par Patrick Artus, directeur de la recherche et des études économiques de Natixis
Fondamentalement, la crise vient de l’usage de l’endettement pour accroître la capacité à dépenser des ménages. Bien sûr, l’exigence de rentabilité forte du capital, la confection liée d’actifs financiers complexes jouent un rôle, mais la cause sous-jacente de la crise est bien le désir d’accroître la demande des ménages.
Le besoin de progression de la consommation et des achats de logements est soutenu par les entreprises à la recherche de marchés ; mais il vient aussi des souhaits des consommateurs qui désirent acquérir les biens nouveaux mis sur le marché. Le problème est que, dans beaucoup de pays, les revenus (salaires) seuls ne permettent pas à la dépense des ménages d’avoir la progression souhaitée par les ménages eux-mêmes compte tenu de l’offre de nouveaux biens.
Une question importante pour le futur est donc celle du comportement des consommateurs : s’ils n’acceptent pas de restreindre leurs besoins de biens nouveaux et d’avoir un niveau réel de consommation, en faible hausse et si par ailleurs les gains de productivité et les délocalisations restent sur leurs tendances antérieures, un conflit impossible à résoudre entre les revenus et la demande de dépense des ménages va apparaître dans beaucoup de pays.
La demande des ménages, jusqu’à la crise progresse plus vite que le revenu réel des ménages ou la masse salariale réelle aux États-Unis, dans la zone euro, moins nettement au Royaume-Uni.
La crise est amplifiée par des comportements financiers :
- recherche de rendements élevés qui conduisent au levier d’endettement excessif, aux États-Unis aux rachats d’actifs ;
- construction d’actifs financiers complexes (ABS), avec divers objectifs : réduction de l’encours de crédit détenu par les banques, achats d’actifs à rendements élevés par les investisseurs, pertes d’actifs à marges élevées par les banques.
Mais la cause fondamentale de la crise est la nécessité de doper la demande des ménages par le crédit puisque les revenus sont insuffisants comme on l’a vu plus haut.
La technologie financière se branche ensuite sur la distribution de crédit aux ménages, soit pour le rendre possible (titrisation pour réduire le besoin de capital et la taille du bilan des banques), soit pour en tirer profit.
Mais le comportement essentiel à analyser est celui d’une demande de dépense des ménages incompatible avec leurs revenus.
Le « standard » de dépense des ménages
Avant la crise, la demande des ménages a été stimulée par :
- le souhait de devenir propriétaire de son logement ;
- les achats d’automobiles ;
- les achats des biens durables nouveaux (électronique, télécoms…) et les consommations associées.
La mise sur le marché par les producteurs de biens et service nouveaux dans ces domaines, a accru le « standard » de dépense des ménages, le niveau considéré comme normal.
On a bien vu :
- la progression jusqu’à la crise des mises en chantier (sauf en Allemagne) et de la proportion des ménages propriétaires de leur logement.
- la hausse, jusqu’à la crise à nouveau des ventes de voitures, sauf à nouveau en Allemagne ;
- la hausse de la consommation d’autres biens durable des ménages, électronique, équipement de la maison, télécoms…
Depuis 15 ans, les ménages ont donc mis en place un niveau désiré « standard » de consommation et de détention de logements nettement plus élevé que dans le passé.
La problématique pour le futur
Depuis les années 1990, la demande de détention de logements et de consommation n’a donc été satisfaite que grâce au recours à l’endettement, les revenus salariaux étant insuffisant pour cela.
Si aujourd’hui :
- il n’est plus possible d’accroître le taux d’endettement des ménages avec la fragilité financière révélée par les taux de défaut, le recul des prix des actifs, la hausse des primes de risque et des marges de taux d’intérêt.
-
les salaires réels vont probablement ralentir avec :
– la hausse du chômage ;
– le freinage de la productivité avec le moindre investissement ;
– une nouvelle vague de délocalisation vers les émergents avec les perspectives de croissance faible dans les grands pays de l’OCDE.
Alors la capacité d’achat de logements et de consommation (en particulier des biens durables liés au crédit) des ménages des grands pays de l’OCDE va être fortement réduite.
Synthèse : Un conflit inévitable entre la capacité et le désir de consommation ?
Le développement de l’offre de nouveaux biens et services a entraîné depuis les années 1990, une croissance de la demande des ménages plus rapide que celle de leurs revenus, ce qui n’a été possible que par la hausse de l’endettement, dans la plupart des pays (l’Allemagne étant une exception).
Aujourd’hui :
- les taux d’endettement ne peuvent plus augmenter ;
- la croissance des revenus réels va être faible.
Si le besoin de consommation continue à augmenter rapidement, il y a aura inévitablement conflit entre les souhaits de dépense des ménages et les possibilités de dépenses liées au revenu.
Il faut donc se demander si les consommateurs vont changer de comportement, et accepter une quasi stagnation de la consommation, une limitation des achats des biens et services nouveaux qui continuent à être mis sur le marché.
Cette évolution est souhaitée par certains (théorie de la décroissance…), mais ne semble pas correspondre à la volonté de la majorité des consommateurs qui continuent à demander une progression plus forte de leur pouvoir d’achat.