par Cedric Thellier, économiste chez Natixis
Aujourd’hui, deux questions se posent à la politique monétaire en zone euro :
1/ le plancher pour le principal taux de refinancement est-il à 1% ?
2/ quelles mesures non conventionnelles additionnelles seront annoncées le 7 mai et mises en place par la BCE ?
Pour y répondre, nous proposons de faire le tour des positions déclarées des membres du Conseil : en l’absence de matérialisation du risque déflationniste, le taux refi sera porté à 1%, très probablement lors de la prochaine réunion, pas en-dessous. A cet égard, nombre de gouverneurs soulignent la non pertinence d’une ZIRP en zone euro et les risques associés, notamment en vue d’une normalisation de la politique monétaire lorsque la situation macroéconomique s’améliorera.
Quant aux mesures non conventionnelles à adopter, si l’interdiction statutaire du financement monétaire des déficits publics rend improbable le recours à l’assouplissement quantitatif direct (achat de dette publique), le débat autour de l’achat de dette privée (assouplissement direct du crédit) est ouvert. Certains membres sont hostiles à l’endossement du risque de crédit par la BCE, d’autres pas. Un compromis pourrait être l’assouplissement « indirect » ou « endogène ». Il aurait le mérite de reposer sur une stratégie de sortie claire et crédible.
Politique conventionnelle : le mur de 1% pour le taux refi est-il infranchissable ?
1. Un plancher plus ou moins explicite à 1%
La grande majorité des membres du Conseil des Gouverneurs communiquent sur la fin, très proche, du cycle de baisse des taux directeurs. Les propos sont plus ou moins explicites, qu’ils soulignent l’ampleur de l’assouplissement déjà acté depuis octobre dernier et/ou la marge de manœuvre restante, le niveau atteint historiquement bas. Le plancher de 1% semble donc largement partagé. Les plus neutres soulignant simplement qu’à 1,25% pour le principal taux refi, il reste une marge de manœuvre.
On ne relève aucun commentaire dissident au sein du Conseil à cet égard, en dépit des considérations générales de Athanasios Orphanides en faveur d’une politique monétaire volontariste, dont la limite naturelle est 0%. De son côté, Christian Noyer relativise l’importance du débat autour d’un niveau de taux plancher.
On peut enfin rappeler que Provopoulos a dû démentir les propos que lui prêtait l’agence Bloomberg suggérant que les taux pouvaient descendre sous 1%. On comprend qu’une telle position serait gênante pour la BCE à l’heure où elle cherche à évacuer les anticipations d’une politique de taux zéro, a contrario de la Fed et de la BoE en particulier.
- Trichet (Président): “we could – in a very measured way – go down from the present level” (09/04/09)
- Papademos (Vice-Président) : “the current level of the key policy rates doesn’t define the lower limit. But we are not that far” (21/04/09)
- Stark (Executive Board) : “the threshold is not far from where we are now” (16/03/09)
- Weber : “I see 1 percent as the bottom limit” (10/03/09)
- Provopoulos : “we could go down in a very measured way” (07/04/09)
- Bonello : “We must remember that policy rates are at a record low level” (13/03/09)
- Wellink : “It’s to some extent self-evident that you slow the pace (25 bp) when you are approaching a wall” (03/04/09)
- Nowotny : “Here there is the 1 percent limit, one that, in my opinion, should not be crossed” (20/04/09)
- Noyer : “I’m not very bothered about this debate over a minimum rate” (21/04/09)
- Gonzalez-Paramo (EB) : “while 1.25 percent can’t be considered the minimum level, the margin for reduction is moderate. I would say very moderate” (16/04/09)
Il semble donc que la position actuelle du Conseil est qu’en l’absence de matérialisation du risque déflationniste, 1% sera le niveau plancher pour le taux refi.
2. Quid du risque déflationniste ?
Parallèlement à l’objectif de 1% qu’elle semble donc se fixer, le fait que la BCE « prenne son temps » pour y parvenir confirme sa position : elle considère que le risque déflationniste n’est pas élevé, sans quoi il vaut mieux porter les taux au plancher trop tôt que trop tard.
