par Raymond Van der Putten, Economiste chez BNP Paribas
• Les émissions de CO2 se sont stabilisées en 2015. Cependant, beaucoup reste à faire pour maintenir le cap d’une économie sobre en carbone au niveau mondial.
• L’accord de Paris sur le climat, adopté en décembre 2015 à la COP21, est entré en vigueur le 4 novembre dernier.
• L’accélération de la mise en œuvre de l’accord de Paris constitue une avancée majeure de la COP22 à Marrakech.
• La présidence de Donald Trump pourrait ralentir la transition, sans pour autant faire dérailler le processus.
Au cours de la dernière décennie, des progrès notables ont été accomplis en matière de réduction des émissions de CO2. En 2015, les émissions de CO2 liées à l’énergie se sont stabilisées à 32,1 gigatonnes (Gt) pour la deuxième année consécutive, et ce, malgré une croissance du PIB mondial d’environ 3 %. Ce constat apporte une nouvelle preuve de l’affaiblissement de la relation entre les rejets carbonés et le rythme de croissance économique.
Cette évolution s’explique par trois grandes tendances. Tout d’abord, une amélioration de l’efficacité énergétique, les ménages comme les entreprises ayant été sensibilisés aux économies d’énergie liées à l’isolation et à d’autres innovations en la matière. Ensuite, le mix énergétique présente désormais une moindre intensité en carbone ; c’est notamment le cas de la production d’électricité. A cela s’ajoute le rôle de plus en plus grand des énergies vertes. En 2015, les investissements dans les « renouvelables », en dehors des grands barrages hydroélectriques, ont augmenté de 5 % à USD 285,9 mds, dépassant le précédent record de USD 278,5 mds, établi en 2011. Plus remarquable encore, l’importance de la capacité électrique ajoutée (134 gigawatts), principalement dans l’éolien et le solaire photovoltaïque.
Ces énergies renouvelables ont représenté 53,6 % de la capacité installée en termes de gigawatts en 2015. Pour la première fois, les investissements en renouvelables ont constitué la majeure partie de la capacité électrique totale nouvellement installée. La part des renouvelables reste néanmoins modeste à 16,2 % à peine de la capacité totale installée. De plus, elle n’a représenté que 10,3% de la production totale d’électricité, contribuant à une réduction des émissions de 1,5 Gt équivalent CO2. Par ailleurs, le recours aux techniques de fracturation hydraulique et de forage horizontal, en particulier aux Etats-Unis, a fait grimper la production de pétrole et de gaz naturel dans ce pays. La révolution due au gaz de schiste est en grande partie à l’origine du recul du charbon dans la production d’énergie outre-Atlantique.
Enfin, troisième tendance de fond, la structure industrielle a évolué, notamment dans les pays développés. Les services occupent désormais une place plus importante au détriment de l’industrie manufacturière plus énergivore. Les approvisionnements totaux en énergie primaire (ATEP) par unité de PIB étaient en repli de 15 % au niveau mondial, en 2014 par rapport à 2004, et de 20% en Europe.
Malgré les progrès réalisés au cours des dernières années, beaucoup reste à faire. Selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE), la demande mondiale en énergie devrait croître de 30 % d’ici à 2040 ; la baisse de la consommation d’énergie dans les économies avancées devrait en effet être largement compensée par un accroissement de celle des pays en développement. A noter que des centaines de millions de personnes n’ont toujours pas accès, dans ce scénario, aux services énergétiques de base. Les rejets carbonés restant étroitement liés à la consommation d’énergie, le réchauffement de la planète risque d’excéder l’objectif de 2°C au- dessus des niveaux préindustriels, adopté dans l’accord de Paris.
Avant la tenue de la Conférence de Paris sur le climat (COP21), chaque Etat a remis un plan de réduction de ses émissions de carbone (NDC). Or, le total de ces engagements ne suffira pas à ralentir les rejets carbonés et contenir ainsi le réchauffement sous le seuil de 2°C. Pour avoir 50 % de chances d’atteindre cet objectif, il faut limiter la concentration de gaz à effet de serre (GES) dans l’atmosphère à 450 ppm, ce qui implique, d’ici à 2050, des émissions de GES inférieures de 40 à 70 % aux niveaux de 2010 et proches de ou inférieures à zéro vers la fin du siècle. Autrement dit, le niveau des NDC devra être revu à la hausse.
COP22 : des progrès timides
L’accord de Paris conclu lors de la COP21 en décembre 2015 est officiellement entré en vigueur le 4 novembre 2016, plus de 55 Etats représentant au moins 55 % des émissions totales de gaz à effet de serre l’ayant ratifié. La COP22, qui s’est déroulée du 7 au 17 novembre à Marrakech, s’ouvrait donc sous de bons auspices. Aujourd’hui, 120 pays ont ratifié cet accord.
Le principal objectif de la COP22 était de préciser les conditions de mise en œuvre de l’accord de Paris. Ce dernier s’est en effet contenté de fournir un cadre d’actions à engager pour limiter le réchauffement de la planète à 1,5-2°C. La prochaine étape consiste à établir de nouveaux mécanismes et procédures pour atteindre cet objectif ; c’est ce que l’on appelle communément les « règles de l’accord de Paris ». Ces règles concernent notamment les modalités de communication par les pays des mesures d’adaptation adoptées, le financement climat, le transfert de technologies et le renforcement des capacités humaines et institutionnelles. Pour le moment, la qualité très inégale des informations incluses dans les NDC ne permet pas d’évaluer avec précision les efforts individuels et collectifs. De plus, comme leur contenu n’est pas assez ambitieux, un mécanisme doit être mis en place pour relever le niveau des efforts devant être consentis par les Etats. Lors du sommet de Marrakech, le calendrier de mise en place de cette boîte à outils a été avancé à 2018 au lieu de 2020, comme cela avait été précédemment décidé à Paris.
