Taux négatifs : une mesure en soi potentiellement contre-productive… et anxiogène

par Philippe Ithurbide, Directeur Recherche, Stratégie et Analyse chez Amundi

On peut comprendre que la BCE souhaite tester le niveau de taux en deçà duquel les banques cessent de porter leurs excédents de cash auprès de la banque centrale, mais la question est de savoir si cela en vaut vraiment la peine au regard des risques qu’une telle politique représente. Il semble que Mario Draghi ait abandonné l’idée de tester l’existence et le niveau de ce seuil, si l’on comprend correctement la session de questions-réponses qui a suivi les annonces de la BCE du 10 mars, ce qui serait une bonne décision.

Ce qui est nécessaire, ce n’est pas tant de poursuivre dans la baisse des taux et d’envoyer toute la gamme des taux en territoire négatif (comme au Japon actuellement), mais de maintenir les taux bas. Si les banques ont des liquidités, c’est précisément parce que la BCE en injecte beaucoup, et la baisse des taux de dépôt pénalise la profitabilité des banques (toutes les banques, qu’elles soient du cœur de la zone ou de la périphérie) au moment même où elles sont chahutées par les marchés et alors même qu’il leur est demandé d’accorder davantage de crédit à l’économie. Une situation paradoxale et sans aucun doute contre-productive. Au total, la poursuite de la baisse des taux alimente davantage les craintes de déflation qu’elle ne les combat. C’est pour cela que cette mesure ne peut être isolée. Le 10 mars, la BCE a donc pris un ensemble de mesures : TLTRO, extension du QE à une nouvelle – et importante — classe d’actifs (les corporate bonds), baisse des taux… tout l’arsenal de la BCE a été mobilisé :

  • Le taux sur les opérations de refinancement est abaissé de 5 pb à 0.00 % à partir du 16 mars 2016.
  • Le taux de prêt marginal est abaissé de 5 pb à 0.25 % à partir du 16 mars 2016.
  • Le taux de rémunération des dépôts est abaissé de 10 pb à -0.40 % à partir du 16 mars 2016.
  • Le programme mensuel d’achats d’actifs est augmenté et sera désormais de €80 Mds, dès le mois d’avril.
  • Les obligations non bancaires investment grade de la zone euro libellées en euro sont désormais éligibles au programme d’achats de la BCE.
  • Une nouvelle série de 4 opérations de refinancement à long terme (TLTRO II), chacune de maturité 4 ans, est mise en place à partir de juin 2016.

Les marchés financiers ont cette fois été enthousiastes, du moins au moment de l’annonce de ces mesures, car tout cela est favorable au maintien des taux bas, au soutien des spreads souverains, au soutien des spreads de crédit, et au soutien des banques. Même si l’on doit admettre que le geste (énorme) de la BCE est bien la preuve que tout ne tourne pas bien rond, il est difficile de ne pas l’apprécier…

En novembre dernier, nous écrivions — déjà — que la baisse des taux de dépôts de la BCE en territoire encore plus négatif ne tarderait pas à avoir des effets négatifs. Il est utile de se replonger dans l’argumentaire.

1. Pourquoi les taux sont-ils aussi faibles ?

Quand on parle de taux d’intérêt, on peut distinguer plusieurs types fort différents: des taux de marchés, des taux administrés, des concepts théoriques… :

  • Le taux d’équilibre : le taux d’intérêt en ligne avec des fondamentaux ;
  • Le taux de marché : celui qui découle des transactions effectives ; xxxxxxx – Les taux court terme et les taux long terme;
  • Le taux directeur: le taux (ou la gamme des taux) administré par la banque centrale ;
  • Le taux naturel : le taux d’intérêt qui équilibre épargne et investissement quand la croissance est à son potentiel ;
  • Le taux neutre: en rythme de croissance potentielle, le taux naturel nominal neutre est égal au taux réel neutre, plus la cible d’inflation de la banque centrale ;
  • Le taux nominal : le taux d’un contrat ou d’une transaction ;
  • Le taux réel : le taux nominal défalqué d’un indicateur d’inflation ;
  • – Le taux d’actualisation: le taux d’intérêt qui, entre autres, sert à valoriser les actifs.

