Le risque européen est-il… américain ?

par Jean-Marie Mercadal, Directeur Général Délégué en charge des gestions chez OFI AM

Le premier semestre boursier s’achève sur une note positive, particulièrement en Europe où les actions commencent à surperformer à la faveur d’un risque politique qui a baissé et d’indicateurs macro et micro-économiques positifs. Cette dynamique survient au moment où des doutes apparaissent
sur la conjoncture internationale,
et particulièrement américaine : bilan très maigre de la politique
de reflation de Donald Trump, durcissement monétaire de la Fed, valorisations élevées à Wall Street… Comment analyser cette situation et quelle stratégie adopter ?

A presque mi-année, le bilan boursier 2017 est jusqu’à présent très satisfaisant

L’indice des actions mondiales progresse de pratiquement 10 % en monnaies locales, avec une hausse de pratiquement toutes les zones et secteurs (à l’exception notable de l’énergie) et un rattrapage « en marche » des actions européennes et émergentes, en hausse de l’ordre de 10 % en euros (mais + 17 % pour les actions émergentes exprimées en dollars). Les actions américaines obtiennent des performances également très correctes (+ 10 % également de l’indice S&P 500 en USD, mais seulement + 3,5 % en euros), avec des performances plus sélectives et une contribution de près de la moitié liée aux 5 grandes valeurs « GAFA » (Google, Apple, Facebook, Amazon auxquelles il faut ajouter Microsoft). Les per- formances obligataires sont positives aussi sur tous les segments, et pour cause, les taux ne montent pas. Contrairement aux anticipations initiales, le Bund 10 ans reste englué autour de 0,25 % et le T-Notes US 10 ans s’est redétendu jusqu’à 2,15 %.

Comment appréhender la seconde partie de l’année ?

Pour une fois, les problèmes ne viennent pas de la zone Euro. Pratiquement tous les indicateurs montrent qu’une dynamique macroéconomique est en accélération, si bien qu’une croissance supérieure à 2 % n’est plus inenvisageable. L’autre point positif est que cette croissance dépend largement de la consommation intérieure et est donc en partie immunisée de la conjoncture internationale. Cette embellie est par ailleurs assez homogène et se diffuse dans la grande majorité des pays de l’Union Européenne, notamment en France où une croissance de 1,5 % est attendue. La croissance de la zone serait de ce fait supérieure à son potentiel, si bien qu’une remontée de l’inflation serait alors possible. Ces paramètres se répercutent naturellement sur les entreprises et les perspectives bénéficiaires continuent à être révisées à la hausse. Le consensus attend désormais une progression de 17 % pour l’exercice 2017, ce qui semble assez fiable.

Le problème est que l’Europe n’est pas seule. Dans le reste du monde, la dynamique semble s’essouffler, même si l’on est loin d’une récession et si les prévisions de croissance mondiale autour de 3,5 % restent crédibles. Mais le momentum est claire- ment moins favorable…

…Et particulièrement aux États-Unis, où l’effet Donald Trump commence à devenir négatif. Les statistiques du T1 ont été décevantes. Certes, les investisseurs sont habitués depuis plusieurs années à composer avec des statistiques de début d’année perturbées par différents aléas, notamment climatiques. Un rebond significatif était attendu au T2, mais les espoirs s’amenuisent. La politique de reflation promise par Donald Trump ne s’est pas encore concrétisée. La mise en application des réformes attendues se heurte à l’opposition du Congrès (« Obama care ») et à des difficultés administratives car bon nombre de hauts fonctionnaires nouvelle- ment nommés n’ont pas encore pris leurs fonctions. Le programme de baisse d’impôts (s’il est mis en place) donnerait beaucoup d’espoir aux investisseurs en actions. Mais sa mise en place nécessite une visibilité sur la trajectoire de la dette fédérale et il faut donc réduire les dépenses liées à « Obama care », ce qui est loin d’être évident comme nous l’avons vu. Par ailleurs, l’investissement des entreprises reste décevant après des espoirs suscités par les enquêtes de sentiment des chefs d’entreprise nées avec l’élection. La promesse du « made in America » de réindustrialiser le pays se heurte à des problèmes de capacité de main d’œuvre qualifiée, notamment dans un pays proche du plein emploi dans les états les plus dynamiques. Finalement, la croissance américaine devrait se situer autour de 2,2 % cette année… sans réelle perspective d’accélération désormais.