- Bini Smaghi (EB) : “the ECB is ready to reduce rates further, even to zero, if the economy was really threatened by sustained deflation. At the moment, I do not think deflation is likely” (10/03/09)
- Trichet (Président) : “we do not see materialisation of such a risk at the moment” (02/04/09)
- Orphanides : “the risk of deflation has increased somewhat in the past few months” (11/04/09)
- Gonzalez-Paramo (EB) : “deflationary risk is not high at the moment” (16/04/09)
En deuxième approche, cette position étant également partagée par les différents agents (marchés, économistes, ménages, entreprises), un assouplissement trop agressif pourrait s’avérer contre-productif en émettant un signal du type : la BCE détient des informations supplémentaires, pessimistes, par rapport aux agents quant à la probabilité de matérialisation du risque. Ce qui pourrait, par le biais d’anticipations autoréalisatrices, déclencher effectivement la spirale déflationniste.
Enfin, la crédibilité de la banque centrale pourrait être entamée si les agents percevaient une contradiction entre la position du Conseil1 et ses décisions.
Notons néanmoins que la forte incertitude quant aux perspectives macroéconomiques, monétaires et financières (« uncertainty is greater than ever" Trichet, 02/04/09) brouille l’appréciation du risque déflationniste et invite les gouverneurs à la prudence (« at the moment »).
3. La ZIRP n’est pas nécessairement une solution
Tandis que la plupart de ses consœurs ont assoupli leur politique monétaire jusqu’à entrer en mode ZIRP, la BCE combat les anticipations d’une situation similaire en zone euro. Les membres du Conseil soulignent ainsi que les différences entre les pays Anglo-saxons et la zone euro portent aussi bien sur les mesures non standard que sur la politique conventionnelle (mouvements de taux directeurs).
Outre le volubile Orphanides, qui communique abondamment sur les opportunités d’assouplissement et pour qui la ZIRP n’est pas synonyme de perte d’efficacité de la politique monétaire, la plupart des commentaires portent sur la non pertinence d’une politique de taux zéro dans la situation présente :
- Trichet (Président): “there are a number of drawbacks associated with policy rates deliberately put at a zero level” (23/03/09)
- Gonzalez-Paramo (EB) : “Excessively low rates reduce incentives for everyone, especially the most indebted, to restructure their finances” (16/04/09)
- Nowotny : “I myself am sceptical of zero rates. One has to look at the whole interest rate picture, not only at the ECB main rate” (20/04/09)
- Mersch : “I am a little sceptical of excessively low interest rates” (10/03/09)
- Liikanen : “lowering interest rates to zero is not necessarily by itself a solution to the credit crunch and deflation” (30/01/09)
- Bini Smaghi (Executive Board) : “Transmitting monetary policy problem is not necessarily resolved by taking rates to zero” (27/01/09)
- Nowotny : “There is no idea of having zero nominal interest rates. This should not be the goal for the ECB” (20/01/09)
Pour illustrer et asseoir sa position aux yeux des agents, la BCE fait souvent référence aux écarts de taux nterbancaires, équivalents voire plus resserrés en zone euro qu’aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni, en dépit d’un taux principal de refinancement plus élevé.
4. La stratégie de sortie de crise
Au-delà du débat sur la baisse du refi en-dessous de 1%, la perspective de mesures non standard additionnelles renvoie à la question d’une stratégie de sortie de crise, crédible.
- Trichet (Président): “we have to have an exit strategy from monetary policy in exceptional times” (09/04/09)
- Papademos (Vice-Président) : “The medium-term orientation of our monetary policy provides a clear and unambiguous signpost that will allow us to pursue a credible exit strategy from the current conditions of very low interest rates and extraordinary short-term liquidity support as the economic situation normalises” (21/04/09)
- Weber : “One of the lessons or the past has been that leaving rates too low for too long can contribute to macroeconomic and financial imbalances down the road” (22/04/09)
- La crédibilité d’une stratégie de sortie de crise requiert que les anticipations d’inflation à moyen / long terme restent fermement ancrées à un niveau compatible avec l’objectif de stabilité des prix. Même si le risque déflationniste ne se matérialise pas, Orphanides apporte toutefois une nuance à cet égard :
- Orphanides : “A protracted period of inflation below our definition of price stability could risk unanchoring inflation expectations” (14/04/09)
En effet, après le franc rebond attendu sur le second semestre 2009, la trajectoire suivie par l’inflation courante ne rejoindra pas les 2% à horizon fin 2010, au contraire. Cette situation pourrait alors hypothéquer la « normalisation » de la politique monétaire en zone euro.
Politique non conventionnelle : quelles mesures supplémentaires ?
