par Hervé Juvin, président d’Eurogroup Institute
Le consultant Hervé Juvin a publié cette année “Produire le monde, pour une croissance écologique” (Editions Gallimard). Dans cet ouvrage passionnant, nourri notamment de ses nombreux déplacements à travers le monde, il montre que nous sommes arrivés à un point de rupture en matière écologique, tant nous avons sollicité la planète pour qu’elle nous donne toujours plus. Mais Hervé Juvin va plus loin que le simple constat. Il explique comment nous pouvons nous réconcilier en quelque sorte avec la nature tout en lançant une nouvelle révolution industrielle. Entretien.
– Dans votre livre, vous jugez que nous sommes arrivés à la fin d’un cycle en quelque sorte et vous appelez à une nouvelle révolution industrielle. Qu’est que cela recouvre exactement ?
Une révolution industrielle a trois aspects : technique avec des ruptures en matière de production et d’organisation, économique et comptable avec une nouvelle façon de mesurer et de compter, intellectuelle et morale enfin, avec un nouveau rapport au monde, au réel. Tous les systèmes jusqu’à présent partaient du principe que la nature produisait tout ce dont nous avions besoin – l’air, l’eau – sans limite. Nous n’avons jamais payé la rareté. Jean-Baptiste Say écrivait en 1818 que les biens de la nature étaient inépuisables. On voit bien que ce n’est pas le cas. On commence à prendre en compte cette situation à travers la montée des raretés, et c¹est la raison pour laquelle il doit y avoir une révolution industrielle.
– Concrètement, quelle forme peut prendre cette révolution industrielle ?
On voit déjà des évolutions s’engager. Prenons le cas du bonus/malus écologique. Nous avons là un impôt fondé sur la consommation différenciée. On est en train d’introduire un impôt punitif sur les comportements qui consomment les nouvelles ressources rares. Implicitement, c’est reconnaître que le prix de marché ne suffit pas à faire payer le vrai coût des biens naturels. Mais la tentation peut être de s’immiscer sans cesse davantage dans les choix et les comportements privés. On distingue à la fois de nouveaux champs à l’action publique, de nouvelles priorités collectives, et les précautions à prendre devant ce qui pourrait devenir système de surveillance généralisé.
– Dans votre livre, vous parlez aussi de nouvelle phase du capitalisme. Comment se traduit cette nouvelle phase ?
Nous y sommes déjà. Aux Etats-Unis, où se faire construire une maison autosuffisante en énergie devient un must, on voit bien que la nouvelle frontière aujourd’hui c’est le pétrole. On voit se multiplier les forages pour échapper à l¹emprise de l’OPEP et des fournisseurs du Golfe persique. Et les Etats-Unis sont dans leur tradition en faisant confiance à la technique et à l’innovation pour régler le problème. L’espèce humaine est prise en sandwich entre deux masses de chaleur qui sont peu exploitées : le centre de la terre, c’est-à-dire la géothermie, et le soleil. Il ne fait pas de doute que l¹on va trouver des solutions pour mieux utiliser ces énergies. Avec l’approche entrepreneuriale qui est la leur, les Américains progressent vite sur ces sujets.
– Entre la situation actuelle et la nouvelle phase du capitalisme, va-t-on vivre une phase de décroissance que d¹ailleurs certains appellent de leurs voeux ?
La décroissance est une notion que l’on ne peut pas utiliser à la légère. Voyez ce qui se passe quand on annonce seulement quelques mois de croissance zéro ! On peut le déplorer, mais c’est ainsi. Les pays ont besoin de croissance pour élever le niveau de vie de la population et pacifier les relations à l’intérieur de la société. La décroissance peut conduire à des tensions. Déjà, les nouvelles raretés de l’eau, du sol cultivable, de l’air, multiplient les foyers de tension. Donc, non à la décroissance. Mais nous avons besoin d¹un nouveau système comptable pour mesurer la croissance. Par exemple, dans certains pays africains, on se rend compte que ceux qui cultivent la terre pour se nourrir et nourrir leur famille ne sont pas pris en compte dans les statistiques économiques alors que les paysans déracinés qui vont grossir les villes et les bidonvilles sont obligés d’utiliser la monnaie, et donc entrent dans le calcul du Produit intérieur brut.
– Peut-il y avoir des conflits liés à ces évolutions ? On parle de conflit potentiel au Proche-Orient au sujet de l’eau. Y a t il d’autres situations explosives ?
La course à l’énergie est une source de conflit. De même, le réchauffement climatique, sans doute bénéfique de manière globale, va provoquer des déplacements massifs de populations avec ce que cela peut entraîner comme conflit. Je suis toujours frappé par l’agressivité que génère la densification démographique.
– Y a t il des raisons d’espérer ?
Je suis confiant mais je suis prudent sur la durée de cette transition. A court terme, il y aura des bouleversements violents. Nous avons à réussir ce qu’aucune génération n’a eu à faire ; produire le monde que la nature ne nous donne plus. Il faudra sans doute attendre une génération pour que nous trouvions les moyens d’un rapport apaisé avec la planète..
Propos recueillis par William Emmanuel