Y a-t-il un lien entre flux touristiques et taux de change ?

par Jean-Louis Martin, Economiste au Crédit Agricole

Les touristes prennent en compte les taux de change et l'évolution relative du coût de la vie (mesuré par le taux de change effectif réel1, TCER) dans leurs décisions sur les lieux de destination. Mais pas tout à fait comme on pourrait s'y attendre :

Les « recettes » touristiques (au sens de la balance des paiements) de la plupart des pays sont très peu sensibles à l'évolution du TCER. Il n'y a que peu d'exceptions (le Mexique). L'arbitrage entre deux pays étrangers serait donc peu affecté par l'évolu- tion des prix relatifs dans ces deux pays.

Les « dépenses » (faites à l'étranger par les résidents du pays considéré) sont nettement plus impactées par l'évolution du TCER de leur propre pays : elles augmentent quand il s'apprécie. Il y a donc arbitrage entre vacances dans le pays d'origine et vacances à l'étranger. La corrélation entre TCER et dépenses est très forte dans certains pays émergents dont les taux de change ont beaucoup fluctué (Brésil, Afrique du Sud…).

Le TCER de l'euro ne semble avoir aucun effet sur les décisions de voyage des touristes locaux ou étrangers à la zone euro.

Ainsi, si David Ricardo préparait ses vacances de l'été prochain, il pourrait renoncer à son voyage au Portugal. En effet, l'«avantage comparatif» de celui-ci s'est effrité avec la dépréciation de la livre par rapport à l'euro depuis juin 2016. Pour autant, il ne se déciderait pas à l'Afrique du Sud, malgré l'affaiblissement continu du rand. En fait, il préfèrerait sans doute rester s'ennuyer à Bath, pour relire La Richesse des Nations.

Peu d'effet du change sur les recettes touristiques

Il n'y a que peu de cas où la dépréciation du taux de change semble avoir un effet positif sur les entrées touristiques. Les exceptions les plus notables sont le Mexique (coefficient de corrélation: -0,78; voir graphique), un peu le Japon et la Corée et, de manière beaucoup moins nette, les Etats-Unis. Mais même dans ces cas, il n'est pas certain que le taux de change soit la variable décisive. Ainsi, au Mexique, la perception (aux Etats-Unis) d'un niveau de violence moindre depuis 2012 que pendant le sexennat précédent a sans doute eu un impact plus fort que la dépréciation du peso. Au Japon et en Corée, la hausse spectaculaire du nombre de touristes chinois (et du TCER du yuan chinois) a sans doute plus joué que l'évolution du yen et du won.

On a même un cas étonnant, celui du Royaume- Uni, où depuis 2006 il y a une nette corrélation positive entre le TCER et les recettes touristiques : plus le coût relatif de la vie après prise en compte du change y monte (entre 2009 et 2015), plus les touristes s'y précipitent. Et à l'inverse, ils y vont moins quand le TCER de la livre baisse (depuis la mi-2015).

A l'évidence, d'autres facteurs influent sur les recettes. Comme, de plus en plus, la perception de l'insécurité, qui explique par exemple la chute des recettes touristiques égyptiennes (depuis 2011) ou turques (depuis 2013) malgré les baisses des TCER.

Un impact plus marqué sur les dépenses

L'exercice est plus concluant côté « dépenses », i.e. sur les montants dépensés à l'étranger par les résidents du pays. Dans beaucoup de cas, on constate que ces dépenses augmentent significativement quand le TCER s'apprécie, et peuvent chuter brutalement quand l'évolution du change se retourne. L'« effet de richesse » procuré par l'appréciation du TCER incite aux vacances à l'étranger et, comme David Ricardo, on reste dans son pays quand cet effet disparaît.

C'est particulièrement net dans les pays émergents qui ont bénéficié à partir de 2004 de la hausse des prix des matières premières, qui s'est souvent traduite par une appréciation, parfois forte de leur devise. Les deux cas les plus clairs sont le Brésil (coefficient de corrélation : 0,79) et la Russie (0,74). Mais le phénomène s'observe aussi en Afrique du Sud, en Colombie, en Malaisie, et pour des raisons différentes en Corée, à Taiwan, en Inde (depuis 2011), et même en Chine.

La Chine est un cas très particulier. Elle était jusqu'en 2010 un acteur mineur du marché du tourisme : les recettes et les dépenses s'équilibraient, à un niveau très faible par rapport à la taille du pays. Depuis 2014, les recettes ont doublé, et les dépenses ont explosé : le poste « voyages » est maintenant un des principaux déficits de la balance des paiements (environ -210 Mds USD en 2016). L'appréciation du TCER du yuan jusqu'au début de 2016 y a certainement contribué, mais la hausse des dépenses est surtout la manifestation d'une demande jusqu'alors réprimée de la classe moyenne chinoise.

Pays développés : une sensibilité très faible aux taux de change

Les flux touristiques des pays développés ne montrent en général qu'un lien très ténu avec les taux de change ou le TCER. Dans le cas de la zone euro, ce lien est même tout à fait absent.

Deux exceptions cependant. D'une part et surtout le Japon: les dépenses des Japonais sont fortement corrélées (coefficient de corrélation : 0,68) avec le TCER du yen. Et peut-être les Etats- Unis, où il semble y avoir une corrélation (faible) entre les dépenses des Américains et le taux de change avec le peso mexicain.

NOTES

  1. Le taux de change effectif réel du pays X est un indice de taux de change calculé comme une moyenne des indices bilatéraux de change avec les pays avec lesquels X a des échanges commerciaux, chaque indice étant corrigé par le différentiel d'inflation, et la moyenne étant pondérée par le poids de chaque pays dans le commerce international de X. Concrètement, le TCER de X s'apprécie si l'inflation domes- tique est plus forte que la hausse des prix moyenne des partenaires sans que cette différence soit compensée par une dépréciation suffisante de la monnaie de X : le pays perd alors de la compétitivité-prix.

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