par Philippe Brugère-Trélat, Vice-Président exécutif, Gérant de portefeuille Franklin Mutual Series
Après une année 2016 assez turbulente, je pense que les actions européennes connaîtront un parcours moins agité en 2017. Sur le plan économique, les perspectives de l’Europe s’améliorent et, selon les dernières statistiques, la confiance dans l’économie est à son plus haut depuis 2011.
En 2017, je pense que les actions européennes vont bénéficier de deux facteurs spécifiques. Premièrement, l’accélération récente de la croissance de l’économie mondiale va probablement accroître la demande en exportations européennes. Les exportations représentent environ 27% du produit intérieur brut de la zone euro, et même davantage en Allemagne.
Deuxième facteur, conséquence probable du premier, le point d’inflexion observé dans les bénéfices des entreprises européennes. Ces derniers sont en hausse depuis leur plus bas de juillet 2016 et, pour la première fois depuis plusieurs années, leur croissance en glissement annuel est repassée au-dessus de zéro. Les bénéfices européens sont en berne depuis des années car, dans l’ensemble, les entreprises ont été des « preneurs de prix » (ou price-takers, des sociétés qui n’ont guère d’influence sur les prix qu’elles facturent) plus que des « faiseurs de prix » (price-setters). Elles ont aussi pâti des craintes de déflation et d’atonie de la croissance économique dans la région. Depuis le rebond de la croissance mondiale, on observe même des signes d’inflation qui devraient avoir un impact positif sur les prix et, par extension, sur les marges des entreprises européennes.
Incertitudes politiques
Malgré l’embellie de la conjoncture économique, les perspectives sur le plan politique se sont assombries. Premièrement, les conséquences du vote du Royaume-Uni en faveur d’une sortie de l’Union européenne (UE) en juin 2016. Depuis le référendum, le pays est presque rentré dans une période d’« engourdissement » et très peu de choses ont évolué, même si en coulisses le Royaume-Uni et l’UE se sont positionnés sur la manière de mener les futures négociations.
Même si la procédure du « Brexit » est enclenchée en mars, comme indiqué par la Première ministre Theresa May, elle sera très longue et sera source d’incertitudes. Les négociations pourraient devenir tendues et le Royaume-Uni pourrait se retrouver dans une mauvaise posture. Un « hard Brexit » (abandon par le Royaume-Uni de son accès au marché unique et à l’union douanière avec l’UE) aurait un impact bien plus marqué sur l’économie britannique que sur l’économie européenne, mais il saperait la confiance envers le reste de l’Europe.
Deuxièmement, les élections de 2017 pourraient amener au pouvoir des partis populistes anti-européens. Cette perspective est peu probable en France, et encore moins en Allemagne, mais on ne peut entièrement l’exclure.
En revanche, un parti populiste pourrait très bien l’emporter aux Pays-Bas, même si je doute qu’il obtienne suffisamment de votes pour former à lui seul un gouvernement majoritaire. En Italie, aucune élection n’est prévue pour l’instant en 2017 car le principal objectif du gouvernement temporaire actuel est de réformer la loi électorale pour que le parti populiste Cinq étoiles ne puisse pas en bénéficier sous sa forme actuelle.
De l’autre côté de l’Atlantique, il est encore difficile de savoir quel sera l’impact des politiques du président Donald Trump sur le reste du monde, et sur l’Europe en particulier. La politique commerciale de D. Trump est loin d’être claire. A l’heure actuelle, son attention se porte sur le Mexique et la Chine.
Selon moi, les inquiétudes du président D. Trump concernant les relations commerciales avec le Mexique et la Chine ne s’appliquent pas à l’Europe. L’Europe n’est pas une région « à bas coût » sur le plan salarial et de la fiscalité (à l’exception de l’Irlande, qui est déjà dans le viseur de la Commission européenne pour avoir abaissé le taux de l’impôt sur les sociétés afin d’attirer des multinationales américaines). Je pense donc que la structure de l’économie européenne ne présente aucun avantage déloyal susceptible de provoquer la colère de la nouvelle administration américaine.
On peut aussi voir les choses autrement. Comme les États-Unis sont le plus grand marché d’exportation des Européens (bien plus grand que celui de la Chine, contrairement aux idées reçues), les tensions susceptibles d’être générées par la politique commerciale potentiellement agressive de D. Trump pourraient peser sur l’économie européenne. Il existe toutefois un facteur compensateur important : l’Europe est déjà très présente économiquement aux États-Unis dans les secteurs manufacturiers et des services et l’essentiel des échanges commerciaux des entreprises européennes est réalisé via une plateforme domestique américaine.
Autre sujet peu connu des investisseurs, l’administration Trump a également proposé des réformes susceptibles de transformer le mode de calcul de l’impôt sur les sociétés américaines. Si les idées proposées sont appliquées, un système fiscal entièrement nouveau va être mis en place aux États-Unis, qui ne taxera plus sur le lieu de production mais sur le lieu de consommation (autrement dit, taxation des importations américaines mais pas des exportations). Concrètement, les activités manufacturières domestiques et tout produit exporté seront favorisés, alors que les importations seront sanctionnées. Cette évolution pourrait avoir un impact important sur les relations commerciales actuelles du pays avec le reste du monde.
Cela dit, je ne pense pas que nous assisterons à une guerre commerciale pour le simple fait que le Congrès américain est tenu de se prononcer sur l’instauration d’éventuelles barrières tarifaires. D. Trump ne peut agir de manière unilatérale, mais des tensions sont possibles à Washington.
Privilégier les valeurs financières
La volonté de D. Trump de réduire l’étau réglementaire et d’abaisser les taux d’imposition pourrait être favorable à un secteur que nous privilégions depuis un bon moment, celui des banques américaines. Chez Mutual Series, nous pensons que les banques américaines ont réussi à relever la plupart des défis apparus dans le sillage de la crise financière mondiale de 2008-2009. En revanche, leurs actions ont dans l’ensemble renoué avec des valorisations proches de leur valeur intrinsèque. Même si je ne m’exposerais pas au secteur les yeux fermés aux niveaux de valorisation actuels, il me semble que si les prévisions de croissance économique de l’administration Trump se concrétisent, les actions des banques américaines pourraient encore offrir un potentiel de hausse intéressant.
Nous sommes beaucoup plus prudents à l’égard des banques européennes. Nombre d’entre elles n’ont pas pris à bras le corps ni même résolu les difficultés nées de la crise financière, notamment le niveau encore élevé de créances douteuses, des ratios de fonds propres insuffisants et des levées de fonds dilutives. En outre, les banques européennes évoluent dans un environnement réglementaire qui ne sera jamais aussi conciliant que celui qui est attendu aux États-Unis. Elles pâtissent également des effets secondaires du prolongement de la politique de taux négatifs de la Banque centrale européenne.
Dans l’ensemble, nous préférons toujours les compagnies d’assurance aux banques pour trois raisons : leurs structures de capital plus solides, de meilleures capacités en gestion des risques et des plans de restructuration déjà mis en oeuvre par nombre d’entre elles.
Enfin, lorsque nous apprécions un secteur, cela n’implique pas nécessairement que nous apprécions toutes les entreprises de ce secteur. Adeptes de la sélection des valeurs bottom-up, nous recherchons des entreprises qui se négocient à des cours inférieurs à notre évaluation de leur valeur intrinsèque. Globalement, malgré l’instabilité politique et les futurs développements en la matière, nous sommes toujours optimistes à l’égard de l’Europe en ce début d’année 2017. Nous ne tablons pas sur une envolée des cours de bourse, mais nous pensons que la croissance économique de la région est entrée dans une phase d’accélération.