Ce qui est remarquable dans la situation actuelle, c’est que tous ces taux ont fortement baissé, pour des raisons cycliques, pour des raisons structurelles, pour des raisons liées à la stratégie des banques centrales…

Parmi les facteurs « lourds », structurels, rappelons :

  • La baisse de la population en âge de travailler et/ou la baisse des taux d’activité. On retrouve cela dans la plupart des pays avancés et en Chine, pays qui est vieux avant d’être riche ;
  • Le ralentissement du rythme du progrès technique, qui réduit les gains de productivité. Il s’agit de thèmes (avec la démographie) souvent évoqués par les tenants de la stagnation séculaire ;
  • L’accroissement massif des inégalités qui pèse sur la croissance économique potentielle, un thème développé par Robert Gordon notamment ;
  • La baisse ou à la stagnation du salaire réel disponible : on retrouve ici le rôle des politiques de salaires et celui de la fiscalité ;
  • L’impact du poids de la dette. L’excès de crédit avait boosté « artificiellement » la croissance dans de nombreux pays (États-Unis, Espagne…) jusqu’à la crise financière. Le « deleveraging » généralisé qui a suivi (encore incomplet) pousse désormais la croissance à la baisse. Pire encore, les politiques économiques, contraintes par les dettes, doivent améliorer la solvabilité globale, y compris celle des États et ne peuvent plus contrer les cycles économiques. Autrement dit, la dette maintient le taux naturel très bas. On retrouve là aussi l’un des thèmes développés par les tenants de la thèse de la grande stagnation.

La stabilité macrofinancière de ce nouveau régime requiert désormais des taux d’intérêt plus bas, et sans doute pour longtemps car il s’agit de modifications structurelles. À tout cela viennent s’ajouter les niveaux de dette accumulés qui « interdisent » une forte remontée des taux.

Parmi les facteurs cycliques (dont certains peuvent désormais être considérés comme durables), mentionnons :

  • L’impact de la crise financière de 2008: elle a été mondiale, et elle se traduit par un effondrement généralisé du taux naturel et des taux d’équilibre;
  • Les baisses de taux directeurs des banques centrales, entamées dès la crise financière de 2008, et le maintien à des niveaux ultra-bas, une situation dont il est bien difficile de sortir, les États-Unis en étant l’exemple le plus flagrant ;
  • La mise en place de programmes non conventionnels d’achats d’actifs et de « forward guidance », qui ont ancré les taux (tous les taux), les primes de terme et les rendements obligataires à de faibles niveaux;
  • La baisse des anticipations d’inflation (court terme et long terme). Une difficulté majeure pour les banques centrales parce que ces anticipations ne sont plus ancrées sur la cible de la banque centrale ;
  • L’augmentation de l’aversion au risque, qui accroît inévitablement l’épargne de précaution (qui accepte même, désormais, de se porter sur des actifs à taux négatifs !) et réduit l’investissement, un des grands absents de la reprise économique actuelle;

2. Taux négatifs et modèles d’affaires

Les taux courts, moyens et parfois longs (le taux 10 ans japonais, par exemple) sont désormais, dans certains pays, en territoire négatif. Il est bien difficile de dire si les économies et les marchés financiers peuvent rester longtemps dans un monde à taux négatif, tant cette situation est inédite. Ce qui est sûr, en revanche, et même si cette situation n’est que temporaire (quelques années), c’est que cela entraîne des changements radicaux dans les modèles d’affaires de bon nombre d’activités.

