par Philippe Waechter, Directeur de la recherche économique chez Natixis AM
Le 23 juin 2016, les électeurs Britanniques faisaient le choix du Brexit. Un an après l’événement, les prévisions « apocalyptiques » qui avaient pu anticipées par certains responsables politiques semblent avoir été exagérées. Si les prévisions économiques du Royaume sont effectivement en baisse, comment expliquer ce décalage avec un discours politique et une réalité économique ?
Les prévisions des économistes antérieures au référendum sur le Brexit faisaient état d’un écart négatif significatif à moyen terme entre le profil de l’économie après Brexit et sa tendance en cas de maintien au sein de l’UE. Ces chiffres de la London School of Economics ou encore du Trésor ne faisaient pas l’hypothèse d’une rupture immédiate et brutale mais d’un écart qui grandirait avec le temps. Les économistes ont été clairs sur ces questions. Qu’il y ait eu des raccourcis du côté des politiques en prenant les résultats de moyen terme pour des ruptures immédiates est typique d’une situation comme le référendum. Le temps qui était dans les prévisions des économistes avait disparu. Le raccourci est naturel parce qu’il faut être percutant.
En outre, le Brexit n’a commencé que le 29 mars 2017 avec la notification de l’article 50 par Theresa May. Entretemps la monnaie britannique s’est franchement dépréciée, la politique monétaire a été beaucoup plus accommodante pour réduire les risques sur l’économie des conséquences du référendum et des touristes ont profité de la baisse de la monnaie pour visiter le Royaume Uni à bon compte.
Les éléments au cœur du processus d’écart à moyen terme mis en avant par les économistes n’ont qu’à peine commencé. Ce qui a pu être déjà observé est une inquiétude de la part des investisseurs internationaux qui ne se précipitent plus à Londres pour investir. Cela s’observe sur le marché immobilier par exemple. Cette dynamique ne va pas s’inverser rapidement. Tant qu’il y aura de l’incertitude sur la situation britannique, les investisseurs seront hésitants. Cela peut s’inscrire dans la durée au risque de réduire l’investissement direct. Cela serait préjudiciable mais l’on ne peut reprocher à un investisseur non européen de ne plus vouloir s’installer à Londres s’il n’a plus accès au marché unique. Il ira ailleurs dans l’UE.
Les éléments relatifs à la sortie du marché unique ne sont pas encore à l’œuvre et la discussion sur le rôle de la City n’a pas encore vraiment commencé. Donc les effets sont encore à venir. Les politiciens se sont précipités dans leur communication mais à moyen terme je suis persuadé qu’ils auront raison.
Pour autant, les difficultés semblent se préciser dans l’horizon du Royaume. Quels sont les risques principaux auquel l’économie du pays va devoir faire face ?
Effectivement les difficultés s’accumulent. La première est que le consommateur britannique perd du pouvoir d’achat. L’accélération récente de l’inflation, résultant de la baisse de la monnaie, et le ralentissement du salaire moyen le pénalise. La demande interne va être affectée via la consommation plus limitée des ménages. La Banque d’Angleterre est bien consciente de ce point en indiquant dans son dernier rapport sur l’inflation que ce phénomène ne serait que temporaire et qu’à terme tout repartirait de l’avant. La BoE refait son scénario et est désormais dans le scénario rose où tout se passe bien. Sur cette question des salaires (voir aussi ici).
Le deuxième point est la longue série de négociations auxquelles les britanniques vont être confrontés. Celles avec l’Union Européenne ne font que débuter et devraient durer jusqu’au début de l’année 2019. Ensuite, une fois sorti de l’UE, le Royaume Uni devra s’atteler à tous les autres traités qui deviendront obsolètes du fait du Brexit. Dans un article la semaine dernière (voir ici), le Financial Times indiquait que cela représentait 759 traités avec 168 pays. Cette partie va être très complexe et représentera un choc négatif permanent pour l’économie britannique.
La sortie du marché unique dans de bonnes conditions est dépendant du paiement de 60 à 100 milliards d’euros liés aux engagements pris antérieurement par les britanniques vis-à-vis de l’UE. Le mode et la vitesse de paiement conditionneront le processus de sortie du marché unique. C’est important car spontanément la sortie du marché unique aura un coût rapide pour les entreprises du Royaume Uni.