Aux critiques adressées à la BCE et aux allégations relatives à sa « timidité » en la matière, notamment en comparaison de la Fed et de la BoE, le leitmotiv du Président Trichet est de rappeler qu’elle fut la plus prompte à réagir en appliquant des mesures non-standard dès les premières tensions en août 2007.
Après la faillite de Lehman en septembre dernier, elle s’est alors engagée dans un nouveau mode d’approvisionnement de la liquidité au système bancaire par le biais de 3 outils principaux :
- L’élargissement de la liste des actifs éligibles aux opérations de refinancement (les collatéraux)
- La gestion active, mais toujours symétrique, du corridor des taux directeurs (facilité de dépôt et facilité de prêt marginal autour du refi)
- Application d’un taux fixe égal au principal taux de refinancement pour les opérations de maturité allant jusqu’à six mois, la totalité des soumissions étant servie à ce taux.
En conséquence d’une multiplication des opérations de refinancement, le bilan de la BCE s’est considérablement élargi, comme le rappellent régulièrement différents gouverneurs. En effet, à fin juin 2007, il avoisinait 1200 mds EUR avant de gonfler de plus de 60% fin 2008 à plus de 2000 mds. Il atteint aujourd’hui près de 1500 milliards, ce qui représente 16% du PIB de la zone, contre 14% pour le bilan de la Fed à titre de comparaison.
Interrogés depuis décembre sur d’éventuelles mesures additionnelles, les membres du Conseil des Gouverneurs reconnaissent étudier « toutes les options ». A ce jour, aucune décision n’a été prise. Si le « rendez-vous » donné par J.-C. Trichet pour le prochain meeting le 7 mai est très attendu à cet égard, l’issue n’en demeure pas moins très incertaine. En effet, les positions au sein du Conseil sont loin d’être consensuelles.
1. L’assouplissement quantitatif (direct) vise généralement à infléchir les taux d’intérêt à long terme.
Concrètement, les mesures d’accompagnement mises en place par les banques centrales consistent la plupart du temps en l’achat ferme d’obligations souveraines. C’est notamment la voie suivie actuellement par la Fed et la BoE.
Mais il semble très improbable que la BCE s’y engage en vertu de ses statuts singuliers, distinctifs de ses consœurs à cet égard, qui interdisent le financement monétaire des déficits publics. Ce que les gouverneurs ne manquent d’ailleurs pas de rappeler :
- Trichet (Président): “As regards possible outright purchases of securities (…), the risks of the central banks and the risks of the governments are, in the euro area, clearly separated without combination of risks or blending of responsibilities” (23/03/09)
- Weber : “We have to make sure that we would not start any prohibited state financing” (11/03/09)
- Bini Smaghi (EB) : “Although purchases of government bonds are possible in the secondary market, there is a risk to eventually become a market maker for public debt, which could be construed to be against the Treaty prohibition of monetary financing” (28/04/09)
2. L’assouplissement (direct) du crédit a pour objectif de rétablir le bon fonctionnement de certains marchés particulièrement touchés, en l’occurrence ceux des commercial papers, des ABS et des obligations d’entreprises, toujours via l’achat ferme de titres par la banque centrale.
C’est également une voie suivie par la Fed. En la matière, les points de vue divergent au sein du Conseil de la BCE :
- Papademos (Vice-Président): “Potential measures could include (…) purchases of private debt securities in the secondary market in order to improve its liquidity and reduce the cost of funding of the real economy” (26/03/09)
- Orphanides : “Additional policy measures can further reduce these important money-market rates. Broader credit conditions may ease further if commercial paper or corporate bond rates drop too.” (14/04/09) • Nowotny : “Possible purchase of corporate bonds is one example of possible further action” (20/04/09)
- Wellink : “The ECB could take similar measures to those of the U.S. Fed, which has been buying up commercial paper and ABS” (26/03/09)
- Bini Smaghi (EB) : “the central bank can stimulate lending by entering directly into the credit market, (…). This however implies that the central bank is willing to take the capital losses that are likely to emerge when interest rates are increased again.” (06/03/09)
- Stark (EB) : “buying corporate debt would expose the ECB's balance sheet to too much risk” (début avril)
- Weber : “Direct intervention into capital markets should take a back seat” (15/04/09)
Nonobstant les difficultés de mise en œuvre et leur caractère asymétrique2, il semble que certains gouverneurs soient hostiles à l’endossement du risque par la BCE qu’impliquent ces mesures. L’argument indirect avancé réside dans leur faible portée relative, compte tenu du poids secondaire du financement par le marché par rapport au financement bancaire de l’ensemble de l’économie.
