par Gilles Frécaut, économiste au Crédit Agricole
• Chrysler a annoncé sa décision de se placer sous la protection du chapitre 11 de la loi américaine sur les faillites pour contraindre ses créanciers seniors d’accepter son plan de restructuration.
• Ce plan de restructuration de Chrysler est bâti sur un triple soutien : technologique de la part de Fiat, financier avec l’aide des gouvernements américain et canadien et social, sous forme de concessions de la part des salariés.
• Tout n’est pas réglé pour autant. La mise en chapitre 11 est une opération complexe qui comporte certains risques d’ordre commercial ou industriel.
Chrysler sous la protection du « chapter 11 »
Le 30 avril, devant le refus de ses créanciers senior d'accepter son offre (paiement cash de 2 milliards de dollars pour une dette senior de 6,9 milliards de dollars), Chrysler a annoncé sa décision de se placer sous la protection du chapitre 11 de la loi américaine sur les faillites pour contraindre ses créanciers seniors d’accepter son plan de restructuration.
L'objectif de Chrysler est de faire valider par la cour du district Sud de New York l'application d'une clause du chapitre 11 (section 363) qui permet d'organiser la vente aux enchères des actifs dans un délai très court. Ceci permettrait à un « new Chrysler » contrôlé par Fiat et le syndicat UAW d'exploiter de façon profitable les actifs sains de Chrysler.
Le principal obstacle juridique à ce plan est l'opposition d'un groupe de créanciers dissidents (environ vingt porteurs représentant 30 % de la dette senior), dont la stratégie est de « faire monter les enchères » en exigeant une indemnisation de sa créance encore plus favorable que celle proposée (0,29 USD cash par dollar) en spéculant sur la volonté du gouvernement Obama de sauver Chrysler.
Selon ces dissidents (dont certains auraient reçu des menaces de mort) la proposition de Chrysler serait contraire au droit des faillites et aboutirait à un traitement plus favorable des prêteurs juniors (UAW et salariés) que des prêteurs seniors bénéficiant pourtant de garanties sur les actifs de Chrysler.
Les risques du « chapter 11 »
Le plan de restructuration de Chrysler est bâti sur un triple soutien : technologique de la part de Fiat (qui apporte de petits modèles économiques qui font défaut dans la gamme de Chrysler), financier de la part des gouvernements américains et canadiens (apport de 8 milliards de dollars du gouvernement américain et 2,4 milliards de dollars du gouvernement canadien), social sous forme de concessions de la part des salariés (abandon de certaines primes et de jours de congés). Ces concessions sont censées mettre Chrysler sur un pied d'égalité en termes de coût salarial avec les transplants japonais.
Pour autant, la mise en chapitre 11 d'un constructeur d'automobiles est une opération très complexe ouvrant la porte à de multiples incertitudes :
- d'ordre commercial vis-à-vis des clients qui pourraient être réticents à acheter des voitures risquant de ne plus pouvoir être entretenues et sur lesquelles les engagements de garanties du constructeur pourraient ne pas être honorés. Le risque de perte de valeur des modèles Chrysler est également très élevé.
- d'ordre industriel vis-à-vis des fournisseurs dont une partie des créances sont gelées et qui vont devoir s'adapter à une interruption totale de la production de Chrysler pendant une période de trente à soixante jours. À l'issue de cette période certains fournisseurs pourraient avoir disparu ou décidé d'abandonner leur production pour Chrysler.
- d'ordre commercial enfin vis-à-vis des concessionnaires. Aux États-Unis ceux-ci sont au nombre de 3 200 et emploient au total 140 000 personnes. Les concessionnaires doivent pouvoir être indemnisés très rapidement des coûts de garanties qu'ils engagent pour le compte du constructeur, faute de quoi les véhicules ne pourront plus être entretenus et garantis. On sait aussi que ce réseau est très fortement surdimensionné et doit être restructuré en profondeur pour rétablir la viabilité financière de Chrysler. Quelles seront les possibilités de recours des distributeurs résiliés et comment se comporteront ils vis-à-vis de la marque ? Le plan de reprise de Fiat reste très discret sur la restructuration du réseau.
Au plan social enfin, la nécessité de réduire la capacité de Chrysler semble en partie contradictoire avec les intérêts de l’UAW et de l’administration Obama qui cherchent à défendre des emplois. Une chose est sûre : la survie de Chrysler et sa reprise par Fiat/UAW passe par une sortie très rapide du chapitre 11. En son absence, le risque de voir la marque disparaître reste très élevé.