par William De Vijlder, Chef économiste chez BNP Paribas
• Nous révisons à la hausse nos prévisions de croissance en 2016 pour la zone euro ainsi que pour les pays émergents et en développement, et à la baisse celles des Etats-Unis.
• A l’horizon 2017, nous révisons légèrement à la baisse nos prévisions pour la zone euro et à la hausse pour les pays émergents.
• Nos prévisions de croissance aux Etats-Unis, en particulier pour 2017, sont inférieures à celles du consensus.
Nous avons procédé à notre dernière actualisation trimestrielle des perspectives de l’économie mondiale sur fond de modification significative des variables macroéconomiques depuis le début de l’année. Les prix du pétrole ont très nettement rebondi après avoir atteint un point bas vers la mi-janvier, entraînant des effets positifs sur les pays émergents ainsi que sur l’appétit pour le risque des investisseurs sur les marchés financiers. Les efforts de relance en Chine ont apporté une bouffée d’oxygène après la nervosité observée au second semestre 2015. Il s’en est suivi une amélioration des statistiques économiques ainsi qu’un regain de confiance sur les marchés des matières premières et à l’égard des pays en développement. La BCE a redoublé d’efforts pour stimuler l’inflation, notamment en élargissant la portée de son programme d’achat d’actifs. La Réserve fédérale a, quant à elle, opté pour la prudence en maintenant le statu quo sur les taux, mais des déclarations récentes semblent aller dans le sens d’un nouveau resserrement si les statistiques le permettent. Enfin, la Banque du Japon a fait les gros titres en introduisant un taux négatif de rémunération des dépôts, une décision qui a généré certaines turbulences sur le marché.
A la divergence des orientations monétaires (statu quo aux Etats- Unis, assouplissement accru de la politique monétaire de la BCE et de la Banque du Japon), est venue s’ajouter celle des trajectoires de l’économie réelle. La croissance a été particulièrement forte au premier trimestre dans la zone euro, au moins au regard des normes européennes. Elle a également été au rendez-vous au Japon, quoique cela s’explique surtout par l’absence de correction des données au titre de l’année bissextile, et elle a été très faible aux Etats-Unis.
Economies avancées
Aux Etats-Unis, nous prévoyons une croissance du PIB réel de 1,6 % cette année (contre 1,8 % précédemment) et de 1,5 % en 2017. La révision à la baisse pour 2016 tient aux chiffres décevants du premier trimestre (+0,5 % en glissement trimestriel, annualisé). Le consensus de Bloomberg se situe, respectivement, à 1,8 % et à 2,3%. Le Fonds monétaire international, dans ses dernières Perspectives économiques mondiales du mois d’avril, estime la croissance à 2,4 % en 2016 et prévoit 2,5 % à l’horizon 2017. La croissance sera portée cette année par la consommation privée et l’investissement résidentiel, les exportations nettes et les investissements des entreprises agissant, pour leur part, comme un frein. Selon nos prévisions, les dépenses d’investissement des entreprises vont pâtir de l’effet décalé du durcissement des conditions financières et monétaires (appréciation du taux de change effectif du dollar, élargissement des spreads de crédit), malgré le léger assouplissement observé récemment.
Mais le plus important reste les pressions à la baisse sur les résultats des entreprises qui ne manqueront pas de peser sur les investissements. L’année prochaine, la croissance de la consommation privée devrait légèrement ralentir sous l’effet de l’augmentation de l’inflation totale (hausse des prix du pétrole) qui devrait amputer le pouvoir d’achat. On devrait aussi assister à un certain essoufflement des investissements résidentiels surtout en cas de tour de vis monétaire de la Fed (ce n’est pas notre scénario de base) et à un léger rebond des investissements des entreprises. En 2017, la croissance devrait être, dans l’ensemble, plus ou moins conforme à celle enregistrée cette année. Plus globalement, l’économie américaine est proche du plein emploi mais la hausse des salaires reste assez modérée, limitant d’autant le taux de croissance des dépenses des ménages. La croissance des salaires est imputable à de très faibles gains de productivité, mais, quoi qu’il en soit, les coûts unitaires de la main- d’œuvre augmentent, obérant les bénéfices et, partant, les investissements. Dans un tel contexte, nous ne partageons pas le point de vue du consensus relatif à une accélération significative de la croissance l’année prochaine. L’inflation devrait grimper de 1,2 % à 2,1% mais le déflateur sous-jacent des dépenses de consommation, mesure préférée de la Fed, devrait pour l’essentiel rester stable (+1,6 %, cette année, +1,7 % l’année prochaine).