Pourtant, il nous semble qu’à cet égard, une piste intéressante pourrait être suivie : l’achat ferme de titres de dette bancaire, qui soutiendrait leur financement à long terme et permettrait de relancer la distribution de crédit.
3. Vers un assouplissement endogène des conditions de financement ?
S’il y a un point de convergence qui semble indiscutable au sein du Conseil, c’est le soutien prioritaire à accorder au système bancaire. Ainsi, de nombreux membres soulignent la prééminence de celui-ci dans la structure du financement de l’économie de la zone euro, contrairement à celle des Etats-Unis :
- Trichet (Président): “Be sure that what we will decide will fully take into account the financing structure of the euro area economy and will be fully in line with our medium term strategy” (17/04/09) • Bini Smaghi (EB) : “if you want to fix the transmission of monetary policy, in the euro area you have to work mainly with banks” (17/04/09)
- Stark (EB) : “the transmission mechanism in the euro area functions primarily via the banking system” (22/04/09)
- Quaden : “There are differences between Europe and the Anglo-Saxon countries” (19/03/09)
C’est pourquoi il est très vraisemblable que le Président Trichet annonce ce jeudi un allongement de la maturité des opérations de refinancement des banques commerciales par la banque centrale, probablement jusqu’à un an au moins, contre six mois à l’heure actuelle :
- Papademos (Vice-Président): “Potential measures could include an extension of the maturity of the central bank liquidity provided to banks” (26/03/09)
- Tumpel-Gugerell (EB) : “there is still room to manœuvre in our money market operations including either longer maturities or additional securities” (05/04/09)
- Weber : “Additional easing of refinancing by banks, for example in the form of extending maturities of liquidity operations, should have priority.” (15/04/09)
- Orphanides : “it could go to one year in a first stage. It is one of the ways we could consider to extend the existing non-conventional measures.” (23/03/09)
Conjugué avec une gamme d’actifs éligibles, éventuellement élargie, intégrant des titres provenant de marchés perturbés, cette piste alternative traduit ce que Lorenzo Bini Smaghi appelle un assouplissement indirect ou endogène. Selon lui, elle permettrait d’éviter l’achat ferme de titres et donc de porter un risque de crédit. La courbe des taux pourrait alors être pilotée jusqu’à un horizon égal à la maturité maximale des opérations de refinancement, ajusté de la période de temps pendant laquelle la banque centrale s’engage à maintenir ces conditions.
L’autre avantage que présente cette option, relève de la stratégie de sortie associée :
- Bini Smaghi (EB) : “in the case of quantitative easing and credit easing policies, it normally implies selling assets outright, and in significant amounts. In the case of the endogenous easing measures, the unwinding happens automatically, since banks should naturally reduce their demand for central bank money and increase interbank lending as their situation normalises.” (28/04/09)
En outre, dans un contexte de politiques monétaires conventionnelles et non conventionnelles très expansionnistes conduites à l’échelle mondiale, le risque inflationniste à moyen / long terme ne peut être exclu. A cet égard, l’assouplissement endogène présente là aussi certains avantages :
- Bini Smaghi (EB) : “in any bank-dominated system of fund intermediation, in which the recovery of the economy largely depends on the soundness of the banking system, inflationary pressures that would require a tightening of monetary policy are likely to appear only when the banks take up their normal lending activity again. This, in turn, implies that non-standard measures should ideally be rolled back before interest rates were increased.” (28/04/09)
Pour conclure, même si conformément aux précautions d’usages la BCE ne s’engage jamais a priori, l’alternative d’un assouplissement endogène apparaît à la fois être dans la continuité de la politique mise en œuvre jusqu’à présent et correspondre aux objectifs à moyen / long terme de l’institut francfortois.
NOTES
(1) Nous traversons un épisode de forte désinflation qui se traduira par des taux négatifs au cours de l’été avant un rebond au second semestre – essentiellement lié à des effets de base notamment sur les prix du pétrole ; message qui semble être reçu par les agents.
(2) Pour plus de détails sur cette question, cf. Flash n°2009-107 « Pourquoi la BCE hésite tant à acheter des actifs ? »