  • Concernant les fonds monétaires, le cas du Japon est emblématique. La première phase de baisse des taux (dans les années 90) avait fortement réduit la taille de ces fonds, alors les plus importants au monde. Il semble bien que le passage à des taux négatifs soit le coup de grâce.
  • Pour la gestion d’actifs, l’environnement de taux bas et, a fortiori de taux négatifs a de multiples impacts: révision des espérances de rendements, révision du rôle des obligations dans une construction de portefeuille, révision du concept même d’actif sans risque, révision de la gamme de produits et de fonds, recherche de benchmarks plus efficients, recherche de « nouvelles » stratégies de rendement, révision des structures de coûts… (voir notre discussion paper « Environnement de taux bas / négatifs, stagnation séculaire… Impact pour la gestion d’actifs », a paraître (2016)). Aucun des aspects liés au « business model » des sociétés de gestion n’est épargné.
  • S’agissant des assureurs vie, le constat est également inquiétant. Des taux négatifs et même proches de zéro menacent la solvabilité et la stabilité de ce secteur, ainsi que le montrait une récente étude de Moodys (European Insurers face Credit-negative QE program, janvier 2015). La vulnérabilité du secteur est d’autant plus grande que l’écart de duration entre actif et passif est élevé (un écart élevé accroît le risque de réinvestissement) et qu’une grande partie des contrats (logés au passif) a été négociée avec des taux garantis. Selon Moody‘s, fin 2012, c’est en Allemagne que l’écart de duration est le plus élevé : il serait, à 11 ans (incluant l’assurance santé), deux fois plus grand qu’en France ou aux Pays-Bas. C’est également en Allemagne qu’ont été négociés le plus grand nombre de contrats à taux garantis (plus de 92 % du total des contrats contre 60 % aux Pays-Bas, 79 % en Italie, 84 % en France) et aux taux les plus élevés (entre 3 % et 3,5 % en Allemagne, entre 2 % et 3 % en Italie, autour de 1 % en France et à taux révisables en Espagne). Comme dans le cas du Japon, on doit s’attendre à une révision graduelle et importante des contrats à taux garantis, et à une forte baisse de ces taux.
  • Pour les banques, il faut bien admettre que la baisse des taux a été favorable dans un premier temps: elles ont ainsi pu bénéficier instantanément de coûts de financement très bas et, surtout, sans lien avec leur risque réel. Certaines banques ont eu des difficultés de refinancement sur le marché interbancaire et l’ensemble des banques ont vu leur cours de bourse s’effondrer, mais aussi bien aux États-Unis qu’au Japon ou en Europe, les politiques non conventionnelles ont tout d’abord amélioré la profitabilité des banques. La raison est simple: les QE ont fait chuter les taux longs, et la duration des dépôts est par construction bien plus courte que celles des actifs que les banques ont en portefeuille. Comment ne pas croire que l’abondance de liquidités et le maintien des taux bas n’ont pas retardé le nettoyage des bilans de certaines banques ? Cette situation ne pouvait pas durer : avec la baisse des taux et l’aplatissement de la courbe des taux, la marge d’intérêt s’est littéralement écroulée et la profitabilité a décliné. Autrement dit, l’écart de taux d’intérêt entre les passifs (courts) et les actifs (longs) a quasiment disparu. Ne pas ignorer non plus l’incertitude liée au comportement des déposants. Les banques ont su depuis longtemps modéliser ce comportement, ce qui est essentiel pour l’activité des banques de détail. Mais il semble évident que le comportement des déposants ne peut que changer face à des taux négatifs, une situation bien différente d’un environnement de taux bas. Accepter de perdre de l’argent en le confiant à une banque, ce n’est pas la même chose que d’accepter un rendement faible mais sûr. Comment modéliser un tel comportement, a priori inconnu car relatif à un environnement sans précédent ?
  • Si l’on en croit tous les commentaires, les banques centrales ont une réelle part de responsabilité dans l’avènement de cet environnement. Nous avons cependant vu plus haut que d’autres facteurs bien plus lourds ont poussé les taux à la baisse et il serait injuste de prétendre que seules les banques centrales sont responsables. Quoi qu’il en soit, elles doivent également s’y adapter, notamment dans le cadre de la gestion de leurs réserves. On sait depuis longtemps que c’est le triptyque « rendement – risque – liquidité » qui domine leurs décisions. On sait aussi que, dans l’ordre d’importance décroissant avoué par les banques centrales dans différentes enquêtes, on devrait plutôt dire « sécurité – liquidité – rendement ». Autant dire que les commentaires sur les bulles éventuellement créées par les programmes de QE ont de quoi perturber cette gestion. La liquidité est également impactée par les vastes programmes d’achats d’actifs des banques centrales… quant au rendement, il va sans dire que les taux négatifs représentent de véritables enjeux, y compris pour les banques centrales.
  • Pour les émetteurs gouvernementaux, la situation a un côté paradoxal. La prime de terme faible (elle est au plus bas depuis les années 60 aux États-Unis) signifie tout simplement que l’investisseur n’est plus rémunéré pour le risque de taux qu’il prend. En revanche, les émetteurs, y compris les États, sont récompensés lorsqu’ils s’endettent: en lieu et place du versement d’un taux d’intérêt, ils perçoivent une rémunération. Autrement dit, « le taux négatif comme le taux positif proche de zéro, équivaut à imposer une taxe sur l’épargne et une subvention à l’accumulation de dettes » (Aglietta – Valla, 2016), ce qui n’est pas réellement une incitation à maîtriser sa dette. En clair, les États se financent à taux très bas voire même négatifs, et la BCE achète une très grande partie des émissions (elle achète plus de deux fois les émissions nettes des États européens). Un bouclage parfait mais pas très sain. Comme pour les banques dans un premier temps, le maintien de taux bas ou négatifs n’est pas la meilleure incitation à la rigueur.