La baisse récente des cours du pétrole suscite également le doute sur la réalité de l’activité économique. Elle redonne du crédit au scénario d’une croissance économique qui s’essoufflerait, à l’image de ce qu’il s’était passé en début d’année 2016. Le baril vient de perdre près de 20 % en quelques semaines, vers la zone de 45 dollars, et s’éloigne de la zone consensuelle de 55/60 USD, presque idéale à la fois pour les consommateurs et les producteurs. Cette baisse reflète-t-elle donc une baisse de l’activité, ou alors seulement l’incapacité de l’OPEP à réellement contrôler les prix à l’heure où la production de certains pays comme la Libye ou le Nigeria remonte ? Nous penchons plutôt pour cette hypothèse, d’autant plus que les producteurs de pétrole de schiste aux états- Unis ont également fait preuve d’une grande réactivité en abaissant leurs points morts de production de presque la moitié en quelques années, passant de la zone des 75 USD à 35/40 USD. Par ailleurs, gardons à l’esprit que la baisse du pétrole est une aubaine pour de nombreux pays, en premier lieu l’Europe, mais aussi de grands pays d’Asie comme la Chine, l’Inde et le Japon. C’est évidemment plus problématique pour la Russie, le Brésil dans une moindre mesure, et évidemment les pays du Golfe, et particulièrement l’Arabie Saoudite en proie à des difficultés budgétaires et sociales.

Il conviendra toutefois de surveiller de près ce paramètre pétrole : une cassure nette à la baisse de la zone des 40/45 dollars le baril serait techniquement très négative et pourrait être interprétée comme un signe de retournement de la croissance mondiale.

Ce n’est toutefois pas encore le scénario le plus probable. Il y a juste une déception sur la prolongation attendue du cycle américain qu’avait suscité l’élection de Donald Trump. La Chine ne donne pas de signal d’affaiblissement (au prix d’une explosion de la dette toutefois) de même que la majorité des pays émergents. En revanche, il y a un impact qui se ressent déjà sur les statistiques d’inflation, ce qui peut troubler la lecture des politiques monétaires et contribue au maintien de taux d’intérêt obligataires très bas. Le rythme de hausse des prix a clairement ralenti en raison de cet effet pétrole : + 1,4 % dans la zone Euro alors que l’objectif de 2 % d’inflation était pratiquement atteint en début d’année. De même, aux Etats-Unis, l’inflation publiée est retombée à moins de 2 %. Ceci accrédite la thèse que les marchés ne croient plus au scénario de reflation.

Le message de la Réserve Fédérale devient ambigu

Pour les marchés, le chemin de la politique monétaire américaine était bien balisé, avec encore un relèvement de 25 points de base cette année et des Fed Funds autour de 3 % à la fin de ce cycle de croissance américaine, c’est-à-dire dans le courant de l’année 2019. Or, il semble que les marchés obligataires ne croient pas à ce cheminement. En effet, le dernier relèvement de juin a eu pour conséquence de faire baisser les taux longs. La courbe des taux s’aplatit donc, habituellement signal d’une anticipation de ralentissement économique. Ce qui est potentiellement plus inquiétant, c’est que la posture de la Fed semble en déconnection avec celle qui prévalait ces dernières années où elle faisait preuve d’un excès de prudence alors que les objectifs de croissance et de chômage étaient atteints. Cette fois-ci, à l’heure où certains doutes apparaissent, elle semble étonnamment volontariste. Volonté de rassurer les marchés, au risque de les faire douter ? Ou dispose-t-elle de certitudes solides sur les perspectives économiques ? à ce stade – et malgré ces doutes – nous pensons que les taux d’intérêt obligataires vont tout de même remonter dans ce contexte de normalisation des taux directeurs et de fin de politique d’achat de titres.

