par Alexandra Estiot, Economiste chez BNP Paribas
• Ces derniers trimestres, l’économie japonaise donne des signes d’accélération, soutenue par la demande intérieure. Les performances, au regard du potentiel, sont impressionnantes.
• La Banque du Japon a fait un nouveau pas dans « l’irresponsabilité » chère à Paul Krugman en s’engageant à dépasser durablement et significativement son objectif d’inflation de 2%.
• Pour certains, les Abenomics s’essouffleraient. Les moyens mis en œuvre auraient été déséquilibrés : pas assez de poids pour les réformes structurelles, et trop pour la politique monétaire.
• Les marges de manœuvre s’amenuiseraient aussi selon eux. Notamment, l’ampleur de la dette publique limiterait l’efficacité et l’opportunité d’utiliser l’arme budgétaire.
• Le poids de la dette japonaise est à relativiser, alors que la politique extra-accommodante de la BoJ assure des conditions de financement souples dans la durée.
• Il est de fait trop tôt pour juger de l’échec ou de la réussite des Abenomics, alors que les munitions à disposition des autorités sont loin d’être épuisées.
Accélération de la croissance…
Depuis 2013 l’ambition des Abenomics, un mix de politiques budgétaire, monétaire et structurelle, est de sortir le Japon de la spirale déflationniste, via un choc de croissance. L’équilibre entre les trois flèches – politique budgétaire, politique monétaire et réformes structurelles – est souvent critiqué, tout comme l’efficacité de la stratégie. Le dernier effort de la Banque du Japon n’y a pas échappé. Le 21 septembre, la banque centrale japonaise annonçait une nouvelle phase dans sa politique d’assouplissement : l’introduction d’un contrôle de la courbe des taux avec, notamment, un objectif sur le rendement des taux à 10 ans et, surtout, l’engagement de dépasser durablement son objectif d’inflation de 2%, en augmentant la base monétaire autant et aussi longtemps que nécessaire.
Pourtant, l’économie japonaise donne des signes d’accélération. Au cours des trois premiers trimestres de 2016, l’activité a progressé à un rythme moyen de 0,4% par trimestre (1,7% en termes annualisés). La répartition des moteurs, entre demande intérieure finale et contribution du commerce extérieur, pointe vers le dynamisme des dépenses des ménages. Depuis la mise en place des Abenomics, c’était plutôt les échanges extérieurs qui avaient tiré l’activité, sous l’impulsion d’une dépréciation de plus de 30% du yen (en termes effectifs réels). Depuis la mi-2015, le yen a rebondi (la dépréciation cumulée depuis fin 2012 n’est plus que de 18%), et le commerce extérieur a perdu un moteur. Mais l’impulsion budgétaire et le dynamisme de l’emploi ont permis aux ménages de prendre le relais.
…sur fond de défis structurels
Les performances de croissance récentes sont à saluer, tant les freins structurels sont nombreux au Japon. La société japonaise vieillit rapidement, et malgré la hausse du taux d’activité des 15-64 ans, la proportion croissante des plus âgés conduit à un recul de la population active. Parallèlement, le Japon a souffert de décennies de sous-investissement : rapportée au PIB potentiel, la formation de capital fixe a reculé de plus de 14 points entre 1990 et 2010, et le capital productif stagne depuis 2009. En plus de ces maux spécifiques, le Japon souffre, comme les autres pays avancés depuis la crise économique et financière de 2007-2009, d’un essoufflement des gains de productivité. Au final, le taux de croissance potentiel de l’économie japonaise est presque nul.
Une dette colossale à relativiser
Les données les plus récentes du FMI laissent apparaître une dette publique s’élevant à 248% du PIB. Nette des actifs, la dette est plus limitée, tout en restant importante, à 125% du PIB. Mais il s’agit de ne pas trop s’attacher à ces mesures. D’une part, la dette est détenue localement (seuls 10% des JGB sont détenus par des non- résidents), et le passif des uns est aussi l’actif des autres : entre 1980 et 2014, le passif net des administrations publiques a gagné 130 points de PIB et les actifs financiers nets des ménages japonais ont progressé de 125 points de PIB. De fait, la question de la dette publique japonaise n’est pas tant un problème de solvabilité qu’un enjeu de redistribution. Le Japon reste en position de créditeur net, mais, surtout, il ne faut pas oublier que 35% des titres de dette publique sont aujourd’hui détenus par la BoJ, proportion qui ne cessera d’augmenter dans les prochaines années, les achats nets de la BoJ dépassant les besoins de financement de l’Etat. Il faut noter également la relative stabilité, dans les dépenses, du service de la dette (4,7% du PIB). Le nouvel objectif de la BoJ assure par ailleurs au gouvernement la possibilité de continuer de s’endetter à taux réduits.
La maturité moyenne de la dette japonaise est aujourd’hui d’un peu plus de huit ans, et le rendement des titres portant une telle échéance de -0,19%. En l’absence de modification de la politique de gestion de la dette, le gouvernement japonais s’endetterait à un taux inférieur au taux de croissance potentiel nominal, différentiel qui ne ferait que s’élargir à mesure que la BoJ parviendrait à respecter son objectif d’inflation. De fait, le taux apparent de la dette, aujourd’hui de 0,95%, serait encore réduit et, en cela, la soutenabilité de la dette améliorée.
La BoJ, activiste à raison
Une bonne part de la réussite des Abenomics dépend alors de l’efficacité de la politique de la BoJ, et plutôt que de conclure que l’arme monétaire a été disproportionnellement utilisée, on en vient à mieux comprendre l’activisme de la banque centrale japonaise. Aujourd’hui, c’est sa capacité à relever les anticipations d’inflation qui est cruciale, enjeu que l’institution souligne elle-même. La crédibilité des nouvelles mesures est un élément essentiel, notamment en ce qu’elles ont pour objectif assumé de dépasser, durablement et significativement, l’objectif d’inflation de 2%.
Ici, certains auraient préféré l’annonce d’un nouvel objectif, de 4% par exemple, synonyme d’une hausse irréversible de la masse monétaire. La BoJ a choisi, au moins pour l’instant, de ne pas être aussi spécifique. Sans certitude, on peut imaginer que la BoJ avait en tête la question de sa crédibilité, qui pourrait être durablement atteinte si elle ne parvenait pas à atteindre un objectif trop ambitieux dont la réalisation dépend aussi de facteurs exogènes, comme le prix de l’énergie ou la valeur externe du yen. Il sera toujours temps de spécifier un nouvel objectif plus tard si cela s’avère nécessaire.
Tout aussi bienvenu, si ce n’est plus, est le nouveau recul de la date de la prochaine augmentation de la taxe sur la consommation, initialement prévue en avril 2017 et repoussée à la fin de 2019. On pourrait même encourager à davantage d’« irresponsabilité » fiscale, en conditionnant cette augmentation au respect par la BoJ de sa cible d’inflation et en abandonnant l’objectif – qui apparaît de plus en plus impossible à atteindre – d’un excédent primaire à horizon 2020. Il suffirait d’admettre que le problème de la dette n’en est pas un, ou au moins, que sa résolution passe avant tout par la sortie de la spirale déflationniste.