par Frédérique Cerisier, Economiste chez BNP Paribas
• Depuis 2013, la Commission européenne a un droit de regard sur les budgets des Etats de la zone euro au moment où ils sont présentés aux Parlements nationaux, et pas seulement après leur mise en œuvre.
• Les exécutifs mettent la dernière main aux plans budgétaires qu’ils devront soumettre à la Commission européenne avant le 15 octobre. Cette dernière rendra ses avis dans les semaines suivantes.
• Pour les Etats encore soumis à une procédure pour déficit excessif, la question est de savoir à quel point la Commission cherchera à maintenir la pression dans un contexte difficile.
• En France, c’est la pérennité des engagements pris aujourd’hui pour une année électorale qui pose problème. En Espagne, c’est l’absence de légitimité à agir du gouvernement de transition.
• Le contexte est différent pour les autres Etats membres. Encouragé en Allemagne, le relâchement budgétaire pourrait être toléré en Italie. En additionnant ces compromis, on peut sans doute compter sur une politique budgétaire faiblement expansionniste l’an prochain, peu différente, en moyenne, de l’orientation enregistrée en 2016.
La saison budgétaire européenne commence. Dans la plupart des capitales, les exécutifs mettent la dernière main à leurs projets de budget pour 2017. En effet, et d’ici le 15 octobre prochain, tous les Etats de la zone euro auront fait parvenir à Bruxelles leurs plans budgétaires pour l’an prochain, de même que leurs dernières estimations de ce que sera la situation de leurs finances publiques fin 2016. Dans les semaines suivantes, la Commission fera un point sur le respect des trajectoires budgétaires recommandées pour 2016, vérifiera si les projets 2017 s’appuient sur des perspectives de croissance crédibles, notamment à la lumière de ses propres prévisions d’automne1, s’ils sont conformes aux stratégies économique et budgétaire présentées au printemps dernier et s’ils tiennent compte des recommandations formulées par le Conseil européen en juin.
3%, une ligne de partage toujours incontournable
Quand bien même tout le monde s’accorde sur le fait qu’elle a peu de fondements, qu’elle est rigide face aux fluctuations économiques et qu’elle n’assure pas forcément la soutenabilité à long terme des finances publiques d’un Etat qui, par exemple, aurait une dette publique très élevée, la fameuse règle des 3% a survécu aux multiples réformes budgétaires européennes suite à la crise. Elle a même bien survécu puisqu’elle constitue encore à l’heure actuelle une ligne de partage incontournable entre Etats membres, ceux-ci étant soumis à des contraintes sensiblement différentes selon qu’ils se situent d’un côté ou de l’autre de cette frontière, indépendamment de toute autre considération.
Fin 2016, il ne reste plus que trois Etats membres de la zone euro encore soumis aux procédures pour déficit excessif ouvertes au début de la crise de 20082 : la France, l’Espagne et le Portugal. Dans ces économies, le redressement des comptes publics patine un peu. Il s’est révélé régulièrement plus lent que la Commission ne l’escomptait ces dernières années, ce qui l’a déjà amenée à étendre les échéances fixées à ces Etats membres pour résorber leurs déficits. Dans les mois à venir, la question va être de savoir à quel point la Commission européenne va essayer et parvenir à exercer une pression suffisamment forte sur ces Etats pour les conduire à poursuivre les ajustements budgétaires dans un contexte compliqué. Pour la Commission, l’enjeu est double : il s’agit d’une part de maintenir la pression sur ces Etats pour achever le processus de consolidation de tous les pays de la zone euro, et il s’agit également pour elle de réaffirmer qu’elle peut faire respecter les règles européennes de façon crédible.
La France, dont le budget 2017 a été présenté en détail dans nos colonnes la semaine dernière3, a déjà bénéficié deux fois d’un report d’échéance. Comme au printemps dernier lors de la mise à jour de son programme de stabilité et de croissance, le pays a confirmé son engagement de ramener le déficit « nettement » en deçà de 3% l’an prochain, à 2,7% après 3,3% en 2016. La Commission s’inquiétait déjà de la stratégie budgétaire d’ajustement prévue, qui s’appuierait de façon excessive sur «l'hypothèse d'une amélioration de la conjoncture et d'une persistance des taux bas », des leviers dont le pays n’a pas réellement la maîtrise, au détriment des mesures structurelles ayant des effets durables sur les finances publiques. Cet automne, la Commission va donc réexaminer ces éléments, dans un contexte marqué par la perspective des élections présidentielles de 2017, évidemment peu favorable à l’accentuation des efforts budgétaires.