La Fed pourrait clarifier en septembre la façon avec laquelle elle compte s’y prendre pour réduire la taille de son bilan. Nous pensons dès lors que les taux à 10 ans pourraient s’orienter à terme vers la zone identifiée de 2,75 %/3 %. N’oublions pas que les mouvements de tension obligataire sont souvent courts en durée et importants en amplitude.

En zone Euro, la baisse du pétrole va conforter la BCE dans sa position prudente, au moins jusqu’à septembre et les élections allemandes. à partir de cette date, et sauf événement majeur, elle devrait commencer à préparer le chemin vers une sorte de « Tapering » (réduction des achats de titres), en donnant éventuellement des indications sur la réduction de son programme de « Quantitative Easing » d’avril. Il se pourrait aussi qu’elle annonce son intention de relever le taux de dépôt, de – 0,4 % à peut-être – 0,3 %. L’impact sur le Bund sera peut-être progressif dans un premier temps. Le rendement du Bund évolue en effet depuis quelques mois dans une marge de fluctuation assez claire entre 0,25 et 0,5 %. Une sortie à la hausse de ce « range » donnerait un objectif autour de 0,75 % a minima, ce qui reste notre scénario privilégié, sauf détérioration économique majeure. Nous restons en effet convaincus que les taux doivent remonter à terme, dans un contexte de fin des politiques monétaires très accommodantes.

– La question des obligations indexées

Dans ce contexte, les anticipations d’inflation se sont nettement retournées : elles se situent à 1,5 % à 10 ans aux Etats-Unis et 1,0 % en zone Euro. Les marchés ne semblent plus croire aux objectifs données par les Banques Centrales, ni à un impact positif de hausses de salaires et de prix. Nous estimons qu’à ces niveaux, elles ont leur place dans un portefeuille obligataire car elles permettent de couvrir un scénario de hausse des taux et de reflation qui ne nous semble pas devoir être complètement abandonné. Et ce d’autant plus qu’il est possible que le pétrole rebondisse à partir des niveaux actuels.

Rien de bien nouveau sur le marché du crédit. Nous estimons globalement que les « spreads » sont chers et peu attractifs, « High Yield » compris, même si les taux de défaut devraient rester bas. Nous aimons le segment des obligations émergentes qui continuent à bénéficier de flux entrants de la part des investisseurs internationaux. Nous conservons également une appréciation positive sur les obligations convertibles, surtout européennes, qui avec un delta moyen de l’ordre de 45 %, sont proches du point optimal de convexité, avec une volatilité implicite du gisement à des prix raisonnables.

Les actions européennes sont attractives en relatif… ce qui n’est pas le cas de Wall Street

L’accélération macroéconomique en Europe se traduit dans les estimations de bénéfices : le mouvement de révisions à la hausse se confirme. Le consensus attend désormais une croissance des profits de 17 % cette année et de 10 % l’année prochaine, avec une bonne probabilité de réalisation. Cela donne un PER d’ensemble d’un peu moins de 15 et un rendement des dividendes encore un peu supérieur à 3 %. Ceci est loin d’être excessif, et c’est la raison pour laquelle les investisseurs internationaux, qui étaient sous-pondérés pour des raisons politiques, continuent à affluer. Historiquement, il y a eu des périodes durant lesquelles les actions européennes ont « surperformé » les actions américaines : une bonne partie des années 80 et, plus récemment, la seconde partie de l’année 2012, de près de 20 % après le fameux « Whatever It Takes » de Mario Draghi. Mais à chaque fois, les actions américaines ont soit moins monté (mais monté quand même), soit stagné. En revanche, lors des fortes corrections à Wall Street, les actions européennes ne résistent pas, voire amplifient la baisse. Et parfois cela se conjugue avec une hausse du dollar, si bien que sur très longue période, les actions américaines en euros présentent un bien meilleur profil performance/risque. Dans
 ce contexte, nous conseillons aujourd’hui
d’être plus prudents : les valorisations 
des actions américaines sont élevées et la
 dynamique macroéconomique s’estompe,
ce qui pourrait se répercuter sur les estimations de bénéfices attendues. Nous ne
voyons pas encore réellement d’inflexion
 négative et une progression de près de
10 % est encore attendue. Mais il y a un
 risque de dégradation si les mesures promises par Donald Trump ne se réalisent
 pas, notamment la baisse de l’impôt sur 
les sociétés…

