par Thomas Page-Lecuyer, Stratégiste chez CPR AM
En l’espace de deux semaines, le baril de Brent a progressé de 15%, mais non sans avoir reculé, puis rebondi entre temps. Finalement, nous sommes désormais habitués à voir l’or noir chauffer suite à une annonce importante, puis redégonfler dans la foulée devant le doute sur la véracité de cette information ou sur la pérennité de la dite annonce.
Tout a commencé mercredi 28 septembre quand, en marge du Forum International de l’Energie à Alger, les pays de l’OPEP ont annoncé un accord au sujet du gel de leur production. Les investisseurs ont été surpris et ont donc salué l’annonce. Grande surprise en effet au regard des discours du ministre iranien du pétrole quelques jours auparavant au cours desquels il rappelait l’ambition iranienne d’atteindre une production de 4 millions de barils par jour (contre 3,64 pour le moment) avant de la geler. D’autre part, l’ensemble des protagonistes de cette affaire ont annoncé avoir besoin de temps pour de plus amples consultations, et qu'un accord pourrait éventuellement être trouvé lors de la réunion de l'OPEP à Vienne le 30 novembre. Quoiqu’il en soit, le gel a pris de l’avance, et surpris les marchés.
Toutefois, il ne faut trop vite crier victoire, et encore moins lorsqu’il s’agit de l’OPEP. Il n’a fallu que quelques heures aux investisseurs pour redescendre sur terre et voir le baril reculer, sans avoir grandement approché le seuil psychologique des 50$. En effet, il convient de rester prudent sur les modalités de gel et sur le respect de l’accord, sachant qu’il faudra attendre le sommet du 30 novembre pour en savoir plus. D’autre part, en marge de cette annonce, aucune nouvelle de la Russie qui a, pour mémoire, augmenté substantiellement sa production pour atteindre plus de 10% de la production mondiale en septembre à 11 millions de barils par jour.
Alors, à quoi s’attendre ? Faut-il vraiment croire à une progression pérenne du prix baril de pétrole ?
Les menaces et désillusions ne sont pas à ignorer en effet, d’ailleurs la volatilité du baril est là pour en attester. Nombreux sont les facteurs baissiers sur ce marché, mais il faut aussi souligner la possibilité de progression du prix, au-delà du seuil des 50$.
En Russie, les autorités ont rouvert d’anciens puits datant de l’ère soviétique et presqu’obsolètes, leur efficacité est mise en doute à moyen terme, au point qu’ils devraient arrêter de produire dans les prochains mois. Dans ces conditions, a fortiori, il y avait peu de doute quant à l’alignement russe sur le point du gel. C’est donc sans surprise que le rallye du baril a trouvé un second souffle suite à au discours de V. Poutine à Istanbul lundi au cours duquel le chef du gouvernement russe a affirmé être prêt à se joindre aux mesures destinées à réduire la production de pétrole pour doper les cours.
Quant aux risques d’un échec de l’accord dans deux mois à cause du souhait de l’Iran d’atteindre les 4 millions de barils par jour, il demeure faible car le pays en produit déjà 3,64, un rythme soutenu au regard de ses infrastructures, infrastructures qui ne permettent d’ailleurs probablement pas d’accélérer la production à l’heure actuelle. C’est un accord gagnant gagnant, qui devrait soutenir le baril à court terme, qu’il s’agisse du facteur russe ou du facteur iranien. Donc, d’ici début décembre, entre les annonces « officielles » russes (de gel ou de réduction) et la confirmation de l’accord, le prix du baril de pétrole devrait continuer de progresser pendant quelques temps.
Mais, à plus long terme, l’équation est bien différente. Rappelons que la baisse de production serait de l’ordre de 200 000 à 700 000 barils par jour alors même que l’augmentation de production depuis de le début de l’année atteint 930 000 barils par jour…quoiqu’il en soit, à ce rythme, l’offre demeurera excédentaire jusqu’à fin 2017, au moins. De plus, gardons en mémoire que la discipline n’a jamais été la qualité première des pays producteurs de pétrole, rien ne garantit le respect des quotas de production, et d’éventuels écarts pourraient repousser d’autant la date d’équilibre entre offre et demande.
D’autre part, si le baril montait durablement au-dessus de 50$, la reprise des forages nord-américains notamment ferait pression et l’excès d’offre pèserait une nouvelle fois sur le prix. D’ailleurs la pression est déjà présente, il faut noter la récente augmentation du nombre de puits exploités aux Etats-Unis depuis mai dernier, depuis que le baril flirte avec es 50$. De près de 1600 en octobre 2014, ils ont chuté à un peu plus de 300 suite à la dégringolade du prix du baril. Mais depuis quatre mois maintenant, les puits rouvrent, plus d’une centaine ont été relancés.
Pour mémoire, selon le rapport de septembre de l'Agence Internationale de l'Energie, la croissance de la demande mondiale de pétrole pour 2016 est revue en baisse à cause de la moindre demande chinoise et indienne, par rapport aux anticipations. La consommation mondiale d'or noir devrait donc croître de 1,3 mbj à 96,1 mbj cette année, contre une précédente estimation de 1,4 mbj. De plus, pour 2017, la demande ralentirait encore puisqu’elle ne serait en hausse que de 1,2 mbj à 97,3 mbj. A ce rythme, la date du rééquilibrage du marché risque de s’éloigner et de décevoir encore les investisseurs. Le déclin risque d’être aussi douloureux que le rebond fut surprenant. En bref, d’ici la fin de l’année, attention, beaucoup de volatilité en vue pour le baril et les valeurs qui lui sont liées.