par Warren Hyland, Gérant de portefeuille, Muzinich &Co.
Sur la longue liste des domaines supposés souffrir de la présidence de Donald Trump figurent « les marchés émergents ». Les raisons en sont bien connues mais méritent d’être rappelées. Dans sa volonté de relancer vigoureusement les moteurs de l’économie américaine, Trump propose de dénoncer les accords commerciaux et de les remplacer par des barrières douanières ; il compte emprunter pour financer la croissance, stimulant ainsi l’inflation, accélérant la hausse des taux et renforçant le dollar US. Selon nous, les effets d’une telle politique pourraient déstabiliser les entreprises et les États des marchés émergents endettés en dollars US, en les privant de sources de financement bon marché. À cause de la politique protectionniste menée par Trump, la croissance économique générée par ces mesures serait moins bénéfique aux nations en développement.
Cependant, le sentiment est récemment redevenu positif, avec l’impression que l’apocalypse annoncée sur les marchés émergents par le cavalier Trump aurait peut- être été quelque peu exagérée. Sa présidence pourrait-elle donc avoir des effets positifs sur les pays en développement ? Nous sommes de cet avis. Car si l’on observe les effets de ses mesures les plus probables, en considérant que les autres seront largement édulcorées, voire jamais concrétisées, alors l’avenir paraît bien plus radieux pour les marchés émergents. Voici pourquoi :
Fiscalité
Trump s’est engagé à baisser les impôts. La consommation représente 68% du PIB US et les gens consommeront plus si les allègements fiscaux leur permettent de dépenser plus (1). Or, d’où proviennent de nombreux objets que les gens achètent ? Des marchés émergents. L’iPhone porte une étiquette « made in China », Abercrombie & Fitch fabrique ses vêtements aux Philippines, Nike manufacture la plupart de ses produits en Chine, en Indonésie et au Vietnam, etc… Si, conformément aux attentes, les baisses d’impôts relancent la croissance économique et accroissent le pouvoir d’achat des consommateurs américains, cela sera bénéfique aux usines du monde entier, dont un nombre significatif se trouve dans les marchés émergents.
Dépenses d’infrastructures
Tout au long de sa carrière dans les affaires, Trump n’a eu de cesse de construire ; il n’est donc guère surprenant que les projets d’infrastructures constituent une part essentielle de ses plans de relance. Pour construire, il faut des matières premières ; or celles-ci proviennent souvent des marchés émergents, notamment d’Amérique du Sud, d’Afrique du Sud et de Russie. Les dépenses d’infrastructures aux États-Unis soutiendront donc, selon nous, les prix des matières premières. Cette politique pourrait améliorer la stabilité des prix des matières premières à long terme, permettant aux nations exportatrices de développer et moderniser leurs économies, ce qui s’avérerait également bénéfique, au plan régional, pour les économies émergentes des pays voisins.
Russie
L’admiration apparente de Trump pour Vladimir Poutine, ainsi que des relations plus constructives avec la Russie que celles entretenues par l’administration précédente, pourraient s’avérer bénéfiques à de nombreux égards, pour les marchés émergents comme pour le reste du monde.
La Russie est un moteur essentiel des marchés émergents. Si les sanctions qui la frappent (et qui ont privé ses gigantesques industries du gaz et du pétrole de technologie et d’accès aux marchés internationaux de capitaux) étaient levées, les bénéfices économiques pour la Russie et ses partenaires commerciaux, en Orient comme en Occident, seraient significatifs.
Moyen-Orient / Syrie
Si on laisse de côté la politique et les opinions personnelles sur les régimes impliqués, une approche plus coordonnée en Syrie, dans laquelle les États-Unis cessent de soutenir les rebelles syriens et qui puisse déboucher sur un règlement négocié (dans la mesure du possible) et la fin de la guerre civile, devrait apporter au Moyen-Orient une stabilité dont la région a bien besoin. La menace de l’EI pourrait alors être gérée plus efficacement, ce dont Trump voudrait clairement s’attribuer le mérite, tout en ayant respecté sa promesse de réduire l’engagement des États-Unis dans des conflits extérieurs.
La stabilité de cette région riche en pétrole, et d’une importance économique indéniable, est hautement souhaitable pour les marchés émergents, mais aussi pour le monde développé.
