par Jésus Castillo, économiste chez Natixis
Hormis l’accord entre PSOE et Ciudadanos pour une première tentative d’élection d’un chef de gouvernent début mars, tous les autres partis campent sur leurs positions initiales. Pour le moment, les données macroéconomiques ne reflètent pas de dégradation directement imputable à l’incertitude politique. L’économie résiste. Par contre les primes de risques et les indicateurs d’incertitude politique se détériorent. A ce stade la dissolution automatique du Congrès début mai et des élections le 26 juin constituent notre scénario central.
Trois mois après les élections générales du 20 décembre 2015, le Congrès des députés n’est toujours pas parvenu à élire un Président de gouvernement. Loin de s’éclaircir, la situation politique reste extrêmement incertaine. Les indicateurs économiques et financiers disponibles jusqu’à présent reflètent pour le moment un impact limité sur l’activité.
#1 – La situation politique reste bloquée
- Les élections générales du 20 décembre se sont soldées par la constitution d’une chambre des députés extrêmement fragmentée. Cette situation est inédite en Espagne où historiquement les deux principaux partis, Parti Socialiste (PSOE) et Parti Populaire (PP) ont alterné à la présidence du gouvernement. Il s’agit désormais de la plus longue période de transition entre deux gouvernements depuis la fin des années 70.
- En raison du refus en première instance du Président de gouvernement sortant, Mariano Rajoy (PP) de se soumettre à un vote de confiance, le Roi Felipe VI après avoir consulté une deuxième fois les partis représentés au Congrès, a finalement demandé début février au candidat socialiste de tenter sa chance. Pedro Sanchez au terme du débat d’investiture les 1er et 2 mars, n’est pas parvenu à s’imposer. L’accord de gouvernement du PSOE avec le parti de centre s’est avéré insuffisant. Il n’a recueilli que 130 voix face à l’opposition des 219 députés de droite, de gauche et des partis régionaux.
- Ce vote a néanmoins permis de lancer le compte à rebours vers une éventuelle dissolution de la chambre. En effet, si aucun Président de gouvernement ne parvient à être élu dans les deux mois qui suivent la première tentative, le Congrès est automatiquement dissous et de nouvelles élections sont convoquées. Désormais, le Congrès a jusqu’au 2 mai pour parvenir à élire un chef de gouvernement faute de quoi des élections seraient convoquées, probablement dès le 26 juin 2016.
#2 – L’économie semble résister à l’incertitude
Le climat d’incertitude politique est en train d’affecter à des degrés divers les principales variables économiques.
- Les indicateurs conjoncturels disponibles ne révèlent pas encore de détérioration imputable à l’absence de gouvernement. Du côté de la demande, les ventes de détails ont accéléré en janvier (+3,6% en GA) alors que du côté de l’offre, la production industrielle a légèrement ralenti à 3,5% en GA.
- Les données d’enquêtes (plus avancées) sont plus mitigées. D'un côté, l’enquête de la Commission européenne reflète des replis légers de la confiance aussi bien chez les consommateurs que dans l’industrie ou les services depuis le mois de décembre. Néanmoins, comme ces évolutions sont similaires à celles observées dans les autres grands pays de la zone euro, il semble dès lors difficile d’imputer ce déclin uniquement à la situation politique espagnole. Les enquêtes PMI sur l’activité dans le secteur manufacturier continuent de refléter la résilience de l’activité au cours du premier trimestre de cette année malgré un probable ralentissement.
- Les indices de perception du risque politique et les primes de risques demandées par les investisseurs financiers ont été significativement affectés par l’incertitude politique actuelle. Il s’agit d’indicateurs qui s’avèrent généralement très sensibles et volatiles à court terme. Par nature beaucoup plus subjective (voir psychologique) et parfois empreint d’effets de mimétisme dans le comportement des marchés, leur évolution est à considérer avec une extrême prudence. Néanmoins, leur variation dans un sens ou un autre (davantage que l’ampleur de leur mouvement) apporte quand même une information sur le degré d’incertitude ressentit. Avec la remontée du risque politique perçu, la prime de risque pesant sur l’Espagne vis-à-vis de l’Italie s’est à nouveau accrue alors même que la situation macroéconomique plaide en sens inverse.
#3 – Trois raisons pour lesquelles nous pensons que de nouvelles élections auront lieu.
- Les enquêtes disponibles depuis les élections du 20 décembre indiquent qu’en cas de dissolution du Congrès la chambre devrait rester significativement fragmentée. Néanmoins, des nuances sur les représentations des différents partis apparaissent. Les sondages suggèrent que le Parti Populaire (PP) résisterait et conserverait environ le même nombre de députés qu’actuellement (environ 123). Le PSOE pourrait légèrement progresser tout comme Ciudadanos. Leur coalition pourrait passer de 130 députés à 140 et ainsi dépasser d’une courte tête le PP. Le grand perdant semblerait être Podemos qui cèderait une dizaine de sièges environ. Tous les partis verraient ainsi d’un bon œil le reflux de Podemos en cas de nouvelles élections.
- L’affaiblissement de l’extrême gauche serait favorable à la stratégie poursuivie par le PP de grande coalition qu’il souhaite diriger. Il est donc fort probable que le PP ne permette pas par son abstention à la coalition PSOE Ciudadanos de gouverner, augmentant ainsi la probabilité d’une dissolution.
- Seul Podemos pourrait être tenté d’éviter de nouvelles élections dont les résultats pourraient lui être défavorables. Il devrait alors permettre l’investiture du candidat socialiste en coalition avec Ciudadanos, soit en votant favorablement, soit en s’abstenant. Mais s’il opte pour l’abstention, cette stratégie pourrait s’avérer insuffisante. En effet, l’élection d’un Président de gouvernement socialiste nécessiterait que les partis régionaux (plus ou moins indépendantistes) s’abstiennent également ce qui est loin d’être évident. Mais, les luttes internes actuellement en cours au sein de Podemos ne plaident pas en faveur de ce scénario. En effet, les forces les plus modérées (qui auraient pu permettre un gouvernement socialiste) sont en train de perdre du poids au sein des organes dirigeants du parti. L’aile la plus radicale, représentée par le secrétaire général de Podemos, Pablo Iglesias, détient pour le moment toutes les rênes du parti.
Par rapport à ce scénario de répétition des élections, seule une très forte dégradation des perspectives pour le PP ou Podemos dans les sondages pourrait justifier leur abstention lors d’une nouvelle tentative d’investiture du candidat socialiste en alliance avec Ciudadanos afin d’éviter un nouveau scrutin d’où ils sortiraient extrêmement affaiblis.