Les cas de l’Espagne et du Portugal vont également être difficiles à gérer. Pour ces deux pays, la Commission a constaté un défaut de mise en œuvre des efforts de consolidation requis (« lack of effective action ») au printemps dernier. En théorie, ce constat aurait pu conduire, pour la première fois dans l’histoire européenne, à une amende pouvant aller jusqu’à 0,2% du PIB de chaque Etat. Mais, en juin, le Conseil européen a décidé, comme il en avait la possibilité, d’annuler ces amendes. La Commission demande désormais au Portugal de ramener le déficit public très en deçà de 3% en 2016, à 2,5%. Quant à l’Espagne, il lui est demandé d’assurer «une correction durable du déficit excessif en 2017 au plus tard, en ramenant le déficit public à 3,7 % du PIB en 2016 et à 2,5 % du PIB en 2017 ». Quels vont pouvoir être les effets de ces demandes ? Si la situation politique espagnole se débloque dans les prochaines semaines et que M. Rajoy se retrouve en situation de former un gouvernement, il ne sera sans doute pas en mesure de présenter un projet de budget satisfaisant à ces exigences de façon crédible d’ici le 15 octobre. Le gouvernement nouvellement formé obtiendrait un délai pour élaborer un budget et proposer des mesures correctrices, qui seraient certainement examinées avec soin par les services de la Commission. La politique budgétaire pourrait alors prendre un tour assez restrictif en 2017, surtout si la croissance reste bien orientée. En revanche, et dans le cas où le pays devrait se résoudre à retourner aux urnes pour la troisième fois en un an, l’impasse institutionnelle se poursuivra, le gouvernement intérimaire actuel n’ayant pas la légitimité nécessaire pour engager des ajustements d’ampleur.
Marges de manœuvre et flexibilité budgétaires
Le contexte est différent pour les autres Etats membres, surveillés au titre du « volet préventif » du Pacte de Stabilité et de Croissance. Pour ceux-ci, la position européenne est relativement claire : compte tenu de l’atonie de l’activité dans la zone euro, et du déficit de demande à l’échelle de l’ensemble de la zone, les pays qui bénéficient de marges de manœuvre en matière budgétaire ne devraient pas hésiter à les utiliser4. C’est typiquement le cas de l’Allemagne, dont le solde budgétaire restera vraisemblablement positif en 2016, pour la cinquième année consécutive. De fait, à l’approche des élections générales de l’automne 2017, et face au coût de l’accueil des réfugiés, le ministre des finances, Wolfgang Schauble a déjà annoncé que le budget fédéral pour 2017 affichera un certain nombre de priorités. Il envisage donc d’accroître le soutien à l’investissement public et de procéder à certaines baisses d’impôts l’an prochain, sans toutefois remettre en cause le principe d’équilibre budgétaire ni l’effort de désendettement, qui vise à faire repasser le ratio de dette publique en deçà de 60% du PIB d’ici 2020.
Encouragé par la Commission en Allemagne, le relâchement budgétaire devrait être toléré en Italie. Tout comme le gouvernement français, Matteo Renzi a présenté cette semaine à ses concitoyens les premiers éléments du budget de 2017. Il va demander aux autorités européennes à bénéficier à nouveau en 2017 des mesures de flexibilité5 qui lui avaient permis de pratiquer une politique expansionniste cette année, malgré une dette publique très élevée et encore en légère hausse (132,8% attendu en 2016). Si la dérogation est accordée, le déficit budgétaire italien pourrait se stabiliser, à 2,4% en 2016 comme en 2017.
Une politique à petit pas
Face à des perspectives économiques moroses et à la montée des courants eurosceptiques, alors que les incertitudes sur la capacité de la BCE à faire plus se renforcent, et consciente des enjeux électoraux dans plusieurs Etats membres, la Commission va devoir faire preuve de doigté et agir avec prudence. De fait, Jean-Claude Juncker, qui par ailleurs vient de proposer d’étendre dans le temps et de doubler les capacités du Plan Européen d’Investissement, ne cache pas qu’il prend très au sérieux l’idée d’une « flexibilité » des règles budgétaires européennes.
Au final, la politique budgétaire européenne est dans chaque pays une politique de petits pas, quelle que soit l’orientation qu’on lui donne. Surtout, elle reste le résultat de l’action de plusieurs pays qui, certes, suivent (plus ou moins bien) les mêmes règles, mais ne coordonnent pas leurs actions en internalisant les conséquences de leurs politiques sur le reste de la zone. En additionnant ces compromis, on peut sans doute compter sur une politique budgétaire faiblement expansionniste l’an prochain, peut-être un peu moins favorable mais peu différente, en moyenne, de l’orientation enregistrée en 2016. Mais cela va-t-il suffire ? Six ans après le début d’un grand mouvement de consolidation, la politique budgétaire n’est plus un frein à l’activité dans la zone euro, mais elle reste une contrainte et n’a pas retrouvé son statut d’outil de politique économique.
NOTES
- Attendues au cours du mois de novembre.
- Sans compter la Grèce qui fait l’objet d’un suivi spécifique au titre de son programme d’ajustement.
- « France : un budget sous contrainte », H. Baudchon, Ecoweek du 30/09/2016.
- Selon les procédures budgétaires européennes, chaque Etat membre s’assigne un objectif de solde budgétaire à moyen terme (OMT), généralement proche de l’équilibre, vers lequel il doit converger. Les Etats « disposant de marges de manœuvre » sont ceux ayant déjà mis en œuvre cette convergence et dont le solde budgétaire est proche de l’OMT.
- « Zone euro : Plus de souplesse budgétaire, pour plus de réformes et d’investissements », Ecoweek, 16/01/2015.