance potentielle. Les économies mexicaines et brésiliennes présentaient autrefois des caractéristiques similaires. Les deux pays ont bénéficié d’une pyramide démographique ayant permis l’expansion de la population active (55 millions de personnes au Mexique et 102 millions au Brésil) malgré la chute des taux de fécondité.

La population active progresse désormais beaucoup plus rapidement au Mexique qu’au Brésil, selon nos estimations. De plus, les flux migratoires évoluent en sens contraire. Le solde migratoire s’améliore au Mexique, les retours en provenance des Etats-Unis excédant les départs. L’époque de l’émigration massive vers les Etats-Unis est désormais révolue grâce à une amélioration de la situation économique. Selon l’US Border Patrol, 229 000 mexicains ont été appréhendés à la frontière mexicaine en 2014, contre 1,6 millions en 2000.

Le Brésil connaît une situation inverse en raison de l’aggravation de la récession. L’absence d’opportunités d’emplois décourage les demandeurs d’emploi et pourrait même entrainer une fuite des cerveaux. L’époque où des brésiliens revenaient des Etats-Unis pour occuper des emplois bien rémunérés au Brésil est également révolue.

La divergence va donc persister, avec une légère diminution de la population totale et active au Mexique, et une baisse plus prononcée au Brésil. Pendant ce temps, la Présidente Dilma Rousseff tente d’empêcher sa destitution.

2/ Emploi : le rêve mexicain et le cauchemar brésilien

Le marché de l’emploi confirme que l’écart se creuse entre les deux économies. Au Mexique, le marché de l’emploi s’améliore tant en termes quantitatifs que qualitatifs. Le marché de l’emploi a profité de l’élan réformateur du pays. Le code du travail a été remanié pour la première fois en 42 ans en décembre 2012. La réforme a ramené le Mexique dans le 21ème siècle, avec l’adoption d’un congé maternité de 6 semaines (5 jours pour les pères), un encadrement de l’outsourcing, le paiement des heures supplémentaires, une plus grande souplesse à l’embauche… Le taux de chômage s’est situé à 4,4% en octobre.

Parallèlement, il est devenu extrêmement difficile de trouver un emploi au Brésil. Le pays a détruit 169 000 emplois en octobre tandis que le Mexique a généré 132 000. Le taux de chômage brésilien a atteint 7,9% en octobre, après un plus bas de 4,3% en décembre 2014. Les employeurs éprouvaient même auparavant de grandes difficultés à recruter du personnel qualifié. La crise a changé la donne. Le retournement concerne tous les secteurs ; plus inquiétant encore, les pertes d’emploi s’accélèrent. Le Brésil a détruit près de 1 million d’emplois depuis le début de l’année (par comparaison, les Etats-Unis avaient détruit 8,6 millions d’emplois pendant la crise des subprimes).

La question est donc de savoir quelle sera l’évolution l’année prochaine ? Au Mexique, le marché de l’emploi va sans doute ralentir. Si l’emploi reste dynamique dans le secteur des services, il marque le pas dans l’industrie. Les exportations (dont les produits manufacturiers représentent 90%) se contractent (-7,4% en GA en octobre) tandis que la production industrielle ralentit (0,5% en GA en octobre). Le taux de chômage va très légèrement augmenter (4,5% en 2016 et 4,9% en 2017). Le Brésil pâtira d’un taux de chômage à deux chiffres (10% en 2016 et 13,5% en 2017). En d’autres termes, les difficultés sociales ne font que commencer. L’Etat ne pourra pas financer aussi facilement sa politique sociale avec la chute des prix des matières premières alors que les scandales de corruption exacerbent le mécontentement social.

3/ Revenu disponible : une bonne et mauvaise surprise

Les consommateurs brésiliens sont frappés de plein fouet par la stagflation. L’inflation (10,5% en GA en novembre) érode les salaires alors qu’ils sont orientés à la baisse. A l’inverse, le Mexique enregistre le taux d’inflation le plus bas depuis 47 ans (2,2% en GA in novembre). Le dynamisme de la consommation mexicaine est la bonne surprise, après des années de déception en raison de la faiblesse des salaires et des fortes disparités régionales. Les ventes au détail ont augmenté de 5,2% en GA depuis le début de l’année, contre 2,7% en GA en 2014.

Les perspectives sont catastrophiques pour les consommateurs brésiliens. La réduction des prêts subventionnés (les banques publiques contrôlent 55,8% du marché du crédit) va se poursuivre en 2016. Alors que le crédit octroyé par les banques privées est moribond, les banques publiques commencent à resserrer plus drastiquement les conditions de crédit et les taux d’intérêt. Le taux d’intérêt moyen a atteint 30,5% en octobre, après 29,3% en septembre. Les brésiliens vont également subir une forte hausse des impôts en 2016, une part importante du rééquilibrage budgétaire ayant été repoussée en raison des tensions politiques au Parlement. Le pouvoir d’achat sera pénalisé par la forte inflation, la baisse des salaires, la hausse des impôts et la destruction des emplois.

En revanche, les consommateurs mexicains connaîtront une situation plus favorable. La banque centrale va relever ses taux dans le sillage de la Fed et le gouvernement va réduire les dépenses pour compenser la chute des revenus pétroliers. Toutefois, le pouvoir d’achat restera soutenu par la progression des salaires et les créations d’emplois. De ce fait, la consommation devrait légèrement ralentir au Mexique en 2016 (2,5% en GA après 3,1% en 2015) et s’effondrer au Brésil (-4,0% en GA après -3,6% en 2015). Conclusions: La crise de la consommation devrait s’amplifier au Brésil en 2016. La seule contribution positive proviendra de la décélération de l’inflation mais l’impact sera limité compte tenu de l’inertie des prix. A l’inverse, les consommateurs mexicains vont continuer de bénéficier des flux migratoires plus favorables, des réformes passées et de la hausse du pouvoir d’achat. Toutefois, la situation n’est pas aussi rose qu’il paraît : la croissance de la consommation n’est suffisamment équitablement répartie entre les régions et le contexte économique sera plus difficile (baisse des prix pétroliers, hausse des taux d’intérêts, ralentissement du commerce international…). Etant donné que la consommation représente 67% du PIB dans les deux pays, nous avons revu en baisse nos prévisions de croissance. Le PIB devrait chuter de -4,2% au Brésil en 2016 (après -3,2%en 2015) et progresser de 2,4% au Mexique (après 2,3% en 2015).

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