Mais il est probable que cette partie sera la plus simple car les britanniques mobiliseront toutes leurs ressources sur cette négociation. Pour les 759 traités avec 168 pays cela risque d’être plus compliqué au risque d’entraîner des ruptures au sein de l’économie. Les ressources ne pourront pas être mobilisées de façon équivalente sur chacun des traités. Ceux-ci sont sur le commerce, l’agriculture, la pêche ou encore le droit des avions britanniques à atterrir aux USA. Il est peu probable que les négociations de chacun de ses traités s’opèrent à la même vitesse pour tous créant ainsi des dysfonctionnements. En outre, on doit imaginer que les pays négociateurs n’accepteront pas la situation actuelle et voudront négocier pour eux un cadre plus avantageux. Il ne s’agira en aucun cas du prolongement de la situation actuelle. Cela sera long, un traité commercial se négocie pendant 5 à 10 ans. Cela va être compliqué pour les entreprises anglaises.
Par ailleurs, attendre de la sortie de l’UE la capacité de redéployer l’économie britannique dans le reste du monde en densifiant les échanges est un peu simpliste. Bruxelles n’a jamais été franchement un frein au développement de qui que ce soit. En outre les exportations ne sont pas très sensibles à l’évolution du change.
La question de la City sera majeure aussi dans ces négociations. C’est un enjeu car le secteur bancaire et financier est au cœur de la croissance britannique. La sortie du marché unique se traduira par la probable suppression du passeport européen pour les entreprises financières et bancaires britanniques, limitant ainsi leurs capacités à se développer sur le reste de l’Europe. Il est probable que la City même si elle restera une place prospère et forte diminuera de taille par rapport à aujourd’hui.
Un dernier point est celui des hommes. Depuis 2008, la force de travail a augmenté à hauteur de 85% du fait des non britanniques et depuis la reprise de 2014, plus de la moitié des emplois créés sont associés à des européens non britanniques et encore davantage si l’on prend l’ensemble des non britanniques. Ces personnes sont dans une situation inconfortable. Vont-ils rester si l’activité se réduit en tendance, si la City n’a plus la même puissance. Il y a là une vraie question d’autant qu’une bonne partie de ces non britanniques est plutôt bien formée. Le départ de ce capital humain de haute qualité serait préjudiciable pour la croissance anglaise. Tout un tas d’anecdotes suggèrent que les non britanniques, y compris des universitaires ou des créateurs d’entreprise, sont tentés de partir notamment parce qu’ils ont le sentiment de ne plus avoir leur place.
Il y a aussi les questions propres à la société britannique. La question de l’Ecosse est sans cesse relancée et est susceptible de créer des ruptures. L’autre point, est que les « vieux » ont voté pour le Brexit et les « jeunes » pour le maintien dans l’UE. Si la croissance est plus faible en tendance et donc si l’emploi n’est plus aussi dense, est ce que les « jeunes » maintiendront la cohésion de la société britannique ? On ne saurait leur en vouloir s’ils se révoltent contre les « vieux ».
Tout ceci va prendre du temps et il n’y aura peut être pas de rupture marquée susceptible de créer une réaction des britanniques. Le scénario le plus probable est que les premiers éléments, les premiers craquements ne tarderont pas à se manifester mais ils s’observeront davantage en tendance qu’en un changement brutal et radical. A très court terme, les élections du 8 juin ne permettront peut être pas d’avoir un cadre politique stable. Cette première étape, immédiate, sera intéressante à suivre.
En tenant compte d’une sortie de l’Union européenne qui semble inéluctable, quels sont les moyens dont disposent les pouvoirs publics pour faire face et reprendre une dynamique positive ? Le partenariat privilégié du RU avec les Etats Unis peut il être une aide dans cette optique ?
Cela va être compliqué pour le gouvernement britannique car il va devoir gérer une situation moins dynamique avec des repères qui seront revus à la baisse. La négociation des traités pénalisera les échanges avec le reste du monde créant un choc négatif sur l’activité. Cela aura une incidence sur le marché du travail ne laissant que peu de place au scénario évoqué par la Banque d’Angleterre. Le risque est d’avoir un choc externe négatif qui ne serait pas contrebalancé par une dynamique interne forte.
L’élément clé pour le gouvernement britannique sera de maintenir la cohésion de la société britannique tant sur le plan territorial (Ecosse, Irlande, Londres contre le reste de l’Angleterre) que de la société elle même. Il faut refonder la société britannique c’est la tâche la plus urgente.
Imaginer que les relations avec les Etats-Unis permettent de contrebalancer ces éléments est un leurre. Je ne vois pas Donald Trump adopter un traité commercial avec le Royaume Uni qui lui soit défavorable alors que la balance commerciale américaine est déficitaire vis à vis du Royaume Uni.
Le plus dur commence outre-Manche.