En ce qui concerne les valorisations, notons que les fameuses valeurs
« GAFA » qui ont guidé les marchés ne
 sont pas dans des zones d’excès similaires
 à celles connues durant le début des
années 2000. Hormis Amazon qui présente un PER 2017 de près de 145 (mais
 avec une capacité de développement
 potentiellement incroyable et difficile à
imaginer), les autres se payent entre 
16 (Apple) et 30 (Facebook), ce qui n’est
 pas si élevé (et qui signifie aussi que la
 majorité de la cote est chère). Ceci dit, il
 est difficile de donner un prix objectif à
ce type d’entreprises aux potentialités
 énormes et qui existaient à peine il y a
15 ans. Dans ces conditions, nous sommes 
d’accord pour estimer qu’une correction peut avoir lieu. Nous entrons dans une
 période traditionnellement propice à des phases boursières plus agitées et le rythme
 de progression depuis maintenant presqu’un an paraît trop élevé. Une phase plus
volatile pourrait s’ouvrir et offrir des opportunités d’acquisition intéressantes à moyen
terme.

Parmi les autres places internationales, notons que les actions chinoises
(surtout celles cotées localement) sont
 bien orientées avec une progression de 5 %
depuis fin mai, alors que les autres places
 boursières stagnent. Nous avions souligné
 qu’elles figuraient parmi les plus « détes
tées », que ce soit par les investisseurs
 domestiques ou internationaux, ce qui
 était bon signe. L’annonce de leur entrée dans l’indice MSCI des pays émergents a été de ce point de vue un (petit) catalyseur. Elles représenteront d’ici un an 0,7% de cet indice qui capitalise près de 1 600 milliards de dollars alors qu’il s’agit d’un énorme marché de 6 800 milliards de capitalisation. Nous en reparlerons encore, les valorisations semblent correctes, de même que l’orientation des bénéfices des entreprises.

Notre scenario central

Bien qu’un certain nombre de risques commencent à apparaître, les marchés restent en mode « Risk On ». Les phases de baisse sont, en effet, courtes et de faible ampleur et les flux internationaux continuent à alimenter l’Europe et les pays émergents. La faiblesse persistante de la volatilité cotée est éloquente de ce point de vue. Depuis que le VIX existe, il y a eu 11 clôtures sous le niveau de 10, dont 7 au cours du dernier mois ! Est-ce le signe d’une complaisance trop forte des marchés ? Difficile à dire car nous savons que dans des marchés de flux, des excès sont possibles, à la baisse comme à la hausse. Nous évoquions justement le mois précédent le fait qu’il y avait aujourd’hui deux risques, celui d’une hausse qui affecterait ceux qui sont passés « à côté » de la hausse des actions, et celui d’une correction qui pourrait toucher ceux qui sont investis, comme nous le préconisions. Nous préférons donc nous adresser à ceux qui nous ont suivis… Et la rationalité nous incite à conseiller aujourd’hui une plus grande prudence. Dommage car les feux sont enfin, et pour une fois, pratiquement tous au vert en zone Euro…