La COP22, accueillie sur le continent africain, était censée clarifier les mécanismes de mobilisation des financements climat destinés à aider les pays en développement à prendre les mesures d’adaptation nécessaires. Les pays développés se sont montrés confiants dans la réalisation de l’objectif de USD 100 mds. Selon une analyse de l’OCDE, les promesses faites en 2015 porteront la part publique de ces flux de USD 41 mds, en moyenne, sur les années 2013-2014, à USD 67 mds en 2020. Une mobilisation efficace des financements privés devrait permettre de couvrir la différence. Or ces chiffres sont contestés par les pays en développement selon lesquels seuls doivent être pris en compte les transferts financiers spécifiquement alloués à l’action climatique. Sur cette base, Oxfam estime qu’en 2013-2014, l’assistance nette spécifique au climat n’a pas dépassé USD 11-21 mds en moyenne.
De plus, seulement 18 % de ces transferts vont aux pays les moins développés. En fin de compte, les pays développés se sont contentés de réaffirmer leur objectif de mobilisation de USD 100 mds sans autre précision.
2017 : une année cruciale
L’élection de Donald Trump, 45ème président des Etats-Unis, a fait planer une ombre sur les délibérations de la COP22. Pendant sa campagne, M. Trump s’est affiché en climato-sceptique convaincu, promettant de déréglementer et de dynamiser le secteur des énergies fossiles. Il a même menacé de se retirer de l’accord de Paris.
Un retrait de l’accord de Paris semble peu probable dans l’immédiat. L’accord prévoit, en effet, la possibilité pour un Etat de se retirer mais seulement au bout de quatre ans. La seule manière de quitter l’accord avec effet immédiat serait de dénoncer la Convention-cadre des Nations unies sur le changement climatique (CCNUCC), une décision plutôt radicale. La principale menace pour l’accord serait que l’administration Trump ignore les promesses des Etats-Unis faites en 2015. Il suffirait, en effet, que d’autres grandes puissances suivent l’exemple américain pour défaire l’accord de Paris.
Il y a néanmoins des raisons d’être optimiste tant l’engagement en faveur du climat reste fort au niveau mondial. Même en l’absence de réglementation, les entreprises ont déjà anticipé l’évolution de la législation, en intégrant par exemple le prix du carbone dans leurs décisions d’investissement.
Une telle démarche s’explique par les pressions de plus en plus fortes exercées par le secteur financier sur l’industrie pour réduire les émissions de GES. Les investisseurs exigent de plus en plus des informations relatives aux impacts sur le climat pour mieux évaluer leur exposition à ce type de risque. Pour réduire le risque d’actifs « échoués » (stranded assets), ils peuvent s’engager aux côtés des entreprises du secteur des énergies fossiles ou céder la totalité de leur portefeuille dans ce secteur. Les investisseurs institutionnels sont aussi de plus en plus amenés, sous la pression d’un large éventaiI de parties prenantes, à se préoccuper des questions environnementales. Outre une bonne retraite, les adhérents des fonds de pension mettent ainsi en avant la nécessité d’intégrer les problématiques environnementales, sociales et de gouvernance dans les processus d’investissement de leurs fonds. A cela s’ajoute le poids de certains médias et groupes d’action qui tentent d’influencer les décisions des investisseurs institutionnels, renforçant les risques de réputation associés à la gestion des problèmes climatiques.
Autre signe positif, les énergies renouvelables sont de plus en plus compétitives par rapport aux capacités électriques générées par le charbon et le gaz naturel, les coûts d’installation étant orientés à la baisse en particulier dans le solaire photovoltaïque. Aux Etats-Unis, les énergies vertes continuent de bénéficier d’aides au niveau des Etats comme au niveau fédéral. Les principaux crédits d’impôts fédéraux pour l’éolien et le solaire ont été renouvelés il y a à peine douze mois, avec l’appui non négligeable des républicains. Les crédits d’impôt resteront donc en place jusqu’en 2020, qui marquera le début de la phase d’élimination progressive de ces aides. Il se pourrait vraisemblablement que des projets d’investissement soient avancés dans la perspective de l’expiration de ces crédits d’impôts. Enfin, les promesses de relance de l’industrie charbonnière, faites par Donald Trump, risquent fort de rester vaines ; le charbon va, en effet, céder de plus en plus la place au gaz, désormais meilleur marché.
L’année 2017 sera décisive pour l’action internationale visant à réduire les émissions de dioxyde de carbone. De fait, les pays signataires de l’accord de Paris devront commencer cette année à mettre en œuvre leurs engagements. La COP23, organisée par les îles Fidji à Bonn, début novembre, constituera la dernière rencontre avant l’étape cruciale de la COP24. Compte tenu de la tiédeur de l’administration Trump sur les questions environnementales, il pourrait être plus difficile encore de parvenir à un accord au plan international sur de nouvelles réductions des émissions de GES.