La zone euro a créé la surprise cette année et c’est plutôt une bonne surprise. Après un premier trimestre robuste, les indicateurs ressortant des enquêtes vont dans le sens d’un fléchissement de la croissance mais, pour l’année dans son ensemble, nous tablons sur une croissance de 1,5 % en 2016 et de 1,3 % en 2017 (consensus de Bloomberg : 1,5 % et 1,6 %). Le tassement de la croissance l’année prochaine, quoique toujours supérieure au potentiel, s’explique par plusieurs facteurs : l’impact lié à la hausse des prix du pétrole et, par conséquent, de l’inflation sur la consommation des ménages, une légère diminution de la croissance de l’investissement des entreprises, l’effet différé de l’appréciation de l’euro (en termes de taux de change effectif) et une politique budgétaire moins expansionniste. L’inflation totale devrait s’accélérer, passant de 0,0 % à 1,3 % suite à la hausse des prix du pétrole. L’inflation sous- jacente devrait rester stable (0,8 % cette année, 0,9 % l’année prochaine) : une compression significative de l’output gap prend du temps et le raffermissement de l’euro pèse également sur l’inflation.
Au Japon, nous prévoyons une croissance du PIB réel de 0,2 %, cette année et la suivante (consensus de Bloomberg : 0,5 % pour 2016 et 2017), sachant que la dépense publique est la composante de la demande dont la croissance est la plus rapide. C’est là le résultat des mesures de relance adoptées par le gouvernement, la politique monétaire ayant de moins en moins d’impact sur l’activité. Le véritable problème concernant le Japon est celui de l’offre : la croissance tendancielle du PIB est quasiment égale à zéro sur fond de contraction de la main-d’œuvre et de gains de productivité presque inexistants.
Pays émergents et pays en développement
C’est dans cette zone que les changements ont été les plus marqués depuis nos prévisions de février. Nous révisons à la hausse nos prévisions concernant la Chine de 6,4 % à 6,6 % en 2016 et de 6,1% à +6,3 % à l’horizon 2017 (consensus de Bloomberg : +6,5 % et +6,3 %). Nous révisons également à la hausse nos prévisions relatives à la Russie à -0,5 % (+1,3 %) et +2,0 % (+1,3 %). Pour le Brésil, nous sommes à -4,0 % en 2016 (niveau inchangé par rapport à nos précédentes prévisions) et à +2,0 % en 2017 (0,0 % auparavant).
L’amélioration de la situation en Chine tient aux mesures de relance budgétaire adoptées par le gouvernement même si l’accélération significative de la croissance de l’agrégat monétaire M1 n’y est pas étrangère. Cette accélération a en effet donné un coup de pouce au marché de l’immobilier et à l’activité de construction. Le rebond consécutif de la croissance devrait néanmoins être de courte durée ; eu égard aux problèmes structurels de l’économie chinoise (excédents de capacités, dette, qualité du crédit), nous prévoyons un nouveau ralentissement de la croissance l’année prochaine.
Le pire est passé en Russie, selon notre analyse. Les indicateurs avancés annoncent un redressement lié à la hausse des prix du pétrole. Le repli de l’inflation devrait soutenir la consommation privée et, ajouté au raffermissement du rouble, autoriser une détente monétaire qui aura un impact positif sur la croissance. Au Brésil, les perspectives politiques se sont améliorées avec l’arrivée du nouveau gouvernement. La chute de l’inflation consécutive à un output gap négatif colossal annonce d’importantes baisses des taux d’intérêt d’ici quelques mois avec pour conséquence, le retour à une croissance positive.
Les défis de 2017
2017 sera, semble-t-il, une année lourde de défis. Nos prévisions de croissance américaine sont bien inférieures à celles du consensus ainsi qu’à la projection médiane de la Réserve fédérale, soit une croissance du PIB réel de 2,1 %. Selon l’évolution des statistiques, les perspectives de politique monétaire pourraient changer du tout au tout. Avec une croissance molle, la Réserve fédérale maintiendra le statu quo. En revanche, si la croissance est plus conforme aux projections de la Fed ou aux prévisions du consensus, les craintes suscitées par un resserrement de la politique monétaire vont devenir un thème récurrent, pesant sur l’environnement de marché, au plan national et international, d’autant que les marchés financiers ont adopté une position très « dovish » concernant l’intégration dans les prix d’un relèvement des taux. Un environnement de marché plus volatil pourrait très bien avoir des effets négatifs sur l’économie réelle, en particulier sur les investissements des entreprises, en raison des incertitudes ainsi engendrées.
Un autre défi sera de jauger l'impact de la hausse de l'inflation affichée sur fond d'un effet de base lié à l'augmentation des prix du pétrole. Non seulement ceci pèsera sur le revenu réel disponible des ménages et, partant, sur les dépenses de consommation, mais devrait également avoir une incidence sur les anticipations d'inflation. Une question clé sera de savoir si cela aura une influence sur l'orientation de la politique monétaire. Lorsque les prix du pétrole baissaient, l'opinion qui prévalait était que les effets indirects sur l'inflation de base seraient limités. Ce même point de vue continuera- t-il de s'imposer maintenant que les prix du pétrole remontent ? Cette question revêt bien évidemment un enjeu particulièrement important pour la zone euro et la politique de la BCE.