par Philippe Waechter, Directeur de la recherche économique chez Natixis AM
Le président Emmanuel Macron va disposer d’une majorité absolue à l’Assemblée nationale avec 306 sièges pour son parti LREM et 42 pour le Modem. La majorité étant à 290, son parti a la majorité sans faire appel éventuellement au Modem. Cependant comme le montre le graphe, sa majorité est finalement assez proche de la moyenne depuis 1981 à 60%. On est loin du résultat qui avait calculé à l’issue du premier tour proche de 80%. Le résultat observé au second tour ne rentrait pas dans les fourchettes d’estimation même dans le bas de la fourchette à l’issue du premier tour.
Désormais la bataille au sein de l’Assemblée Nationale portera sur le leader de l’opposition. C’est ce que l’on a déjà constaté hier soir lors des débats télévisés où chaque parti situé en dehors de la majorité présidentielle s’est désigné comme chef de l’opposition.
Le prochain évènement à l’AN sera le vote de confiance le 4 juillet. En effet après le discours de politique générale d’Edouard Philippe, qui sera très probablement renommé premier ministre après sa démission à l’issue du second tour, le vote de confiance montrera l’étendue du pouvoir du Président notamment sur les partis qui peuvent être proches de LREM comme le LR et le PS. On ne peut pas exclure que des membres de ces deux partis votent la confiance au gouvernement (ce point est plus vraisemblable au sein du LR).
Pourquoi cette majorité absolue est elle importante?
Cela doit donner au nouveau président et à son gouvernement une légitimité démocratique forte. Dans la gestion de la réforme pour le marché du travail cela sera important vis à vis des syndicats pour discuter des ordonnances.
Dans ce type de discussion chacun cherche ses sources de légitimité. Les syndicats représentent les employeurs et les salariés et c’est de là que vient leur légitimité. Pour le président nouvellement élu et son gouvernement, cette légitimité viendra de sa réussite aux élections. La majorité absolue, même sans le Modem, est une réussite.
Cependant, sur cet aspect, la faible mobilisation pour le second tour (taux d’abstention de 57.4%) peut limiter le degré de crédibilité de la politique gouvernementale. Le rapport de force ici sera intéressant car les discussions sur le marché du travail débuteront, cet été, avec les ordonnances. Portant sur le degré de décentralisation d’un grand nombre de décisions les réformes discutées vont affaiblir les syndicats à l’échelle nationale. Ils auront alors tout intérêt à limiter la capacité du gouvernement à agir comme il le souhaite. En revanche l’attitude sera inverse pour le gouvernement. Il lui faudra utiliser sa légitimité démocratique comme support de sa crédibilité dans la négociation. Ces premiers rudoiements seront importants car la négociation des ordonnances ne sera que la première étape. Elle sera suivie par celle relative à la gestion de l’allocation chômage.
Sur cet aspect, le gouvernement veut gérer seul cette question et ne plus faire référence à une gestion paritaire. C’est aussi une évolution du rapport de force vis à vis des syndicats qui jusqu’à présent géraient cette allocation.
La séquence qui va s’ouvrir est donc majeure pour la crédibilité du gouvernement. Sans faire machine arrière il lui faudra faire face aux syndicats dans la négociation avec une légitimité plus réduite que ce qui était imaginé après le premier tour. La séquence risque d’être chahutée et il est de l’intérêt du gouvernement de ne pas se laisser déborder sous peine de perdre toute capacité à négocier dans le futur.
L’autre élément lié à ces élections porte sur l’engagement implicite que l’on a pu lire après les rencontres entre Macron et Merkel sur le thème des réformes européennes. La France ne sera crédible que si elle arrive enfin à mettre en oeuvre les changements attendus notamment sur le marché du travail afin de rendre celui ci encore plus réactif. Si le gouvernement français est capable de prendre des engagements forts et de les tenir alors il sera crédible dans la gestion des réformes institutionnelles en zone Euro et dans l’Union Européenne. Le couple franco-allemand sera alors capable de tirer l’Europe vers le haut.
La première étape était de gagner l’élection présidentielles, la deuxième était de disposer d’une majorité forte à l’Assemblée Nationale, la troisième étape portera sur la capacité du gouvernement à négocier les réformes internes. Le vote lui donne une légitimité démocratique écornée par le peu de participation. La quatrième étape, essentielle pour l’avenir de l’Europe et de la zone Euro, dépendra de la réalisation effective de la troisième étape.
Les mois qui s’ouvrent vont être passionnants car ils pourraient déboucher sur un nouveau modèle social en France si le gouvernement réussit à mener les négociations comme il l’entend en s’appuyant sur sa légitimité démocratique. La France sortirait enfin des Trente Glorieuses dont le modèle n’est plus applicable depuis longtemps.