par Valentine Ainouz, Stratégie et Recherche économique, Didier Borowski, Recherche, Stratégie et Analyse, Bastien Drut, Stratégie et Recherche économique chez Amundi
Pour la BCE, la situation devenait de plus en plus compliquée : inflation (totale et sous-jacente) proche du plus bas historique, anticipations d’inflation au plus bas, taux de change effectif de l’euro qui menace de remonter, perspectives de croissance globale en berne. D’ailleurs, l’institution a nettement abaissé ses prévisions de croissance et d’inflation pour 2016, respectivement de 1,7 à 1,4% et de 1 à 0,1%. La prévision d’inflation pour 2018 n’est que de 1,6%.
Il était donc nécessaire d’agir et de surmonter la déception née du conseil des gouverneurs de décembre 2015 (extension dans le temps du PSPP et passage du taux de dépôt à -0,30%). Cette fois, la BCE est allée beaucoup plus loin :
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Baisse des taux :
- le taux de refinancement et le taux de prêt marginal sont abaissés de 5 points de base à respectivement 0,00% et 0,25% ;
- Letaux de dépôt est abaissé de 10 points de base à -0,40%.
- Augmentation du rythme des achats de titres mensuels de 60 à 80 Mds €. La limite de détention pour les titres des institutions supranationales passe de 33 à 50%.
- Extension des titres éligibles aux obligations des entreprises non-financières.
- Nouvelle série de prêts bancaires de très long terme (TLTRO-2), chacune pour une durée de 4 ans à un compris entre -0,40% et 0%. Les banques pourront emprunter à ce titre jusqu’à 30% de l’encours de crédits aux entreprises non financières et aux ménages (hors crédits immobiliers), à la date de janvier 2016.
Que faut-il retenir de ces mesures ? Sont-elles en ligne avec les attentes ?
* Mario Draghi a clairement signalé que la BCE n’avait pas pour intention de baisser davantage les taux d’intérêt (même si cette option n’est pas définitivement écartée). C’est la raison pour laquelle un système de double taux de dépôts n’a pas été mis en place. Un tel système aurait pu, selon M. Draghi, entretenir les anticipations de futures baisses de taux d’intérêt ce qui n’est pas dans ses intentions. Si besoin, la BCE mobilisera davantage les outils « non conventionnels ». C’est un signal d’apaisement pour les banques qui craignaient pour leur profitabilité.
* Le surcroît d’actifs que la BCE achètera à l’horizon de mars 2017 augmente de 240 Mds € (2,2% du PIB), ce qui portera le montant total des actifs que la BCE aura achetés à cet horizon à près de 1800Mds € (16,5% du PIB). L’augmentation du programme est significative mais en deçà des attentes qui tablaient sur une hausse comprise entre 300 et 500Mds € (via une augmentation simultanée du montant des titres achetés et de la durée du programme). Ceci dit, il faut relativiser cette « déception » car :
- l’augmentation des achats mensuels est très significative (+33%);
- l’élargissement du QE aux obligations d’entreprises en change profondément la nature (la BCE s’engage ainsi implicitement à financer les entreprises à des conditions exceptionnelles durant toute la durée du QE) ;
- la fin programmée du QE (mars 2017) n’est pas gravée dans le marbre. En particulier, une nouvelle révision à la baisse des prévisions de la BCE conduirait tout naturellement à prolonger dans le temps le programme d’achats de titres.
* Plusieurs mesures vont par ailleurs bien au-delà des attentes :
- L’extension du QE aux achats d’obligations d’entreprises non financières. Cette mesure vise à réduire le risque de tensions sur le marché du crédit. L’indicateur de stress financier de la BCE, remonté sur ses niveaux de 2012, a probablement alerté la banque centrale. Indépendamment de l’impact direct sur la classe d’actif (cf. ci- dessous), cette mesure vise indirectement à encourager les mouvements de réallocation de portefeuille en faveur des actifs risqués.
- L’horizon des opérations de liquidité. En pratique, la BCE a planifié quatre TLTRO de 4 années chacun (en juin, septembre et décembre 2016 puis un dernier en mars 2017). L’horizon des banques en termes de liquidité se trouve ainsi dégagé jusqu’en… 2021 !
- Des taux possiblement négatifs pour les prêts de la BCE aux banques, en fonction des montants de crédits octroyés par ces dernières à l’économie réelle. En pratique, les TLTRO se feront aux taux de refinancement (soit 0%). Pour inciter les banques à faire davantage de crédit avec les liquidités empruntées, les banques qui dépasseront un certain volume de crédit octroyés (« lending benchmark ») entre le 1er février 2016 et le 31 janvier 2018 se verront appliquées (rétroactivement) un taux d’intérêt négatif sur les liquidités empruntées. Le taux sera d’autant plus négatif (avec pour minimum le taux de dépôt à -0,4%) que la banque aura dépassé son « lending benchmark ». Au final, il s’agit donc de neutraliser rétroactivement l’impact des taux négatifs pour les banques qui auront «joué le jeu» du financement de l’économie réelle.
Quel sera l’impact de l’inclusion des titres de dettes non financière dans le QE?