3. Taux négatifs: inconvénients immédiats, avantages incertains

Nous venons de présenter les raisons – objectives et durables – qui poussent au maintien de taux d’intérêt à un bas niveau. Les pousser en territoire négatif, comme le font les banques centrales Japonaise, Suisse, danoise, ou européenne est encore autre chose. Que doit-on penser du cas de la BCE ?

Remarque 1 : Des baisses de taux supplémentaires ne sont pas nécessaires. L’accès au financement s’est considérablement amélioré depuis deux ans, et plus spécialement depuis la mise en place du programme de QE, qui a ancré les taux d’intérêt pour longtemps à un bas niveau, ce qui est déjà en soi un résultat satisfaisant. Déjà, mi-2015, les enquêtes de la BCE montraient que le point bas avait été atteint, tandis que le marché primaire des émissions d‘entreprises progressait de façon significative: plus de 200 nouveaux émetteurs sur le segment du high yield, et une taille de marché qui a plus que doublé en l’espace de trois ans. Les taux longs étaient déjà extrêmement bas, et surtout bien ancrés aux taux courts. Ce qui est nécessaire, ce n’est pas tant de poursuivre dans la baisse des taux et d’envoyer toute la gamme des taux en territoire négatif (comme au Japon actuellement), mais de maintenir les taux bas. Les programmes d’achats du QE sont sans doute le bon instrument pour cela.

En effet, en 2016, les émissions nettes seront négatives, une fois pris en compte les achats de la BCE. Pour le seul gouvernement central, elles seront de -139 Mds d’euros pour l’Allemagne, de -45 Mds pour la France, -31 Mds pour l’Espagne, -41 Mds pour l’Italie…, -24 Mds pour les Pays- Bas… Comment miser sur une remontée des taux longs en zone euro dans le contexte actuel ?

Remarque 2 : Une baisse des dépôts des banques auprès de la BCE ne garantit en rien une hausse supplémentaire du crédit bancaire auprès des entreprises dans les zones les plus désavantagées. En clair, si les banques allemandes retirent leurs dépôts de la BCE, vont-elles prêter aux entreprises du sud de l’Europe? La réponse est à l’évidence négative. Ne pas confondre condition nécessaire et condition suffisante.

Remarque 3 : Si les banques ont des liquidités, c’est précisément parce que la BCE en injecte beaucoup: ne pas confondre causes et conséquences. On avait bien compris qu’en janvier 2015, lors de l’annonce de la mise en place de son QE, la BCE déplorait que les banques commerciales déposent leurs liquidités dans ses comptes, et qu’elle préférait voir ces montants déversés « dans l’économie réelle ». Mais ces montants n’ont cessé de progresser au rythme du programme d’achats d’actifs de la BCE: alors à 100 Mds d’euros, les dépôts à la BCE sont actuellement de l’ordre de 550 Mds, et la BCE y a sa part de responsabilité.

Plutôt que d’acheter des obligations d’État (avec risque de duration, risque asymétrique et à rendement négatif), les banques préfèrent déposer leurs liquidités à la BCE, à taux négatif, sans risque de contrepartie ni risque de durée (taux overnight), et sans risque asymétrique. Qui pourrait leur reprocher ?

Remarque 4 : La baisse des taux de dépôt pénalise la profitabilité des banques (toutes les banques, qu’elles soient du cœur de la zone ou de la périphérie) au moment même où elles sont chahutées par les marchés et alors même qu’il leur est demandé d’accorder davantage de crédit à l’économie. Une situation paradoxale et sans aucun doute contre-productive.

Remarque 5 : La BCE doit lutter contre toute menace sur la stabilité des prix (à la hausse comme à la baisse). Il est bien clair que, encore aujourd’hui, c’est la déflation qui menace, pas l’inflation. Mais contrairement à la situation qui prévalait il y a deux ou trois ans (ou à celle qui qualifiait le Japon dans les années 90 et 2000), les pressions déflationnistes ne viennent plus de la zone mais de l’extérieur de la zone: prix du pétrole, baisse du commerce mondial, repli de la globalisation, ralentissement de la croissance mondiale, ralentissement de l’ensemble des pays émergents, ralentissement de la croissance américaine… On voit un lien étroit entre les anticipations d’inflation et le prix du pétrole. Sauf à acheter du pétrole, ce qui est évidemment à des années-lumière de son mandat (!), la BCE ne peut rien y faire !