Moins de réglementation bancaire
Le « démantèlement » de la règlementation bancaire de grande envergure « Dodd-Frank », mise en place dans le sillage de la crise financière et imposant des contrôles nettement plus stricts sur le crédit et les exigences en capital des banques, est l’un des objectifs de Trump. Toute évolution visant à libérer les capitaux et à permettre aux banques de prêter plus devrait entrainer une hausse de la croissance économique américaine. Cela aurait sans doute des répercussions positives sur les marchés émergents. Les flux de capitaux s’orientant toujours vers les régions qui en ont le plus besoin, ils pourraient en partie, de manière directe ou indirecte, se destiner aux économies émergentes.
Rhétorique de guerre commerciale
Il est impossible d’envisager positivement les conséquences économiques des guerres commerciales annoncées par Trump. Cependant, de nombreux observateurs estiment que ces discours agressifs ont peu de chance de se traduire en mesures intransigeantes. Cette opinion est justifiée, notamment par le fait que de telles mesures seraient inefficaces et potentiellement néfastes pour les économies des États-Unis et de leurs alliés historiques, tout autant que pour les pays visés. Selon une analyse récente de Deutsche Bank (1), la Chine, pays souvent montré du doigt par Trump, ne représente qu’environ 16% du déficit commercial américain, et non pas les 50% officiellement affichés. La différence entre les deux chiffres est due aux nombreux pays intermédiaires qui importent en Chine des pièces détachées, utilisées pour fabriquer des produits ensuite envoyés aux États-Unis. De fait, des droits de douane sur les importations chinoises pénaliseraient un large éventail de pays tiers, notamment Taïwan, la Corée du Sud et le Japon (tous des partenaires clés des États- Unis), ainsi que de nombreuses entreprises américaines impliquées dans la chaîne logistique mondiale.
Il faut aussi prendre en compte la réaction de la Chine à une guerre commerciale. La Chine est un énorme importateur de biens et services américains : denrées agricoles, appareils électroniques, machines, avions et automobiles qui représentent chaque année des milliards de dollars US pour l’économie américaine. La Chine pourrait réagir en ciblant certains de ces secteurs, imposant ses propres droits de douane et autres restrictions commerciales, et pénalisant gravement l’économie américaine.
Il faut également souligner que le fait de fabriquer plus aux États-Unis ne permettra pas nécessairement au pays de créer beaucoup plus d’emplois. Une article de recherche publiée en 2015 (Mythe et réalité de la production manufacturière aux États-Unis, Hicks & Devaraj) a montré qu’entre 2000 et 2010, 88% des pertes d’emplois dans le secteur manufacturier américain ont été causées par des gains de productivité, autrement dit par l’usage accru et plus efficace de machines dans le processus de production. Des robots (sans doute conçus et fabriqués en Asie), et non des humains, occuperaient donc ces emplois.
En bref, les discours sur la guerre commerciale ont peut-être impressionné certains électeurs américains, mais leur mise en application pourrait se révéler inefficace, voire pénalisante pour les économies des États-Unis et de leurs alliés.
Résistance croissante des économies émergentes
a dernière raison d’un plus grand optimisme pour les marchés émergents réside, selon nous, dans le fait qu’ils sont considérablement plus robustes, financièrement et économiquement, qu’ils ne l’étaient il y a quelques années. En un mot, les marchés émergents se sont préparés à la hausse des taux depuis la crise du tapering de 2013. Ces pays ont, selon nous, entrepris des réformes politiques et économiques de grande ampleur, et adopté des politiques plus favorables aux affaires, destinées à consolider leurs économies. D’après une série de mesures que nous utilisons pour évaluer la vulnérabilité des États, les économies des marchés émergents sont bien plus solides aujourd’hui qu’en 2013 : taux d’intérêt réels positifs, couverture des réserves de change accrue, inflation en baisse et crédit en croissance, comptes courants devenus excédentaires et devises désormais correctement valorisées. Cet aspect est souligné par le consensus des prévisions économiques pour le PIB des économies émergentes, qui prévoit une accélération pour l’année prochaine.
Quelles conséquences pour l’allocation d’actifs ?
Dans une perspective d’allocation d’actifs obligataire, la politique de Trump suggère des taux d’intérêt en hausse et l’ouverture d’une période d’incertitudes. Dans ce contexte, nous recommandons des stratégies de duration courte, pour lesquelles les marchés émergents offrent une valeur significative.
NOTES
- Source: Bloomberg, au 30/09/2016