- Le marché des obligations d’entreprise devrait réagir positivement à cette mesure. Le montant des obligations concernées est de 653 Mds € (37% du marché Investment Grade euro). A ce stade, nous n’avons pas encore beaucoup d’informations sur ce programme (maturité, secteur). Cette action encouragera à coup sûr la recherche de rendement mais pourrait créer des distorsions en termes de valorisation au sein de l’univers crédit euro.
- Très clairement, l’extension des programmes d’achats aux obligations d’entreprise facilite l’implémentation du QE. L’extension des programmes d’achats à ces actifs permet de remédier en partie au problème d’effet rareté pour les titres allemands (selon nos estimations, en l’état actuel des contraintes et des taux, la Bundesbank n’aura plus de titres à acheter à partir de la fin 2017 s’il n’y a pas de limite sur les émetteurs entreprises et vers l’été 2017 si une limite de 33% est fixée sur chacun des titres émetteurs entreprises). Pour résumer, l’extension du QE aux titres d’entreprises permet d’augmenter le rythme du programme.
- Cependant, nous ne devons pas surestimer l’impact de ce programme sur les fondamentaux des entreprises non-financières. En effet, avant la détérioration récente, les entreprises qui émettent sur le marché euro Investment Grade ont bénéficié de très bonnes conditions de financement ces dernières années. Contrairement aux PME, plus durement touchées par le rationnement du crédit, elles n’ont pas été pénalisées par le durcissement des conditions de crédit bancaire. Elles ont bénéficié du fort appétit des investisseurs, et des niveaux de taux très bas, pour allonger la maturité de leur dette et abaisser leur coût de financement de façon significative. De plus, les besoins de financement des entreprises de la zone sont limités dans un environnement de croissance faible. La taille du marché Investment Grade ne croît que lentement depuis 2008 : elle n’a augmenté que de 20% depuis 2008, contre une progression de 376% sur la période 2000-2008.
Un impact limité sur les taux allemands. Mais un impact positif attendu sur les taux périphériques
- La baisse, relativement faible, du taux de dépôt et surtout la phrase de Mario Draghi en conférence de presse sur le fait que la BCE n’anticipe pas, pour le moment, de devoir baisser à nouveau ses taux a fait décaler la courbe allemande vers le haut. Cela permet aux taux longs de remonter quelque peu. Dans le même temps, cela desserre la contrainte de rendement pour les achats d’obligations allemandes (le volume de titres allemands éligible au QE – c’est à dire dont le taux d’intérêt est supérieur au taux de dépôt – augmente mécaniquement avec la baisse de ce dernier). La Bundesbank ne pouvait jusqu’à maintenant qu’acheter des titres de maturité supérieure à 6 ans et demi : cette maturité « limite » est retombée à 3 ans environ ce jeudi. En revanche, c’est sans ambiguïté que l’augmentation des achats mensuels devrait jouer positivement sur les obligations des pays périphériques (i.e. baisse de taux).
Vents contraires sur l’euro. La dépréciation du change n’est plus la priorité de la BCE
- La réaction de l’euro aux annonces a été limitée après le conseil des gouverneurs mais celle-ci prise entre le marteau et l’enclume : l’extension du programme de QE et la légère remontée des taux courts. Cela dit, la BCE a déjà fait beaucoup pour l’affaiblissement de la devise : les flux nets de portefeuille sont déjà extrêmement négatifs et il aurait fallu baisser beaucoup plus nettement le taux de dépôt pour provoquer une nouvelle tendance de dépréciation. La dépréciation de la devise n’est plus la priorité de la BCE. L’accent porte désormais avant tout sur les conditions de financement domestiques. En limitant la baisse des taux d’intérêt, la BCE évite de nourrir les craintes de « guerre des changes ».
Quelle sera l’efficacité de cette politique monétaire ?
- C’est la question centrale. A juste titre, Mario Draghi a rappelé que sans les achats de titres réalisés par le passé par la BCE, la zone euro serait tombée en déflation. Ce sont les opérations non conventionnelles de politique monétaire qui ont permis la défragmentation financière observée (baisse généralisée des taux d’intérêt, des spreads souverains, des taux des crédits bancaires accordés aux PME, diminution des écarts entre les taux des crédits accordés aux grandes entreprises et ceux des PME).
- En ce qui concerne l’impact des taux négatifs sur les banques, il a également tenu à rappeler : (1) que ces dernières avaient bénéficié des gains en capital liés à la baisse générale des taux d’intérêt et (2) que le système bancaire, pris dans son ensemble, avait pu compenser les pertes de revenu avec une augmentation des volumes de prêts octroyés. De plus, le fait que la baisse du taux de dépôt s’accompagne de la possibilité d’emprunter à la BCE à un taux négatif limite clairement l’impact négatif sur la profitabilité des banques.
- Ceci dit, il ne faut pas surestimer l’impact à venir de ces mesures sur la croissance du PIB. Si notre prévision de croissance se trouve désormais marginalement supérieure à celle de la BCE en 2015 (1,5% vs 1,4%), nous conservons notre prévision de croissance à 1,4% pour 2017 (vs 1,7% pour la BCE). En effet, une chose est de maintenir des conditions financières propices à la croissance domestique – ce que vient de faire la BCE –, une tout autre est de voir la croissance accélérer dans un environnement où nous estimons les perspectives de croissance mondiale durablement atones.