par Xavier Lépine, Président du Directoire de La Française
L’année dernière pratiquement jour pour jour j’écrivais "Ça va péter"* où j’évoquais les fortes probabilités d’occurrence d’une crise liée à la combinaison de multiples facteurs : de la mondialisation à la disruption, du surendettement des Etats à l’inégalité de la répartition des richesses, de la montée des risques géopolitiques aux risques écologiques.
Les marchés sont généralement mono-maniaques mais depuis le début de l’année, c’est bien un sentiment de craquage généralisé auquel nous assistons.
Nous assistons de fait à une dégradation de l’environnement sur la quasi-totalité des points macro-économiques et politiques, et observons concomitamment une anticipation de l’érosion de la profitabilité des entreprises, les chefs d’entreprises annonçant des perspectives modestes pour 2016. Stratégie de communication ou réalisme…
La perte de confiance dans les Banques Centrales : plus de la moitié des pays occidentaux ont des taux à moyen terme négatifs. De fait, ce ne sont plus des taux de marché mais des taux longs "administrés" par les Banques Centrales pour assurer la soutenabilité de la dette accumulée depuis 30 ans. La conséquence est connue, il n’y a plus de rémunération ni du risque ni du temps et de fait, ayant perdu largement les repères de valorisation, les marchés oscillent entre l’espoir et la peur d’une nouvelle action de la BCE ; la nouvelle perception de l’action des Banques Centrales, pompiers ultimes du système, indique aussi à quel point le système est aujourd’hui sous l’effet de soins palliatifs qui font migrer son fonctionnement du rationnel à l’irrationnel.
Du côté des investisseurs, la crise actuelle est également une crise de la régulation : il n’y a plus d’acheteurs de Long terme ni de fournisseurs de liquidités/market maker. Les médicaments sont en train de tuer le malade.
Solvabilité 2 est mis en place depuis le 1er janvier et la baisse des taux longs gouvernementaux (base du calcul pour l’actualisation des passifs), -0,45 % pour l’OAT, a des conséquences dramatiques pour les ratios de solvabilité au 31 mars des compagnies d’assurance ; l’impact, toute chose égale par ailleurs, est de l’ordre de 1,6 % de besoin en fonds propres supplémentaires (soit, par exemple passer de 7 à 8,6 % de besoin de fonds propres). Concrètement, les assureurs-vie, ne pouvant pas facilement augmenter leurs fonds propres, allègent encore plus leurs positions en actifs risqués consommateurs de SCR (Solvency Capital Requirement).
Côté banques, la position du régulateur n’est pas plus encourageante, les besoins de "bail in" supplémentaires pénalisent fortement les banques qui ont une activité de marché. Leur réponse est double : réduction supplémentaire de leurs activités pour compte propre et émission de dette subordonnée Tier One qui se traite sur des rendements de l’ordre de 10 %, l’excès de cash étant replacé à taux négatif auprès de la Banque Centrale Européenne.
Côté Fonds souverains la situation n’est pas meilleure entre une Chine qui ralentit et dont les réserves de devises se réduisent et les pays pétroliers qui subissent de plein fouet l’effondrement du prix de l’énergie fossile… ils n’investissent plus, voire ils désinvestissent.
Après un monde bi-polaire (USA, URSS), multipolaire, le monde est devenu apolaire, que ce soit sur le plan politique ou sur le plan économique et financier. Le centre est partout et la circonférence est nulle part comme dirait Blaise Pascal.
La crise Syrienne, la montée de Daech, l’ouverture de l’Iran, la peur de l’Arabie Saoudite plus préoccupée par l’Iran que par l’effondrement du prix du pétrole, l’Ukraine dont on ne parle plus, la montée de l’extrémisme religieux, la permanence du conflit Israelo-palestinien… les alliances de circonstances entre la Russie et l’Occident, une partie du monde arabe et soit la Russie, soit les USA… il n’y a là que sources d’incompréhensions croissantes et de montée des nationalismes d’extrême droite sur fonds de théorie du complot et de dénis collectifs.
Du côté des principaux pays, la situation politique ou économique n’est guère plus encourageante : la crainte du Brexit qui affaiblirait l’Europe et des poussées de fièvre sur le thème du Frenchexit ou du Germanexit qui s’ensuivraient ; la BCE qui renforcerait alors son action de soutien des spreads des périphériques ; l’Allemagne où la politique d’immigration d’Angela Merkel a clairement affaibli l’icône aussi bien à l’intérieur de l’Allemagne que dans les pays limitrophes ; l’immigration, qui était absente des risques identifiés par Davos l’année dernière et qui est tristement passée comme étant le premier des risques pour l’Europe ; le cirque des élections américaines qui n’est pas sans rappeler la chute de l’Empire ; les BRICS volent en éclats : la Chine qui, en dépit de la chute du prix du pétrole, est rentrée dans un cycle de croissance normalisée, le Brésil en situation de récession confirmée, la Russie qui n’a pas su évoluer vers autre chose qu’une économie du tout-énergie fossile…
Si on ne peut pas encore dire "ça pète", il s’agit bien de craquements dans beaucoup de domaines clés.
Dans cette situation, les recommandations de l’Asset Manager sont claires : un contexte de Deflastag – Déflation/stagnation – privilégie le créancier à l’actionnaire :
- Les écartements de spread sont aujourd’hui liés à des phénomènes de flux (de gros vendeurs et pas d’acheteurs) et non pas à une détérioration proportionnelle du risque de crédit. Il serait quand même paradoxal qu’une banque comme Deutsche Bank fasse faillite parce qu’on lui demande de renforcer ses fonds propres pour que précisément elle ne fasse pas faillite ! Des rendements autour de 10 % pour la dette Tier One des banques, sont clairement une opportunité !
- La dette des compagnies pétrolières US qui se traitent sur la base de rendement de 10 % à 15 %, c’est-à-dire à des niveaux de défaut… Elles ne feront pas toutes défaut, et après consolidation du secteur, les 80 % de compagnies survivantes se traiteront sur la base de rendement moyen de la dette HY US voisin de 7 %… offrant un potentiel de performance très substantiel…
- L’immobilier tertiaire : les taux longs resteront bas et les spreads continueront de se réduire. Une hausse modérée des taux longs refléterait une amélioration de l’activité économique et donc une baisse des taux de vacances. Si par contre, la hausse des taux longs était liée à un changement de stratégie de la BCE ou une perte de confiance, là également un risque qui peut être partiellement couvert par l’achat de cap sur les taux longs. En tout état de cause, un rendement de 4,5 à 5 % net fait la différence.
- En dépit de notre préférence pour la dette, on peut aussi revenir sur les actions en couvrant une partie du risque de prophétie auto-réalisatrice via des stratégies optionnelles, leur taux de dividende fait sens dans un contexte où les taux à 5 ans sont négatifs…