Remarque 6 : La poursuite de la baisse des taux alimente davantage les craintes de déflation qu’elle ne les combat. Dans le contexte actuel, la baisse des taux en territoire négatif n’est pas la réponse. Et la BCE ne peut pas tout faire à elle seule. La réponse est sans aucun doute davantage fiscale (et budgétaire) que monétaire. Tout le monde attend tout de la BCE et ce n’est ni normal, ni légitime, ni rationnel. Cela reflète sans aucun doute l’absence de marges de manœuvre ailleurs et/ou l’absence de cohésion au sein de la zone euro. Quelle que soit la façon de regarder les choses, il n’y a rien de réellement rassurant.

Remarque 7 : La BCE ne peut pas afficher de cible pour la valeur externe de l’euro (ce n’est pas son mandat, ne cesse de rappeler M. Draghi à chaque fois qu’une question sur l’euro lui est adressée), mais nous savons à quel point une baisse de l’euro serait utile (profits des entreprises, restauration des marges…) Le regain de vigueur de la devise européenne en 2015 est davantage lié à ce qui s’est passé sur les devises émergentes, puis à ce qui s’est passé sur le « repricing » de la croissance américaine et des anticipations de politique monétaire de la Fed… Mais un autre facteur a indubitablement pesé : la zone euro est finalement la seule zone/pays à ne pas avoir de politique de change explicite. Autrement dit, l’euro s’ajuste aux politiques des autres.

Remarque 8 : Une baisse des taux excessive crée inévitablement des valorisations anormales, excessives. Dans les modèles de valorisation, les taux d’intérêt sont une composante des dénominateurs et, mécaniquement, la baisse des taux, qui réduit le coût du capital notamment, se traduit par des hausses de valorisations. Dit autrement, il est normal d’avoir des valorisations élevées en contexte de taux bas… sans conclure nécessairement en l’existence de bulles. Mais tout est question de mesure ou de… démesure. Avec des taux négatifs, les valorisations « classiques » n’ont plus grand sens, et cette entrée en territoire inconnu n’a rien de rassurant non plus. La BCE doit-elle vraiment accentuer ces inquiétudes, voire même les conforter ?

Remarque 9 : Autrement dit, en envoyant les taux d’intérêt courts et longs en territoire négatif, la BCE envoie également des messages négatifs aux marchés financiers. Et cela intervient au moment où la croissance a progressé (elle est plus solide, tirée par la demande interne et non plus par les dépenses publiques…), l’inflation est sous contrôle et les facteurs qui la poussent à la baisse sont davantage des facteurs externes qu’internes. La crédibilité des banques centrales est en question. Jusqu’en décembre dernier, la BCE avait fait un sans-faute… on voit bien que la confiance envers toutes les banques centrales a fléchi, et pas plus la BCE que la Fed, la BoE, la PBOC ou la BOJ n’ont un blanc-seing des marchés financiers.

Remarque 10 : Alors que les avantages de taux négatifs sont, au mieux incertains, et en réalité inexistants, les conséquences négatives sont- elles, évidentes. Nous avons évoqué ci-dessus les messages envoyés par les banques centrales, les problèmes de rentabilité des banques, de dépôts à la BCE, d’entretien de la situation de déflation, de valorisation d’actifs risqués excessive… on peut ajouter que des taux négatifs ne peuvent que provoquer des retraits des fonds monétaires (un impact négatif pour la gestion d’actifs) vers les dépôts des banques, ce qui représente une baisse additionnelle de la rentabilité des banques. Un jeu qui n’est pas à somme nulle ou positive, mais négative…

Au total, on comprend bien la montée de la défiance envers les baisses de taux compte tenu des niveaux atteints. Persévérer dans cette voie est sans aucun doute anxiogène.

Conclusion

Au total, on comprend bien la montée de la défiance envers les baisses de taux compte tenu des niveaux atteints. Les facteurs qui poussent à la baisse les taux d’intérêt sont nombreux et puissants, variés et de nature très différente. Rien d’étonnant à ce que l’ensemble des taux (taux naturel, taux d’équilibre, taux de marché, taux directeurs, taux nominaux, taux réels, taux d’actualisation…) ait pris le chemin de la baisse. Tout cela a des implications sur les modèles d’affaires dans banques, des assureurs, des banques centrales, des agences d’émission… Des implications conséquentes et sans doute durables. En somme, à certains égards, les taux négatifs sont en train de redessiner l’environnement économique et financier.