par Alexandre Bourgeois, économiste chez Natixis
L’époque où la fixation du taux refi était l’unique temps fort des réunions de politique monétaire de la BCE est désormais révolue. Il faut dire que, depuis le déclenchement de la crise durant l’été 2007 et, surtout, depuis la faillite de Lehman Brothers en septembre dernier, nous sommes entrés dans l’ère des politiques monétaires non-conventionnelles1.
Dans ce domaine, la BCE a souvent réussi à tirer son épingle du jeu. Même si les traités européens l’empêchent, à l’instar de la Réserve fédérale américaine ou de la Banque d’Angleterre (BoE), d’acheter des titres publics et même si la structure de financement de l’économie européenne rend difficile et peu pertinent l’achat direct de dette privée sur le marché, la BCE possède d’autres cordes à son arc. Elle l’a encore prouvée lors de la réunion du Conseil des Gouverneurs du 7 mai dernier. Trois grandes décisions ont été annoncées à cette occasion :
- Baisse du principal taux de refinancement de 25 pbs à 1,00 % (plancher historique), avec maintien d’un corridor symétrique autour du taux refi via la baisse de 50 pbs du taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal (à 1,75 %) et le statu quo du taux d’intérêt de la facilité de dépôt à 0,25 % ;
- Extension de la maturité des opérations de refinancement à long terme (ORLT) jusqu’à douze mois (contre six mois actuellement et trois mois avant la crise), tout en maintenant la procédure d’appels d’offre à taux fixe avec la totalité des soumissions servie. Le taux de la première opération sera annoncé le 23 juin et sera identique à celui du taux refi (cela pourra évoluer à l’avenir) ;
- Achat de Covered Bonds2 européens pour un montant d’environ 60 milliards d’euros (soit environ 5 % du marché).
Les modalités opératoires seront annoncées lors du prochain Conseil des Gouverneurs (4 juin). Cette réunion de politique monétaire est importante à plus d’un titre. En effet, elle confirme qu’à moins d’une nouvelle dégradation de la conjoncture ou la mise en place d’une spirale déflationniste (ce qui semble peu probable à l’heure actuelle), la BCE ne s’alignera pas sur les autres principales banques centrales qui ont toutes fixé leurs taux directeurs à des niveaux proches de zéro. Après avoir baissé ses taux sept fois au cours des huit derniers mois (- 325 pbs au total), l’Institution monétaire devrait désormais adopter un long statu quo (jusqu’en fin d’année prochaine ?). Ensuite, la BCE confirme implicitement ce que l’on annonce depuis plusieurs mois : le problème principal des banques européennes n’est actuellement ni le refinancement à court terme (les taux d’intérêt sont à des planchers historiques, la BCE sert toutes les demandes et la liste des collatéraux3 a été significativement élargie), ni le coût des fonds propres (en majorité, les banques européennes remplissent les critères prudentiels en la matière), mais bien le financement à long terme. En élargissant la maturité des opérations de refinancement et en annonçant l’achat direct de Covered Bonds (ce qui fera baisser leurs taux), la BCE permet ainsi de réduire sensiblement le coût des ressources de long terme des banques4.
Sachant qu’à la différence des économies anglo-saxonnes, l’économie de la zone euro est fortement intermédiée (les crédits bancaires représentent 145 % du PIB, contre 63 % aux Etats-Unis par exemple), ces décisions vont donc très clairement dans le bon sens.
Certes, il serait illusoire de penser que ces dernières vont suffire pour relancer le marché du crédit en Europe. En effet, le très net ralentissement des prêts au secteur privé en zone euro (+ 3,4 % sur un an, un plancher) a pour origine principale la volonté manifeste de désendettement des acteurs privés dans un contexte de retournement des marchés immobiliers et de volonté manifeste des entreprises de réduire fortement leur effort d’investissement. Toutefois, à l’heure où l’activité de banque de détail va devenir plus risquée du fait de la remontée du chômage et de la hausse du nombre de faillites d’entreprises, la baisse du coût de refinancement à long terme des banques permettra d’éviter la survenue d’un credit crunch et facilitera la poursuite d’une transmission de la baisse des taux de marché aux taux d’intérêt payés par les ménages et les entreprises.
NOTES
(1) Cf. Trésor-Eco n°56 : « Politiques monétaires non-conventionnelles : un bilan », Ministère de l’Economie, avril 2009.
(2) Les Covered bonds (ou obligations sécurisées) sont des obligations couvertes par des crédits hypothécaires ou des créances du secteur public (ce qui sécurise l'obligation si son émetteur devient insolvable). Ils sont similaires sur plusieurs points aux actifs titrisés de type ABS, mais les crédits/créances restent inscrits dans le bilan de la société émettrice, qui, en France, est obligatoirement un établissement de crédit. Cf. Special Report n°146, « Que penser des achats de covered bonds par la BCE ? », 11 mai 2009.
(3) Pour se refinancer auprès des banques centrales, les banques doivent remettre des garanties (habituellement des titres d’Etat ou des créances de très grande qualité). En élargissant la gamme des collatéraux acceptés, la BCE permet aux banques, qui ont vu la qualité de leurs actifs se dégrader avec la crise, de continuer à participer aux opérations de refinancement.
(4) Cf. Eco Hebdo n°19, « Quid de l’évolution des marchés : le coût des ressources des banques de la zone euro, avant et après la crise. », 7 mai 2009.