par Christopher Dembik, Economiste chez Saxo Banque
La reprise de l’activité mondiale est perceptible depuis le début de l’année, comme en témoigne le sursaut du commerce international et du Baltic Dry Index, mais elle est très dépendante de l’évolution de la conjoncture aux Etats-Unis.
La FED bloquée par le ralentissement américain
La hausse soutenue des créations d’emplois depuis trois ans confirme la réalité de la reprise économique américaine mais celle-ci va inévitablement ralentir au cours des prochains trimestres du fait de la baisse du revenu réel des ménages américains, qui se répercute sur la consommation et également sur le PIB, comme l’a montré la première estimation de la croissance au T1 2016.
Pour une économie comme celle des Etats-Unis qui est aussi dépendante de la consommation intérieure, la baisse du revenu réel des ménages est une vraie épée de Damoclès à moyen terme. En outre, tous les indicateurs confirment que cette baisse va encore nuire à l’activité économique au T2. La dernière enquête du Conference Board a souligné que la proportion de consommateurs anticipant une hausse de leurs revenus continue de chuter, de 16,9% à 15,9%. La stagnation voire la baisse des revenus réels se répercute directement sur la confiance des consommateurs puis sur les dépenses de consommation, comme cela fut le cas au premier trimestre. Le rebond constaté des ventes au détail en avril ne doit pas faire oublier le très mauvais démarrage du début d’année. A moyen terme, il s’agit bien d’un déclin de l’activité économique américaine qui semble s’amorcer, ce qui aura un impact notable sur le cycle de normalisation des taux de la FED et sur la croissance mondiale. De notre point de vue, malgré la hausse de l’inflation aux Etats-Unis, la banque centrale américaine possède une marge de manœuvre très limitée pour augmenter ses taux en raison du ralentissement économique. Dans ce contexte, notre scénario de base repose sur une seule hausse de taux au cours du deuxième semestre 2016.
La crainte de ralentissement de l’économie américaine, voire de récession dans les années à venir, est bien identifiée par nos clients, aux côtés du Brexit, d’une dévaluation de la monnaie chinoise et de la déflation en zone euro, qui est toujours une thématique dominante.
2016 : année de tous les risques
Le Brexit est un risque de très court terme qui est encore assez mal intégré dans les prix des actifs financiers. Plus l’échéance du 23 juin se rapprochera, plus la volatilité devrait s’accentuer, sachant que le mois de juin sera celui de tous les risques. Il regroupe sur quelques semaines une accumulation de facteurs anxiogènes pour le marché : la réunion de la FED, les élections en Espagne, le référendum sur l’appartenance du Royaume-Uni à l’UE, et également de possibles nouvelles mesures de la part de la Chine pour soutenir son économie (comme une baisse des réserves obligatoires des banques). Toutefois, le risque politique n’a généralement pas d’effet durable notable. Il est donc peu probable que le référendum britannique fasse dérailler l’activité mondiale, même en cas de sortie du pays de l’UE. Si les partisans du Brexit l’emportaient, une récession technique au Royaume-Uni est probable mais il n’y aurait pas de big bang économique et financier mondial. Le pays disposerait de deux ans pour trouver un nouvel accord d’association avec l’UE. Durant cette période, les règles commerciales actuelles continueraient de prévaloir.
Une dévaluation de la monnaie chinoise est un risque qui est beaucoup plus important car, lorsque la Chine procèdera à un ajustement à la baisse du taux de change du yuan, on peut redouter que d’autres pays interviennent pour dévaluer leur monnaie, à l’instar du Japon, brouillant les cartes sur le marché des changes. Cela mettrait un terme à l’accord tacite passé entre les pays du G20 à Shanghai en février dernier afin de stopper la « guerre des devises ». Bien que le yuan chinois soit moins volatil depuis le début de l’année qu’en 2015, la Chine continue de puiser dans ses réserves de change, qui étaient à 3220 milliards USD mi-avril, pour stabiliser sa monnaie. Cette fuite en avant n’est pas tenable. En effet, le pays ne peut pas se permettre que ses réserves chutent sous le seuil de 2800 milliards USD établi par le FMI, qui est nécessaire pour que la BPC (Banque Populaire de Chine) puisse réagir en cas de choc externe. Par conséquent, ce n’est plus qu’une question de temps avant que Pékin ne dévalue sa devise.
Enfin, la déflation en zone euro figure toujours parmi les risques principaux identifiés par les investisseurs. Il ne se matérialise pas encore et pourrait même progressivement s’éloigner avec la stabilisation du prix du baril de pétrole autour de 50 dollars. Le processus à l’œuvre est celui d’une désinflation, c’est-à-dire un ralentissement de la hausse des prix, et non celui d’une déflation. Ce processus n’en constitue pas moins un véritable challenge pour la BCE dont la politique monétaire expansionniste ne parvient pas à redresser durablement les anticipations d’inflation. L’incapacité des banques centrales à atteindre leurs objectifs, notamment en zone euro et au Japon, pourrait décrédibiliser à long terme leur action. Dans un univers financier largement dominé par les décisions et la rhétorique des banques centrales, une perte de crédibilité serait dramatique. C’est la vraie menace, encore sous-estimée, qui pèse sur la croissance mondiale selon nous.
Retour de la « relique barbare »
Du fait du manque de visibilité concernant l’évolution macroéconomique et des craintes de nouvelle crise, on constate un intérêt réel pour les valeurs refuge, en particulier l’or, y compris les lingots d’or. Ce retour des investisseurs vers la « relique barbare », comme l’appelait Keynes, traduit à quel point le climat de défiance est important. La hausse des marchés indices et actions, légitime au regard des ratios cours sur bénéfices en Europe et au Japon, et stimulée par les politiques monétaires expansionnistes, ne doit pas induire en erreur. Les investisseurs n’ont pas confiance en l’avenir.