par Pierre-Antoine Dusoulier, Président chez iBanFirst
La Première Ministre britannique, Teresa May ne manque pas d’arguments pour se présenter en position de force devant les négociateurs du Brexit. Un peu d’histoire contemporaine pourrait, à cette occasion, nous éclairer et nous éviter de graves déconvenues.
Il y a seulement dix ans, le monde de la finance était très différent. La City n’avait pas encore l’importance acquise aujourd’hui grâce, entre autres, à une souplesse réglementaire sans égale en Europe continentale. Une souplesse transformée quelques années plus tard en privilège concurrentiel par le jeu du « passporting » européen.
En 2007, les agréments étaient spécifiques et nationaux. Chaque métier de la finance dépendait dans chaque pays d’un maquis réglementaire complexe et surtout national. Chaque capitale européenne avait donc légitimement sa place. Paris, Francfort, Amsterdam pouvaient servir localement leurs clients après avoir conquis les agréments nationaux. Chaque établissement devait renouveler le processus pour chaque pays.
Le Royaume Uni, plus libéral que le reste de l’Europe, accordait, plus facilement des agréments couvrant de multiples activités. Il était donc ainsi relativement facile de se développer sur place. Ce que je faisais, incontinent pour la banque qui m’employait alors à Londres.
Fort de cette expérience anglaise, j’ai voulu rentrer au pays et créer ma première entreprise. Il me fallut donc plonger dans la complexité de la réglementation française pour découvrir qu’il me fallait obtenir un véritable agrément bancaire, le même que celui de la Société Générale ou BNP Paribas. Une exigence à faire renoncer l’entrepreneur le plus enthousiaste.
J’obtins de haute lutte, cet agrément. Ma petite entreprise était officiellement une banque, devait se comporter comme telle, respecter les règles qui les régissent, produire en temps et en heure des reportings indispensables (mais souvent inutiles) et satisfaire à tous les caprices tatillons d’une réglementation visant à protéger le consommateur, éviter les blanchiments et détournements d’argent, lutter contre la corruption, l’argent de la drogue et le terrorisme.
Concurrence déloyale et balle dans le pied
J’avais gagné le droit d’exercer et acquis un avantage concurrentiel sur mes concurrents potentiels… mais pour quelques mois seulement. Alors que les pères de l’Europe militaient pour la libre circulation des personnes, des biens et des capitaux, l’Europe du XXIème siècle a inventé la libre circulation des agréments. Ce qui a été agréé ici doit être agréé là. Les régulateurs du nord valent bien ceux du sud. Le « passporting » était né. Avec lui ont débarqué sur le continent et donc en France tous les établissements financiers britanniques armés de leurs agréments made in London, des agréments bien plus souples et plus simples à obtenir que l’agrément bancaire dont j’étais si fier. Il s’agissait bien là d’une concurrence déloyale que nous nous infligions à nous même.
Aujourd’hui encore les établissements financiers britanniques bénéficient d’une réglementation locale plus souple et qu’ils peuvent utiliser dans les autres pays européens. La réciproque n’est pas vraie.
Mais que va-t-il se passer avec le Brexit ? Les Britanniques abordent les négociations en montrant leurs muscles. Les positions de Mme May tiennent en une phrase : « si nous n’avons pas ce que nous exigeons, nous ferons du Royaume Uni un paradis fiscal majeur aux portes de l’Europe. A bon entendeur salut ! »
La règlementation est utile. Mais les règles du jeu doivent être les mêmes pour tout le monde. Accepter la moindre dérogation lors des négociations à venir serait une erreur stratégique majeure. Le Royaume Uni souhaite quitter la Communauté Européenne ? C’est son droit mais c’est le devoir des négociateurs de renforcer à cette occasion l’Europe, son économie, ses entreprises, ses salariés et ses principes.